
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Le grand essor de ce qu’on appelait alors« nouvelles technologies d’information et de communication »(NTIC) a poussé, dans les années 1980, l’émergence d’études sur les usages décrivant « ce que les gens font effectivement avec les objets techniques »[1]. Par objets techniques ou technologiques de l’époque, on entend entre autres le magnétoscope, la télécommande, l’ordinateur de bureau et le répondeur téléphonique. L’idée derrière ces études est de saisir l’usage de ces artefacts et les mutations sociales qu’ils génèrent tout en relatant le caractère structurant de ces mutations sociales sur ces artefacts. Cette analyse des objets technologiques vient marquer une rupture avec le déterminisme ayant longtemps régné comme mode de pensée et d’analyse linéaire traitant l’innovation comme une boite noire schumpetérienne dont seules les conséquences « positives » sur l’économie comptent.
La sociologie des usages, le socioconstructivisme, les théories évolutionnistes, etc. sont plusieurs appellations qui déversent dans la même voie : porter une vue nouvelle sur les innovations technologiques en déplaçant leur champ d’analyse vers le processus entourant leur émergence et évolution. Dans cette optique, Rosenberg (1982)[2]avance que la conception et la qualification des objets technologiques se poursuivent jusque chez l’utilisateur final. Autrement-dit, lelearning by doing élargit le champ d’innovation jusqu’aux utilisateurs qui s’approprient l’innovation, l’utilisent dans un environnement donné et développent conséquemment des savoirs et des savoir-faire. En poussant la réflexion encore plus loin, la théorie de la traduction (Callon, Latour et Akrich) adopte une vision anthropologique pour saisir les objets technologiques dans leur genèse à travers une analyse de leur rôle en action. Ainsi, les manipulations possibles et les compétences requises se précisent en même temps que l’objet technologique.
Cet intérêt pour le processus de l’innovation technologique et les conditions qui entourent son essor et évolution sont toujours d’actualité et en force depuis que le contact avec le monde extérieur et la socialisationse résument à un click(en effet, des milliers de clicks par jour: télétravail, cours en ligne, réunion familiale, achat en ligne, coucou à la voisine d’en face, etc.) ;que la figure de l’usager des technologies a migré de l’adepte précoce fervent des TIC au novice qui doit s’approprier son joujou technologique et le démystifier pour remplir son formulaire d’aide covid-19 et suivre l’état de paiement ; et que le « restez chez toi » a accentuée davantage l’abolition de barrières entre vie-privée et vie professionnelle.
Un objet technologique se définit et se redéfinit en continu par son usage, son appropriation et son contexte. Une dynamique dans les deux sens qui se réinvente perpétuellement.
[1]Serge Proulx, « La sociologie des usages, et après ? », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 23 janvier 2015, consulté le 12 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/1230 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.1230
[2] Rosenberg, N. 1982. « Learning by using », dans Rosenberg, N. (Eds), Inside the Black Box: Technology and Economics, Cambridge University Press, Cambridge.
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Titulaire d’un Ph.D en sciences de la gestion de l’Université du Québec à...
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