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Abécédaire pour penser autrement: Balcon
Élément familier de la vie sentimentale. Juliette, les mandolines, le clair de lune, et à l’intérieur, loin, dos tourné, l’autorité sévère du clan… Au balcon, c’est l’évasion vers la liberté du dehors, de l’inconfiné, de l’au-delà du mur – muraille ou mur des habitudes et des conventions.
Nos villes tournent souvent le dos au balcon. Souvent, ce dispositif architectural sert juste à grappiller quelques centimètres d’espace où étendre le linge, déposer le panier de courses, stocker lbota ou la machine à laver. Souvent, le balcon est annexé à une cuisine ou un salon, muré de verrières, excroissance absurde sur des façades dépareillées par des familles à l’étroit ou jalouses de leur intérieur. Une ouverture ? Pour regarder quoi et surtout laisser voir quoi de soi et à qui qui soit digne de cette confiance ? Le moucharabieh permettait l’indiscrétion à sens unique – des plantes masquant un vis-à-vis, des stores en feront office. Au balcon, on se montre, on s’expose, on se met en scène, comme au théâtre. Jamais totalement. Qu’est-ce qui, de l’intimité, reste caché ?
Dans cette contemplation du dehors, nous sommes inégaux. Certains ont vue sur rue, large boulevard, panorama dégagé, ciel ouvert. D’autres, sur une cour non entretenue, sur le toit du garage qui y stocke ses déchets, sur le dos du mur surélevé mais jamais blanchi à la chaux.
Qui dit balcon dit prendre de la hauteur, voire s’autoriser la fascination du vide, jusqu’au vertige. Certains y savourent le spectacle du monde. D’autres guettent. Balcon complice de la surveillance à armes inégales, outil de délation et de lynchage. Avatar physique et ancien de la violence anonyme et pleutre du virtuel. Les autorités politiques ou religieuses pontifiant du haut d’un balcon-tribune ne regardent pas leur auditoire droit dans les yeux : elles voient une masse indistincte. Quel type d’interaction cela peut-être, entre concitoyens, quand on les prend de haut avant d’être dévisagé par plus haut placé que soi ? Sans partager la platitude égalitaire du trottoir, où l’on peut dialoguer ?
Chez Gracq, le balcon est en forêt, et ouvre sur la menace lointaine de la guerre. Aujourd’hui, nos balcons s’ouvrent sur le silence de nos villes. Ailleurs, les mots voltigent d’étage en étage, des chants, des jeux et des défis sont lancés. On y dialogue. On y recrée la place publique dont nous sommes privés, on y scande des slogans. On y rêve qu’on construit demain. Ce qu’on construira demain.
Pour aller plus loin :
« Une histoire politique du balcon », Ludovic Lamant, Mediapart, 30 mars 2020 : https://www.mediapart.fr/journal/international/300320/une-histoire-politique-du-balcon
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Kenza Sefrioui
Kenza Sefrioui est docteur en littérature comparée, de l'Université Paris IV-...
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