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Depuis près de trois mois, un silence inédit s’est emparé de nos cités. Un tsunami mutique a déferlé dans nos rues.
Il est communément accepté que le silence est l’absence de bruit. C’est le cas. Le silence qui s’est installé depuis plus d’un mois, accompagnant le confinement des êtres, a induit l’arrêt de leurs machines infernales, de leurs déplacements, de leurs déambulations, de leurs récriminations.
Il a rabattu leur caquet aux mégapoles les plus flamboyantes, les plus arrogantes, et règne aujourd’hui en maître sur tous les continents. D’après les spécialistes, leur niveau sonore a baissé de près de 70 pour cent. Il n’est plus l’apanage des bleus déserts liquides, de ceux de sable jaune ou des grandes étendues poudreuses et blanches. Il s’est attaqué au gris, et sans discernement, de sa chape de plomb, a recouvert hommes, bitume, béton.
Sa présence rassurante a tout d’abord étonné, reposé, calmé. Balzac avait,de son temps, signalé son effet salvateur sur les âmes, au sujet d’une ville silencieuse de province, il écrivait … « la ville produit sur l’âme l’effet que produit un calmant sur le corps, elle est silencieuse autant que Venise ». Il n’a jamais autant eu raison.
Peu à peu, ce silence s’est transformé en stupeur, angoisse et inquiétude, Baudelaire avait d’ailleurs écrit sur ce silence persistant de dimanche, quand s’arrête la machine urbaine. Antoine de Saint Exupéry l’a ressenti, lui comme « une maladie fatale, ce silence qui empire de minute en minute ».
La peur s’installant dans les cités, on a tenté, pour un temps, de le combattre en applaudissant bruyamment aux balcons. D’autres ont chanté des chansons révolutionnaires aux airs de fête et des hymnes nationaux aux fenêtres.
Mais il revenait encore plus fort, il prenait cette tonalité épaisse, dont parle julien Gracq quand il décrit « ces villes labyrinthes de silence, silence de peste, de déchéance, de menace.». On est bien loin comme le cite Corbin, historien des émotions, du point de vue de Pierre Sansot qui parle du « luxe et de la qualité de silence qui enveloppent de leur confort une avenue parisienne ».
Quelle que soit la perception qu’il induit, le silence esttoujours une arme d’émotion massive. Ses nappes inquiètent tant que les hommes et les femmes, qu’ils l’ont toujours combattu. Au 19ème siècle, d’après l’historien Guy Thuilier, qui a étudié les nappes de silence, qui recouvrent certains terroirs en Europe, on se rassurait en le rompant par le chant des labours. Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux qu’on vocalise. Dans nos contrées, l’appel du muezzin, atteste de la présence des hommes et de celle de Dieu, un Dieu qui rassure et que l’on sait clément et miséricordieux. Cette année pourtant, malgré le ramadan, ces lieux de culte si fréquentés, resteront clos et surveillés pour sauver l’humanité.
Le silence a nappé nos cœurs, nos âmes, recouvert notre urbanité.
Dans les foyers, il daigne céder sa place, mais à pire, à une diarrhée de nouvelles, vraies, fausses, plus personne ne le sait ; il nous laisse écouter le décompte quotidien du nombre des contaminés, des décédés et fort heureusement des épargnés.
Dans ce mutisme ambiant, notre esprit anxieux, bien que stupéfait, est curieusement, en effervescence. Une suractivité permanente qui produit un bruit difficile à faire taire : Le monologue intérieur en roue libre de « la folle du logis », notre imagination dont Rosa de Montero parle si bien.
Peut-être que ce silence forcé nous permettra de mieux écouter la petite voix de notre conscience et que nous apprécions tant sa compagnie, que nous apprenions à faire moins de bruit.
Honoré de Balzac, Beatrix
Charles Baudelaire les fleurs du mal.
Julien Gracq, le rivages des syrtes, p. 309.
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, p.57
Pierre Sansot
Alain Corbin, Histoire du silence
Rosa de Montero, La folle du logis, p.
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Lamia Kadiri est architecte DPLG et coach. En marge de sa vie professionnelle...
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