Abécédaire pour penser autrement: Épicurisme

« Profite de l’instant présent ». Qui n’a jamais entendu ou lu cette célèbre exhortation épicurienne, que le poète latin Horace (-65/-8) a vulgarisée à travers son fameux « Carpe diem » ? La citation/traduction complète est : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ». Nul besoin d’être philosophe érudit pour faire sienne cette formule. Toute une génération de fumeurs marocains, amateurs de Marquises, ont été à l’école d’Epicure sans le savoir. Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien sachez que pendant des décennies, ladite marque de clopes locales (aux couleurs grises) a employé l’adage épicurien comme argument de vente. Il suffit, pour s’en convaincre, de googler « paquet de cigarettes marquise carpe diem », pour que l’on tombe nez à nez avec l’illustration suivante : un homme des cavernes à moitié nu, armé d’une massue, debout à côté d’un lion rugissant en train de tourner la tête dans le sens inverse de l’homo-sapiens ; entre les deux, un écusson surplombé d’une couronne, et sous-titré par le slogan épicurien : « carpe diem ». Bizarre, pour un produit de consommation nocif pour la poche et les poumons. Autres temps, autres mœurs marketing !

C’était donc cela la définition de l’épicurisme, pour les fumeurs des décennies 70-90. Avant que les organismes de santé mondiaux n’imposent leur dictat par un changement radical de slogan : Fumer tue. En France, et ailleurs, on fait mieux : ce sont des images d’organes gangrénés par le cancer qu’on expose à la conscience décomplexée des fumeurs, que leur épicurisme invétéré protège des angoisses du futur : « Fume ta clope du jour, sans te soucier du lendemain ». Il paraît même que c’est eux les plus épargnés, en ces temps de coronavirus.

Il est évident qu’une telle interprétation de l’épicurisme est caricaturale. Ne nous y fions pas. Car l’Epicurisme (ou l’école du jardin, fondée par Epicure : -341/-270) est une philosophie pratique, qui repose sur une discipline morale censée nous apprendre à bien vivre, et à bien mourir. La clé d’une telle sagesse ? Chasser de soi les troubles de l’âme, pour atteindre l’ataraxie. Pour ce faire, un quadruple remède, fondé sur des principes clairs comme de l’eau de roche : 1) ne pas craindre les dieux ; 2) ne pas craindre la mort ; 3) Le bonheur est accessible ; 4) la douleur est supportable.  Saisissons combien ce tetrapharmakon peut nous être précieux en ces temps anxiogènes de pandémie du Covid 19. On pourrait même, pourquoi pas ?, en souffler un mot à nos stations radios nationales qui embauchent un certain nombre de charlatans/fqihs/guérisseurs improvisés. Initiés aux rudiments de la sagesse grecque, ces derniers pourraient sainement dispenser la prophylaxie épicurienne à une population en mal de repères et de remèdes. Petit doute tout de même concernant la première des panacées : ne pas craindre les dieux. Trop anachronique, trop blasphématoire, pour la majorité écrasante de croyants monothéistes que nous sommes (censés être). Pour le reste, ça peut aller. Encore faut-il s’armer d’une bonne dose de foi. L’essentiel, c’est de savoir cultiver son jardin intérieur, en relisant avec profit La Lettre à Ménécée, du sage Epicure. Carpe diem !

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