Travailler dans l’ombre du père

Jiro Ono, chef sushi japonais, est une légende vivante. Depuis plus de 70 ans il améliore son art. Le Japon l’a déclaré « Trésor National » et les spécialistes du Guide Michelin lui ont accordé 3 étoiles. Pourtant le « restaurant » est installé dans le métro de Tokyo, il ne dispose pas de toilettes privées et ne peut accommoder que 10 convives en même temps sur des tabourets de bar.

Mais quel rapport entre le documentaire de David Gelb[1] et l’entreprise familiale ?

Tout !

Ce restaurant est la passion d’une vie, très tôt marquée par les épreuves, puisqu’à 9 ans, Jiro est renvoyé de chez lui. C’est à ce moment là qu’il commence à « fabriquer » des sushis. Mais depuis plus de 70 ans, ce père, un travailleur acharné qui n’aime pas les vacances et se rend tous les jours à son travail, a placé son art et son entreprise au-dessus de tout.

Ce documentaire est prisé par les équipes de dirigeants et de formateurs en management car il illustre parfaitement le concept de kaizen, ce processus d’amélioration continu prôné par les entreprises japonaises. Mais les apports de ce documentaire ne peuvent se limiter à la recherche d’excellence du fondateur et David Gelb en dit long sur les relations père enfants au sein de l’entreprise familiale dans une société patriarcale.

Jiro Ono a deux fils, tous deux maitres sus[2].

Yoshikazu, l’aîné, travaille depuis toujours avec son père. C’est lui, qui sur sa bicyclette, arpente les marchés aux poissons et s’assure de la qualité de la matière première. Une fois de retour au restaurant, c’est sous l’œil toujours vigilant de son père qu’il exécute les sushis. Ce dernier rappelle d’ailleurs que « chacun doit consacrer sa vie à la maîtrise de son art. » Pourtant, au détour d’une scène, c’est sur un ton résigné excluant toute possibilité de combat, que Yoshikazu explique « il n’y a rien que je puisse faire pour être à sa hauteur». Dure réalité, que celle qui oblige le fils aîné, successeur désigné et naturel de l’entreprise familiale, à entrer en compétition permanente avec son père, cette légende vivante, sans aucun espoir d’y arriver.

Takashi, le fils cadet, a passé lui aussi toute sa vie professionnelle à préparer des sushis. Après un long apprentissage auprès de son père, et n’ayant aucune possibilité de lui succéder, il ouvre une antenne du restaurant de son père dans un autre quartier de Tokyo. Ce restaurant est l’exact miroir de celui de Jiro, puisque le père est gaucher et son fils droitier.

Interrogé sur la capacité de Yoshikazu à lui succéder, Jiro répond « il doit juste se maintenir à la hauteur pour le reste de sa vie ».

Quels enseignements ici sur la pérennité de l’entreprise familiale ?

La génération des fondateurs et des pionniers a une relation passionnelle avec l’affaire créée. Cette passion, cet amour ne se transmet pas toujours aux générations suivantes, et surtout il doit être suscité et entretenu, sans pour autant devenir obsessionnel.

On considère généralement que pour que le passage de témoin d’une génération à l’autre puisse se faire dans de bonnes conditions, il faut qu’il y ait accord des volontés entre le transmetteur et le successeur désigné.

Pourtant, au Maroc, comme au Japon, deux sociétés traditionnellement patriarcales, les pères ne cherchent pas l’assentiment de leurs fils. Les dés sont joués d’avance !

 

 

[1] « JiroDreams of sushi » (2011), documentaire de David Gelb, Magnolia Pictures.

[2] Certains commentateurs considèrent d’ailleurs qu’ils y ont été forcés.

 

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