E-baiser révélateur

Repassons ensemble le film de cette affaire du e-baiser qui a valu au Maroc les honneurs du Petit journal de Canal+. Deux jeunes collégiens de Nador s’embrassent, Facebook les expose, une sombre association porte plainte, la police les arrête, le procureur les poursuit pour atteinte aux bonnes mœurs, les réactions s’enchaînent en ligne, les amoureux des baisers menacent d’inonder les places publiques, puis les deux jeunes adolescents sont relaxés sans que la poursuite soit abandonnée. De cet épisode, trois leçons me semblent nécessaires à retenir.

Il est clair, deux mois à peine après l’affaire Danielgate, qu’en termes de relations sociales, la morale douteuse, manichéenne et arbitraire de l’Etat est fortement contestée par une opinion publique qui pèse lourd et qui s’exprime de plus en plus clairement dans le nouvel espace né du virtuel. Au fond, en étant permissif envers un pédophile puis rigoriste envers deux amoureux en fleurs, l’Etat marocain s’avère être en déphasage avec une société plus vigilante, rationnelle et faisant la part des choses, entre l’inacceptable et l’anodin.

Le fait d’obtempérer face à une telle pression montre, certes, que l’Etat marocain s’adapte, mais révèle surtout que sur le champ des relations entre sexes –l’affaire des deux filles violées actuellement devant le tribunal le montre également-, la réalité sociologique est en avance par rapport aux normes juridiques. Cela montre que lorsqu’il s’agit de la vie intime des gens, de leur corps et de la violence qu’ils subissent à cet effet par la collectivité, une conscience plus accrue existe et s’oppose aux règles machistes, patriarcales et avilissantes pour la femme qui prévalent.

Le plus choquant, dans l’affaire des deux collégiens, est le passage éclair de Facebook à la justice. Comme si la famille et l’école, comme lieux de débat, d’éducation et de concertation, n’existaient plus. Comme si le jugement de deux jeunes qui s’embrassent (et après ?) allait de soi. Comme si, dans la société, il n’y avait de place que pour l’affichage de soi et le jugement moral ou judiciaire des autres. Comme si le fait qu’une association rigoriste réagisse suffisait pour qu’ils soient mis à nu ainsi en public. Cela prouve, au fond, que nous sommes en phase de passer à une société où les intermédiaires pullulent, mais où les structures d’intermédiation sont en panne.

Le résultat est qu’à chaque fois la rue, réelle ou virtuelle, se trouve en confrontation directe avec les sombres décideurs au sein de l’Etat profond, sans qu’au passage, les structures censées amortir le choc, poser le débat public, interroger les avancées sociales et les anachronismes juridiques, montent au créneau. Cela montre combien l’espace politique, associatif, institutionnel, est creux, peu réactif par rapport au réel. Ce petit baiser virtuel, finalement, est révélateur d’un gros dysfonctionnement dans le réel.

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