Abécédaire pour penser autrement : Phobie

« I can’t breathe »

La phobie est un mot français, issu du grec ancien phóbos, qui peut être collé comme suffixe à tous ceux qui manifestent une peur irraisonnée : islamophobie, arabophobie, amazighophobie, homophobie,…il n’a pas d’équivalent ni en arabe ni en amazighe et on utilise « alfubya » en arabe, qui pourrait être amazighisé en « tafubit ». La phobogène renvoie à tout ce qui provoque la « phobie ». Il ne s’agit pas de la peur proprement dite, mais en résulte. On commence par la peur pour arriver à la phobie. Cette dernière est un sentiment individuel qui peut être collectif et à ce moment là il provoque des comportements culturels, transmis de génération en génération, et sèment une crainte démesurée. La phobie est l’aboutissement d’un certain nombre de représentations négatives sur l’Autre, être humain soit-il,(ex. juifs, musulmans, arabes,…) animal (ex.chat), insectes (ex. Cafard, araignée,…) ou même une situation donnée (ex. examen, concours, visite médicale,…) en imaginant un danger irréel. Ce phénomène relève plus de la psychanalyse que d’autres domaines, et c’est pour cela il fait parti des concepts majeurs dans les analyses de Freud, mais les différentes sciences sociales peuvent aussi faire recours à ce terme pour analyser une situation donnée.

La pandémie Covid-19 a provoqué une situation de « phobie » unique en son genre : avoir peur de tout et de rien. Les personnes sous l’influence des masses média vivent des situations de crainte irrationnelle à cause de l’impact des statistiques élevées des morts. Si les mesures de précautions s’imposent par la force de la pandémie, l’excès de la consommation des discours médiatiques même contradictoires sur le Covid-19 transforme l’individu en « personne peureuse » marquée par le « toutphobie » (avoir peur de tout) : les poignés de la porte (maison ou voiture…), l’ascenseur, les légumes, les pièces de monnaies, le papier,…et toute personne y compris les plus proches. Si le danger existe, le discours produit sur le virus est plus dangereux que la pandémie elle-même. En conséquence, les médecins conseillent leurs patients de ne plus voir les médias.

Historiquement, les historiens nous rapportent la phobie exprimée par les colons envers les « indigènes », ce qui a donné la séparation de la médina réservée aux autochtones de la ville nouvelle destinée aux Européens. Les frontières s’installent ainsi. Les « Expositions coloniales » organisées en Europe où les Africains noirs sont exposés aux cotés des animaux, plantes et maisons indigènes, nourrissaient ce sentiment de peur de l’Autre, en lui collant une série de stéréotypes négatives, véhiculées aussi par les manuels scolaires et les affiches des spectacles. A ce niveau les Marocains ne font pas exception, mais à un degré différent. La culture populaire marocaine qu’elle soit en arabe ou en amazighe garde encore des traces de cette « noirophobie ». Aux yeux des Marocains « blanc », le noir a une côte de plus, « del3a zayda) et c’est pour cela il est plus fort et fait peur. C’est un être humain hors norme. Ils collent ainsi tout ce qui est mauvais à la couleur noire et la peur du chat noir en est la preuve. « Le cœur noir » renvoie à la méchanceté et la non pitié.

Ceci n’a pas beaucoup changé malgré tous les discours sur l’égalité des êtres humains. Les émeutes des Etats-Unis, suite à l’assassinat de l’américain noir Floyed en criant « I can’t breathe », devenu slogan international contre le racisme, révèlent la persistance de la phobie contre les noirs. A vrai dire, Floyed ne pouvait plusrespirer non pas uniquement à cause du genou du policier sur son cou, mais de toute la maltraitance historique des noirs qui a donné une « phobie », à, tel point que des lois étaient promulguées pour interdire tout contact entre blanc et noir. Les noirs de France ont également saisie l’occasion pour se manifester contre le même racisme, oubliant, qu’il soit aux USA, en France et ailleurs, tous les discours produits sur le danger du Covid-19 et la nécessité d’une distanciation physique. Au coté de la couleur, la religion est aussi un sujet de phobie. L’héritage de la période coloniale qui s’ajoute à la longue période de conflit islamo-chrétien nourrit chez une partie des Européens la peur du musulman qui devient plus tard « islamophobie », et de l’autre côté, l’interprétation de quelques textes religieux qui s’ajoute aux conséquences du conflit arabo-israélien depuis 1948 donne naissance à l’antisémitisme ou la phobie contre les Juifs. Sur un autre registre, la phobie peut se transformer en matrice d’un discours politique. C’est le cas des partis d’extrême droite  en Europe contre les immigrés.

Devant les différentes phobies réciproques qui existent, le chemin est encore long pour que l’humanité arrive à instaurer son « vivre ensemble ». Les plus sensibles à ce principe sont appelées à multiplier leurs efforts pour qu’il trouve sa place au sein des manuels scolaires, programmes audiovisuels, discours religieux. Nous avons besoin de compagnes de sensibilisation contre toute sorte de phobie contre l’être humain, qu’il soit sur une base religieuse, raciale, linguistique, ou appartenance sociale. Le chemin est peut-être long, mais le cri de Georges Floyed résume tout « I can’t breathe ».  

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