Peut-on faire confiance aux robots traders? (Suite)

Si certains (pour ne pas nommer les lobbyistes à la solde des hedge funds) vantent les mérites du Trading à Haute Fréquence, à savoir l’apport de liquidité au marché et l’amélioration du processus de formation des prix, la majorité  des observateurs, quant à eux, s’inquiètent des risques de manipulation et de dysfonctionnement que l’intelligence artificielle fait courir aux marchés financiers.

En effet, dans la guerre de la vitesse, les manipulations sont légion. On se contentera ici de citer deux techniques de manipulation que permet le Trading à Haute Fréquence:  

Comme le premier arrivé est le premier servi, le quote stuffing est une technique de manipulation qui consiste à « bourrer » la cotation avec des milliers d’ordre, répétitifs, dénués de logique économique et annulés dans la foulée[1], afin d’être placé dans le peloton de tête et de saturer la plateforme de trading empêchant ainsi les concurrents d’y accéder. Le quote stuffing peut également avoir pour buts de brouiller les concurrents et masquer les réelles intentions de trading ou encore de ralentir les concurrents en leur faisant perdre du temps à analyser ces milliers d’ordres inutiles.

Le spoofing est une autre stratégie qui consiste à soumettre un nombre important d’ordres au marché de manière trompeuse sans aucune intention de les exécuter, dans le but de manipuler les carnets d’ordres à l’achat (ou à la vente) afin de déclencher un mouvement de hausse (ou de baisse) artificiel avant de les annuler et de passer des ordres réels dans le sens inverse.

Bien sûr, les investisseurs mal intentionnés n’ont pas attendu la technologie actuelle. Les manipulations ont toujours existé sur les marchés financiers, cela dit, aujourd’hui le Trading à Haute Fréquence les rend très difficilement détectables et répréhensibles par les autorités des marchés n’ayant  pas les moyens d’analyser des dizaines de milliers d’ordres passés à la seconde.

Pire encore, les investisseurs, qui réalisent que « le jeu est truqué » et que la fraude est généralisée,  tentent d’échapper aux robots fraudeurs en s’orientant, de plus en plus, vers les dark pools (des plateformes d’échange privées et totalement inaccessibles aux autorités de régulation) ce qui a pour conséquence d’augmenter davantage l’opacité sur les marchés.

Par ailleurs, au-delà de ces manipulations volontaires, le Trading à Haute Fréquence introduit également un risque opérationnel qui augmente la volatilité des cours et l’instabilité des carnets d’ordre. On se limitera ici à citer deux exemples récents de dysfonctionnements qui ont entrainé des répercussions très graves sur les marchés.

Le 6 mai 2010, un ordre automatisé transmis par un robot provoque un « crash boursier éclair » faisant disparaître temporairement environ 1000 milliards de dollars à la bourse de New-York. Lorsqu’un courtier ordonne la vente de 75.000 contrats à terme d’une valeur de 4 milliards de dollars, l’exécution de cet ordre, grâce au Trading à Haute Fréquence, n’a pris que vingt minutes au lieu de quatre heures nécessaires normalement. Dans un marché particulièrement tendu par l’actualité mondiale (la crise grecque), cette opération a déclenché un effet domino. Les robots se sont échangés massivement les titres à une très grande vitesse comme s’il s’agissait d’une « patate chaude »[2] et les marchés ont réagi par des fluctuations de cours erratiques et aberrantes. Des titres ont baissé à 1 cent (Sotheby’s ou Apple) alors que d’autres titres ont grimpé à 100.000$ (Hewlett-Packard) sans aucune justification économique. Afin de rétablir la situation, les autorités n’ont eu d’autre choix que de débrancher les machines pendant 5 angoissantes secondes.

Autre exemple, le 23 avril 2013, un faux tweet publié sur le compte piraté de l’Associated Press a annoncé que des explosions à la Maison Blanche ont blessé le président Barak Obama. Bien que l’agence ait immédiatement suspendu son compte et démenti cette annonce, la rumeur revendiquée par de mystérieux pirates de l’« Armée électronique Syrienne » a créé un vent de panique sur le marché. Wall Street a chuté et 136.5 milliards de dollars se sont évaporés pendant vingt minutes. Les spécialistes se sont alors principalement inquiétés de la vitesse de réaction du marché et ont accusé les robots traders d’avoir réagi à ce faux tweet en annulant par précaution un nombre très important d’ordres de bourse d’où la chute. Ils soupçonnent l’intégration par les robots traders de données textuelles venant de sources électroniques comme les rapports de la SEC, les rapports annuels des sociétés ou même des médias sociaux comme Tweeter dans leurs stratégies de trading.

Même si les robots traders sont programmés par des hommes, il est impossible de prévoir leurs interactions. Ce sont des boites noires évolutives dont les propriétaires et les autorités perdent fréquemment le contrôle. On est certainement encore loin de la menace de SkyNet et de la guerre contre les machines évoquée par Hawking, néanmoins, les détournements et les dysfonctionnements provoqués par les robots traders pourraient avoir des répercussions sur l’économie réelle et des sociétés pourraient se retrouver en situation de faillite sans aucun fondement économique.

 

[1] Selon la presse spécialisée, plus de 90 % des ordres sont annulés moins d’une milliseconde après avoir été passés.

[2] Selon un rapport de la SEC, plus de 27,000 contrats furent échangés par les robots traders en seulement14 secondes.

 

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