Chercher au-dedans la vérité du dehors ou chercher au-dehors la vérité du dedans. L’antagonisme doctrinal est plus exaspéré aujourd’hui que jamais, surtout que le moment de crise invite inéluctablement l’humain à (re)penser son existence, son chemin, son temps perçu, vécu et projeté dans un univers visible qui se veut objectif, et un monde fait d’expériences (quasi) subjectives : l’être.

Ce partage, au moins apparent de l’expérience en extériorité et inétriorité, ne saurait être réduit à une séparation où l’intérieur est l’en deça d’une frontière ou d’un espace cerné par une clôture. Dans cette acception, l’intériorité se forme exclusivement par le langage de l’extériorité.En se saisissant comme intérieur à lui-même, c'est-à-dire comme esprit, l’homme a l’intuition, explicite ou confuse, à la fois d’une originalité et d’une dignité : tout en étant une part, infime, de la nature et de la société, il se trouve, par rapport à cette nature et à cette société, non pas exactement au-delà et ailleurs, mais à la fois vertigineusement décentré et intimement recentré. Et cette distance sans distance est source d’exigence à l’égard de la nature et de la société ; elle permet de juger et de dépasser toute objectivité ; le subjectif, si fugitif et superficiel qu’il soit, étant toujours l’inobjectivable.

Cette intériorité, à la fois vide et plénitude, reflet et miroir du dedans et du dehors, demeure la lumière révélatrice du sens et du nons sens, où objectivités et rationalités s’entrelacent avec mystiques et poésiespour tisser un vêtement de vérité qui laisse transparaître de ses porosités des filets de subjectivation du monde. En effet, comment évacuer l’idée selon laquelle l’intériorité est l’être de l’homme et un vide au cœur de son être, où les portes métaphysiques entrouvertes vers le dessous du je(u) et le principe des choses nourrissent une propriété qu’on ne peut partager pleinement ? Cependant, la séparation et la solitude créées par les différents confinements génèrent les besoins de nature et de culture, de langage des choses et de discours d’autrui qui nous disent objectivement une vérité subjectivement insaisissable. Quelle alternative ?

La renaissance de la métaphysique avec Bergson nous invite à redécouvrir l’intériorité sous forme d’une intuition de la durée comme donnée immédiate de la conscience et créativité substantielle, où cette durée est la médiation entre création de mondes (propriété des démiurges) et appréhension de la matière dans une totalité objective (vision Hégélienne, voire marxiste). Cette vision du complexe d’intériorité-extériorité apparaît comme substantialiste à la phénoménologie contemporaine avec husserl réinventant le cogito en conscience universelle, de soi et pour soi, comme elle est étrangère à Saint-Augustin : « C’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité ». Cette conscience universelle, surtout en temps difficiles, incite les êtres, comme des sujets pensants et agissants, à faire de l’intériorité une révélation de sens où la subjectivité demeure le réel fondement de toute objectivité. Notre rapport au temps et à la durée nous invite enfin à reconsidérer nos chemins et leurs expériences dans une relation moins prévisible, plus humble, plus en phase avec un principe, aussi subjectif soit-il : s’attendre à l’innatendu (Edgar Morin).

M. Ibn Arabi, L'Harmonie parfaite, Albin Michel, 2001

Saint Augustin. Les confessions. Trad. E. Tréhorel & G. Bouissiou. Bruges-Parie, 1962

K. Marx & F. Engels. L’idéologie allemande. Trad. H. Auger & G. Badin & al. Pensées éd. Paris, 1962

H. Bergson. Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), éd. Arnaud Bouaniche, Paris : PUF, coll. « Quadrige », 2007, 322 p.

E. Morin.  Mes philosophes, éditions Germina, coll. « Cercle de philosophie ». Paris, 2011

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