Abécédaire pour penser autrement: Attente

L’attente peut être définie comme espérance, action de demeurer jusqu’à l’arrivée de quelque chose ou de quelqu’un. André Breton (1937) disait : « L’Homme est un animal adorateur. Aimant le changement, il est créateur, obstiné, angoissé qui pleure, qui rit, qui évolue, qui crée des images et surtout, il attend un monde meilleur car il ne peut pas accepter son immanence et attend sous une forme ou sous une autre, la transcendance ». Toutes les sociétés humaines attendent une figure anthropomorphique, toujours masculine, nommée différemment selon les cultures (Bouddha, Messie, Mahdi, etc.), pour apporter un message salvateur rassurant d’espérance pour l’angoisse humaine. Dans le contexte de l’après seconde guerre mondiale, Samuel Beckett avait érigé le thème d’attente en objet de son théâtre (« En attendant Godot ») pour questionner l’attente en temps de guerres mondiales et de conquête de l’espace.

Par ailleurs, l’attente a été analysée en décrivant les situations de certaines catégories sociales : le concept de « génération en attente » (waithood generation) a été spécifiquement forgé pour caractériser les jeunesses des pays du Sud et leurs situations d’attente, par nature persistantes, de tout (emploi, mariage, réussite, etc.). La figure des « hittistes », ces jeunes chômeurs désœuvrés « qui tiennent les murs », en Algérie, tient lieu d’illustration de cette attente contemporaine. Les situations des émigrés, réfugiés et demandeurs d’asile ont été décrites à partir de la notion de « territoires d’attente » comme lieux (de confinement) et temps d’attente ponctuant leurs itinéraires, dont la gestion est partagée entre « le faire attendre » et le « faire espérer » parsemée de tactiques pour « estomper l’attente ». Au Maroc, le mouqef, lieu physique de recrutement informel, est l’espace d’attente de travail pour des hommes et des femmes de condition modeste en quête d’une tâche à accomplir pour la journée. La position corporelle participe de la définition de l’attente : « être allongé en train d’attendre » renvoie à la mort et/ou à la délivrance ; tandis que les postures de « debout/assis en train d’attendre » augurent d’un horizon de possibilités.

Dans les traditions mystiques, l’attente caractérise les sentiers d’élévation, les douleurs qui y sont associées sont autant de sacrifices à consentir pour faire émerger peu à peu le chemin à emprunter. Dans la « Conférence des oiseaux », Farid al-Din Al Attar fait l’apologie de l’inconnu et de l’incertain, de l’acceptation de se perdre voire de se brûler dans ce voyage de l’humain vers sa destinée toujours en devenir. Tant d’acceptions défilent, alors que l’humanité aujourd’hui est en attente, d’un remède, d’un vaccin,d’un déconfinement, bref, d’un « après », encore incertain.

 

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