Edito 26: Demain, l’entreprise démocratique ?

Le sociologue Alain Touraine, qui vient d’annoncer au monde, tel un oracle, la fin des sociétés déclare à Economia : « Les entreprises devront apprendre à devenir démocratiques ». Voilà qui va à l’encontre de ce qu’on prenait jusque-là pour une lapalissade : « Les entreprises, nous dit-on depuis des décennies, ne sont pas des entités démocratiques ». Sous-entendu, ce ne sont pas des États ; le pouvoir, on y accède par voie de représentation ; leur objectif n’est pas le bien-être de tous, mais le profit de quelques-uns ; et, surtout, l’humain, elles sont censées en faire une gestion optimale qui en préserve les droits fondamentaux et en tire le meilleur parti. Évidemment, les chercheurs en sciences économiques et de gestion ne mettent pas derrière le mot « démocratie » la même acception que leurs homologues en sciences sociales. La démocratie, entendue par ces derniers, ne se réduit pas à des instances, des représentants et des procédures (votes, syndicats, etc.). Nous parlons ici de démocratie dans sa dimension culturelle, délibérative, comme valeur quotidienne, comme droit fondamental, non seulement comme loi ou règlement affiché.

Deux mutations majeures semblent soutenir aujourd’hui cette utopie qu’appelle de ses vœux Touraine. La première est que, vu le recul de l’État-providence, le recours massif à l’équilibre entre public et privé pour soutenir les projets de développement et l’inflation du discours sur la RSE, les entreprises ne sont plus perçues exclusivement comme des sources de profit et des leviers d’investissement mais, partiellement, des partenaires dans la redistribution (fiscale, bien sûr, mais territoriale et sociétale également). La seconde est le rééquilibrage, au profit du basculement vers des sociétés de cols blancs, vers une prééminence des droits et de l’éthique pour chacun, au détriment de l’instauration verticale, de structures et de gouvernance pour tous. Cette tendance se renforce avec la montée dans la bourse des valeurs sémantiques, des concepts de dignité (matérielle, immatérielle et symbolique) et des solutions économiques alternatives, prônant plus de collaboration, de partage et de solidarité.

Tout cela reste bien beau, au vu des tendances mainstream, où les entreprises empruntent parfois aux États, non le meilleur mais le pire : le clientélisme, le délit d’initiés, la survalorisation des rentes et dividendes, et bien entendu la rétention d’information, les passe-droits et autres formes plus ou moins manifestes de corruption. Et puis, regardons comment les entreprises poussent de plus en plus à bout leurs salariés, sous prétexte d’efficacité, sans même leur offrir, en retour, la reconnaissance escomptée. Et surtout, comment, elles craignent que la prise de parole ou la collaboration engloutissent le temps nécessaire à la production, tout en oubliant qu’ils peuvent être sources d’innovation et d’accélération.

Autant dire que le rêve de Touraine est enchanteur mais la réalité, mis à part des cas exceptionnels, est bien plus désenchantée. Mais, demain est une entité en suspens et la possibilité que l’entreprise devienne démocratique ne peut être atteinte que si les États le deviennent autant, que la force participative des acteurs-citoyens exige de telles transformations culturelles. Et les dirigeants sont assez lucides pour en admettre la nécessité

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