Abécédaire pour penser autrement : Territoire

Le territoire questionné par la crise du Covid19 et la politique de dissociation sociale

L’économie territoriale nous a appris que la mise à distance des personnes n’a pas uniquement des effets géographiques ou spatiaux, mais qu’elle conduit à une perte des échanges et des repères.  C’est la recherche de proximité géographique qui explique la constitution des villes et des agglomérations urbaines, associée à la recherche du contact, des interactions de la vie en société, qui relèvent de la proximité organisée. C’est de leur combinaison que naissent les économies d’agglomération, qui sont des externalités positives dont bénéficie tout habitant et auxquelles il aspire en se localisant dans des zones densément peuplées.

Mais en temps de pandémie cette causalité vertueuse se trouve renversée car le risque de diffusion devient bien plus important au cœur des villes ou des cités. Des rencontres régulières et répétées, des interactions de face-à-face, des contacts, voilà tout ce qu’apprécie le Covid-19[1].  La proximité géographique, jusqu’alors recherchée pour ses bénéfices, devient une source d’inconvénient majeurau risque de la maladie et de la mort[2].

Or il faut bien le reconnaître, la mise en œuvre du principe de distanciation sociale (social distancing) bouleverse quelque peu cette combinaison « vertueuse » proximité géographique/proximité organisationnelle à la base de nombreux succès-stories territoriaux.

 D’une part, la proximité géographique est exacerbée et se révèle être aussi un impitoyable révélateur des inégalités et fractures sociales. Pour une très large partie de la population, la dissociation sociale devient difficile voire intolérable. Il en est ainsi dans les quartiers défavorisés des pays développés que dans les économies émergentes dans lesquelles une bonne partie de la population vit d’activités informelles, qui nécessitent des contacts physiques et sociaux quotidiens, et ne dispose pas d’une épargne ou de revenus suffisants pour pouvoir cesser toute activité pendant une période même assez courte. Dans les bidonvilles ou les favelas comme dans les quartiers populaires des pays développés, la proximité géographique mortifère s’impose aux employés, aux ouvriers et aux travailleurs précaires.

D’autre part, une autre partie de la population très surévaluéeparles médias,   les classes moyennes ou dites intermédiaires travaille dorénavant à distance avec le télétravail qui se développe en parallèle avec d’autres modes d’interaction à distance comme la télémédecine ou même une bonne part de l’enseignement. Les relations à distance se substituent aux interactions de face-à-face. Tout aussi sociales que ces dernières, elles actent la séparation des corps et des personnes par le développement d’Internet et des réseaux sociaux. C’est la proximité organisée, d’essence relationnelle et non géographique, qui est sollicitée.

Ainsi au couple proximité géographique/proximité-organisationnelle, la dissociation sociale propose l’alliage d’une composante purement physique, la distance et la composante sociale fondamentale qui préside à toute relation humaine ou vivante. On le voit, l’éloignement ou le rapprochement ne sont pas seulement une affaire physique et la perturbation apportée par la dissociation sociale débouche sur des questions lourdes concernant le devenir de réalité territoriale dans la perspective du monde d’après.

  • Ces personnes qui ne se voient plus, ne se touchent plus, forment-elles encore une société, ou une agglomération, un territoire d’acteurs ?
  • Les politiques publiques peuvent-elles jouer un rôle dans le maintien d’un lien social et de cohésion territoriale face à l’absence de contact social ?
  • La distinction sociale et spatiale entre ceux qui sortent et/ou peuvent sortir et ceux qui restent isolés introduit-elle une nouvelle fracture sociale et spatiale ?

 


[1] [1] Ce n’est pas un hasard si le Covid 19 a frappé le plus  durement  les fameux districts industriels de la Troisième Italie exemples types de cette coordination territoriale entre de nombreuses entreprises

 

[2] André Torre « Éloge de la distanciation sociale » les Echos 29 mai 2020

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