Télévision hors-service public

L’autre jour, au gré d’une rencontre organisée par un groupement d’associations militant contre le racisme au Maroc, sous le slogan pertinent de « Je ne m’appelle pas Azzi », le cinéaste Noureddine Lakhmari a dit, à juste titre, que « le premier canal qui conforte le racisme au sein de la société marocaine est la télévision ». Dans une toute autre réunion, tenue un mois plus tôt, par un autre groupement d’associations, concernées pas les droits de l’homme, le journaliste Abderrahim Tafnout a déclaré que « notre télévision est le joujou d’une poignée de privilégiés ». Et dans une rencontre, plus mondaine, tenue il y a plus d’un an, Fayçal Laraïchi qui préside à la destinée du pôle audiovisuel public, a dit, non sans fierté, « nous sommes l’une des rares télévisions publiques au Monde qui continuent de faire des taux d’audimat élevés ».

Avec le recul, je me rends compte que ces trois énoncés sont tout aussi vrais et vérifiables l’un que l’autre et que, malgré l’opposition apparente entre leurs énonciateurs, mis côte à côte et réinterprétés, ils nous aident à saisir une réalité troublante. Il en ressort, ainsi, que notre télévision publique, dont tiennent les rênes des rentiers du système, eux même bien entretenus, veillent à ce que le taux d’ignorance général reste en l’état pour maintenir la dépendance du plus grand nombre à leurs programmes, quitte à leur asséner, à l’occasion, des clichés et stéréotypes, populistes, racistes, discriminatoires, irrespectueux de la multitude. Cela les conforte dans leurs préjugés et renforce leur dépendance.

Ceci est bien évidemment une libre interprétation de discours disparates à partir de faits observés. Mais gageons, toute subjectivité assumée, que cela n’est pas dénué de sens. Se pose à nous, alors, la question suivante : qu’est-ce qui fait qu’une télévision est au service du public ? Réponse par l’absurde : déconstruisons, un à un, les trois énoncés de départ.

Commençons par le pouvoir décisionnel et éditorial qui revient jusque là à « une poignée de privilégiés ». Le critère majeur qui préside à l’éthique du service public n’est pas seulement la compétence technique des directeurs et rédacteurs en chef d’une chaîne de télévision publique, mais leur propension à être équitables, non aliénés à un clan du pouvoir, à l’écoute de la multitude autour. Inutile de le rappeler, la somme des intérêts particuliers n’équivaut jamais à l’intérêt général. Or, tant que les directions des télévisions sont autistes par rapport à la réalité, à la liberté des journalistes, occupées à maintenir l’ordre établi, la cause est perdue.

 Elle l’est, d’autant plus, que la religion de l’audimat, maintenu à coups de feuilletons importés à bas prix, de divertissement produit en vrac, d’informations trop policées, de courbettes sur représentées, leur donne l’impression d’une efficacité permanente. Or, cette conception là de la télévision comme outil de propagande d’un état d’esprit de soumission et de fatuité, est sous-tendu par un mépris du public et une infantilisation permanente de l’opinion publique. Comme si le pays est peuplé de spectateurs non émancipés.

Et c’est à partir de cette conception dédaigneuse que se distille naturellement, sans garde-fous ni prudence éditoriale, le racisme ordinaire, qui suinte d’informations à la hâte sur les subsahariens, des personnages clichés d’un téléfilm local qui maltraitent leur bonne à tout faire, d’une publicité rabaissant la femme, d’un talk show sur la misère des gens, etc. On oublie que se mettre au service du public, c’est certes le divertir (et même sur ce point, l’intelligence est toujours permise), mais c’est d’abord l’aider à s’éveiller, s’élever et saisir le monde autour.

Tant que l’enjeu dans notre télévision n’est ni la prise en compte du réel, ni l’émancipation du public, l’éthique du service public nous manquera cruellement. Et tant qu’elle n’est pas intégrée, les dégâts des images qui passent resteront incalculables. 

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