L’appel à la lecture : l’autre révolution

Le philosophe allemand, Hegel, adorait lire le journal au petit déjeuner. Il disait que c’était « la prière du matin de l’homme moderne ». L’écrivain français, Marcel Proust, fait l’éloge de la lecture de livres qui nous permettent de « recevoir communication d’une autre pensée, tout en restant seul ». René Descartes assimile, pour sa part, la lecture des « bons livres » à « une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs ». Enfin, l’encyclopédiste irakien Al Jahiz estime qu’il est « plus gratifiant de sélectionner les textes produits par d’autres que d’en produire un soi-même ».

L’espace ne le permet pas, mais il ne serait pas inutile de récolter toutes les citations qui rappellent combien la lecture nous élargit l’esprit, nous incite au doute, nous invite à observer et raisonner, au lieu de réagir et s’exciter, et surtout combien elle nous aide à avoir à portée de main des mondes virtuels par le simple accès à une pensée ou un récit. Pourquoi réunir toute cette littérature qui glorifie la lecture ? Pour accompagner ce bel élan, lancé en ligne d’abord, puis dans les places publiques et enfin, dans le tramway, par des jeunes marocains férus de lecture, sous ce slogan qui ne laisse personne indifférent : « noudou te9raw » (Levez-vous pour lire).

L’initiative m’a inspiré deux idées fondamentales. La première, que c'est par la lecture, la multiplication des lieux de débat et d'échange, que tout change patiemment dans les consciences de chacun, que cela est plus fort et plus marquant que l'illusion de changer brusquement la façade pour tous. Je me souviens qu’avant la genèse du mouvement du 20 février, plusieurs de ses initiateurs ont d’abord tenté d’enclencher des agoras, des cafés de philosophie et autres clubs de lecture. Aujourd’hui, une fois le soufflet du soulèvement retombé et le passage par la mobilisation en ligne réussi, l’attitude de militance culturelle à l’origine grossit et se répand. Cette voie est longue mais fondamentalement révolutionnaire, parce qu’à terme, si elle est menée à bien, elle scie la branche ténue sur laquelle repose l’autocratie : l’ignorance et la crédulité de la masse.

La deuxième idée que m’inspire la phrase de Hegel (lire ci-dessus) est que l’appel à la lecture vient compléter, donner plus de choix, voire faire contrepoids, à l’appel rituel à la prière. Cet autre appel donne accès, via la lecture, à la relativité, à la diversité et à la pluralité des voix et des univers. Car il est crucial, dans un espace public qui se modernise, où se développent, l’individualité de chacun et le nécessaire vivre ensemble de tous, que se côtoient pacifiquement et même harmonieusement, l’appel sacré à l’unicité et l’appel profane à la multitude.

En tout cas, il est incroyable comme le plus sophistiqué et le plus interactif des media nous renvoie aussi fortement au media de base, le livre, et à l’acte de lire individuellement. Les deux se nourrissent mutuellement. Et surtout nous rappellent l’essentiel : la sécularisation des esprits. C’est cela qui permet aux croyances de prospérer sans hypothéquer la pluralité. Et c’est cela qui permet de construire, sûrement, par la ritualisation des lieux profanes de savoir et de débat citoyen, les bases d’une autre révolution, culturelle. 

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