Abécédaire pour penser autrement: Désir

Le besoin n’est pas le désir et le désir n’est pas un besoin. La limitation ou la contrainte ne sont pas le renoncement. Le confinement que nous vivons aujourd’hui est imposé et ne relève nullement d’une intentionnalité ou de la possibilité d’une frugalité voulue, interne au sujet dans le rapport à ses besoins et ses désirs. Pourtant cette question mérite qu’on s’y arrête…au risque d’enfoncer des portes ouvertes. Cette ère de l’hyper-choix, des voix nombreuses dont Ivan Illitch ou plus récemment l’économiste Christian Arnsperger la qualifient ainsi : « expansion maximale, impossible à réaliser autrement que dans un fantasme de la domination absolue et dans des actes de consommation et de puissance qui, sans cesse, et sans cesse de nouveau, manquent leur cible »[1]. Oui, car ce désir par essence, ne rencontre jamais son objet…fantasmé. Dans cette quête narcissique, dans un monde du consommable-jetable, besoins et désirs se confondent, nous ne savons plus qui est l’un et quel est l’autre…

Du Bouddhisme aux religions du Livre, des philosophies d’Epictète et des Stoïciens, de Diogène et les Cyniques, et de Freud et ses théories de la pulsion (Eros, Thanatos…) à Maslow et sa pyramide des besoins ou Fromm et son ancrage des besoins humains dans les conditions structurales de l’existence, les tentatives pour produire une théorie globale des besoins humains et du désir sont pluri-millénaires…

Des penseurs contemporains tels qu’Arnsperger, Méda, Kuntze ou Viveret ouvrent un espace de la modernité dans ce cloisonnement des doctrines…Ils défendent l’idée selon laquelle au-delà de la société de consommation excessive, il existerait en chacun de nous une tentation de la sobriété qui ne serait ni ascétisme ni renoncement mais plaisir ;le plaisir d’une simplicité qui autorise - et le sujet et son ouverture à l’autre - la convivialité, cette notion forte située par Illitch sur le curseur nous alertant de l’instant où consommation et croissance se retournent contre l’humain.

 

Illitch Ivan. La Convivialité, Seuil, 1973 (titre original : Tools for conviviality)

Illitch Ivan. La Perte des sens, Fayard, Paris, 2004.

Illitch Ivan. La corruption du meilleur engendre le pire, entretiens avec David Cayley, Actes Sud, 2007.

Arnsperger, Christian. Critique existentielle de la croissance économique. Eléments pour une « transition anthropologique », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. volume 77, no. 2, 2016, pp. 73-97.

Maslow, Abraham. L’accomplissement de soi : de la motivation à la plénitude, Paris, Eyrolles, 2013

Fromm, Erich. The sane society, London, Routledge & Kegan Paul, 1968.

Freud, Sigmund. Pulsions et destins des pulsions. Éditions Payot, 2013.

Méda D., Cassiers I. et Maréchal K. [2017], Vers une société post-croissance, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.

Viveret P. [2010], « Sortir de la démesure », Projet, vol. 317, n° 4, p. 13.

Lastovicka J. L., Bettencourt L. A., Hughner R. S. et Kuntze R. J. [1999], « Lifestyle of the tight and frugal : theory and measurement », Journal of Consumer Research, vol. 26, n° 1, p. 85-98.

Ben Kemoun, N. & Guillard, V. (2019). II. La sobriété matérielle : définition, caractéristiques et enjeux. Dans : Dauphine Recherches en Management éd., L'état du management 2019 (pp. 16-26). Paris: La Découverte.

 

[1]Arnsperger, Christian. Critique de l’existence capitaliste, Paris, Les éditions du cerf, 2005, p.195.

 

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