Abécédaire pour penser autrement: Fake News

Comment s’étonner de l’ampleur que prend le phénomène des fake news en ces temps de pandémie et de confinement généralisé ? En temps normal, on parle couramment de diffusion « virale » pour tout type d’information qui envahit la toile ; ce serait donc actuellement une circulation virale se rapportant à un temps du virus. Les fake news actuels sont très variés et reflètent des courants d’opinion souvent antagoniques. Des fausses annonces de diffusion du covid-19, des médecins faisant la promotion de remèdes incertains, de fausses décisions attribuées aux instances étatiques, et différents types d’informations qui relèvent de la théorie du complot, et qui reflètentdes luttes à caractère mondial, et principalement la crise du leadership américain et la guerre commerciale entre les U.S.A et la Chine. Au niveau des représentations culturelles, ce sont les affirmations puisées dans la tradition théologique faisant de la calamité une sanction divine ou une annonce de la fin des temps.

En fait, le terme anglais fake newsest difficilement traduisible par « fausse information », il peut aussi signifier information erronée, insuffisamment vérifiée, ou transmise par erreur. C’est pour cela que dans une perspective historique, le phénomène me semble relever du mensonge et / ou de la rumeur. Au niveau de l’histoire politique, la pratique du mensonge est liée à l’image de l’historien de cour qui déforme les faits pour faire l’apologie d’un souverain ou d’une dynastie, et dénigrer un opposant ou un dissident. Dans les sociétés musulmanes, le révolté est souvent qualifié de dajjâl (Antéchrist). Il y a sept siècles déjà, la Muqaddima d’Ibn Khaldûn évoqua ces usages dans sa critique des historiens de son temps. L’historien a tendance à falsifier les faitsquand il enregistre les événements du présent, il fait de même quand il raconte des événements du passé. Dans le deuxième cas, il s’agit plutôt d’une manipulation de la mémoire collective.

Le fake news relève aussi de la rumeur qui constitue elle aussi un phénomène très ancien. Au niveau historique, l’on sait que la rumeur est souvent liée aux peurs collectives, au malaisesocial porteur de germes de révolte. Les sciences sociales ont récemment réhabilité la rumeur comme objet d’étude au-delà de son caractère anecdotique ou marginal. Je pense notamment à l’ouvrage de Philippe Aldrin, Sociologie politique des rumeurs (2005) ; l’auteur en arrive à considérer la rumeur comme un marché parallèle de l’information, et un moyen que les acteurs politiques utilisent pour contourner les contraintes informationnelles dictées par la modernité politique, telles que la transparence et la distinction entre espace public et espace privé.

Le fake news est un prolongement de pratiques sociales héritées du passé, mais il est en même temps inséparable du paysage médiatique lié à la globalisation. Autoroutes de l’information, connexion entre les médias et les réseaux sociaux, multifonctionnalité du smartphone, progrès impressionnant de l’intelligence artificielle, et omnipuissance des G.A.F.A. L’ambivalence affecte différents aspects de cette évolution. C’est une démocratisation de l’accès à l’information et de la production de l’information, mais ce sont aussi toutes sortes de dérives porteuses de désinformation, entre autres du fait que la diffusion virale signifie des bénéfices substantiels des annonceurs qui accèdent par là-même à l’information délimitant les profils des consommateurs potentiels. Rappelons aussi que le progrès technologique facilite la manipulation de l’image en même temps qu’il favorise la détection de la manipulation. Il est révélateur que dans la crise sanitaire actuelle, aux fake news succèdent des communiqués de mise au point dans les médias publics lorsque la désinformation risque d’entraîner des phénomènes de panique ou de nuire à la bonne gestion du confinement.

Les fake news ont aussi une portée plus large qui suscite l’intérêt de la philosophie politique. Dans La faiblesse du vrai (2018), Myriam Revault-d ’Allonnes relie l’usage des fake news à la notion de « post-vérité » qui a envahi le champ politique et médiatique dans le contexte du Brexit et de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, événements corrélatifs de la montée des populismes et de la crise des démocraties représentatives dans différentes régions du monde. Il s’agit d’un véritable brouillage de la ligne de partage entre le vrai et le faux, et d’un nouveau « régime de vérité » qu’il faut situer dans l’histoire du rapport entre vérité et politique.

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