Variations sur les tweets prophétiques

Un tweet, en plus d’être un message bref, précis et percutant en ligne, est également un gazouillis, l’alerte d’un son venu d’ailleurs, et dans une définition moins châtiée, un pet, une flatulence provenant de l’intérieur de soi. Ainsi va l’étymologie au début du XXI° siècle, elle puise dans la culture pop américaine ses origines lexicales, comme hier, les tenants de la haute culture le faisaient à partir des racines en latin. Et quand nous découvrons ces acceptions naturelles (animales) d’un phénomène culturel, technique et virtuel, cela nous rappellele caractère anodin, quasiment insignifiant, des tweets, pour ne pas dire leur fatuité. Et pourtant, avec déjà plus de 500 millions de comptes, une capacité inouïe à créer de la polémique à 140 à l’heure, ces mini messages viraux ne passent pas vraiment inaperçus. Mieux encore, il leur arrive d’être perçus comme des prophéties, des prémonitions.

Un épisode m’a permis de confirmer cette illusion répandue. C’était en janvier 2011. Je suivais avec des adeptes engagés de la twittomania, l’évolution heure par heure des insurrections, révoltes, coups de sang et coups de gueule arabes. Sur le dossier égyptien, ils étaient les seuls, face aux consommateurs de chaînes satellitaires, facebookiens et autres terriens connectés, à prévoir -je dis bien prévoir, non informer- les marées humaines et leur impact sur le cours des choses. Ils étaient même les seuls à prédire –je dis bien prédire, non pronostiquer- et avec fermeté et conviction, la chute de Hosni Moubarak. Derrière cette capacité inédite à devancer l’information au lieu de la reporter, comme ont l’habitude le faire les agences d’information et media classiques, une révolution que l’un des plus grands spécialistes des nouveaux media, Henry Jenkins, appelle « la revanche du public, comme diffuseur d’information ». Je dirais d’une nouvelle élite, hyper connectée, dont les membres ne se comportent plus en « intellectuels organiques » diseur de vérités, mais en « connecteurs organiques » relayeurs de faits, affranchis des filtres de l’Establishment.

Mais alors d’où vient cette idée reçue de tweets prophétiques ? J’ai incidemment trouvé un élément de réponse dans une autre étymologie, arabe celle-ci. Les mots, information (naba’a) et prophète (nabi’) sont des frères siamois. Selon le dictionnaire encyclopédique, Lissan Al Arab, était appelé prophète, celui qui rapportait les informations des aïeuls. Contrairement à la culture gréco-romaine où l’oracle est l’ancêtre du messager de Dieu, notez ici que c’est celui qui maîtrise le mieux les ressorts du passé qui saurait montrer la voie de l’avenir. Dans une publicité très vite évacuée des circuits commerciaux, Steve Jobs, l’ingénieux créateur d’Apple –appréciez la connotation biblique-, a fait la promotion du premier I-phone, comme si c’était le téléphone de Dieu. Descendant, comme autrefois Moïse du Mont Sinaï, il avait entre les mains l’engin connecteur par excellence entre le passé et le présent, l’individu et Dieu et l’individu et la communauté. Faites le rapprochement. L’étymologie, latine cette fois-ci, de religion (religare) veut dire exactement la même chose : relier l’homme à soi, à l’autre et à la transcendance. Alors qu’est-ce que tout cela veut dire au fond ? Peut-être bien que la communication est la nouvelle religion planétaire. Et ne le prenez surtout pas pour un tweet prophétique.

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