Je n'aime pas avoir du temps, j'aime le voler, qu'il soit précieux et difficile à conquérir, qu'il soit rare et court. J'ai besoin de l'effort, de devoir jongler pour en créer, de tout bousculer pour faire jaillir un instant entre deux mouvements.

Je n'aime pas le temps offert ou disponible, j'aime qu'il soit subtil, volatile et évanescent, ou alors élastique, à la mesure de mes envies, de mes humeurs, de mes inspirations. Je rêve d'un temps ajusté qui me laisse battre la mesure à mon rythme, effréné, déréglé. Un temps qui soit un défi constant, qui nous force à tout réguler pour le narguer avec subtilité quand on épargne un peu.

Il est imperturbable, ordonné, et nous enchaine de ses lois immuables, de sa discipline imposée, de son tempo fixé, nous concédant parfois quelques secondes, pour nous leurrer, nous faire insidieusement croire que nous menons la danse. De ses pas faussement réglés et ajustés, il nous rassure, nous piège, puis, sans prodrome, il se déchaine et nous entraine dans une contredanse affolée, saccadée, presque à contre sens, vers un chaos tempétueux dont on ne peut se libérer qu’en plongeant dans des rêves intemporels.

Il est parfois pervers et capricieux, s’accordant peu à nos revers, s’accélérant dès qu’on le sollicite et se dilatant lorsqu’il devient inutile.

Je rêve d’un temps assoupli, modulable, bienveillant qui fermerait un peu les yeux, et qui sur nos urgences, serait un peu plus clément. Un temps qui s’accorderait, s’adapterait, mais avec parcimonie, car du temps en trop ne serait plus un luxe, ce serait une bataille perdue, qui n’aurait plus de raison d’être, une victoire par abandon, un forfait déclaré, une victoire inutile…

Aujourd’hui il se met à notre disposition, ce n’est surement pas ainsi que l’on imaginait en avoir à profusion. Que faire de ce temps offert, sans gloire ni mérite ?  Il a perdu de son éclat, est devenu abondant, banal, ordinaire.

Il nous fait réfléchir sur tous les temps perdus, nous force à temporiser, à décaler dans le temps tous nos projets en attente.

Du temps qui presse nous en sommes arrivés à passer le temps, pour le tuer à petit feu, pour qu’il redevienne précieux…

  « Chacun pleure à sa façon le temps qui passe Â»

Louis-Ferdinand Céline ; Le voyage au bout de la nuit

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