Chroniques tunisiennes

Avenue Bourguiba, mardi 29 avril.

Drapeaux, banderoles, en moins de quelques heures, cette coquette artère du centre ville tunisois se remplit de centaines de personnes. Le président Ben Ali, dont les affiches sont placardées dans toute la ville en vue des élections de 2009, s’apprête à s’offrir un bain de foule avec son «ami» Nicolas Sarkozy, en visite au pays du jasmin. Aux alentours du centre ville barricadé, aucun camion n’est venu transporter la horde de jeunes, bardés de drapeaux tunisiens. La spontanéité en Tunisie se monnaye. Une journée de salaire en moins, une ligne de crédit supprimée du fonds de solidarité nationale (le fameux 26-26 source d’inspiration) pour tout manquement à un déplacement officiel. C’est un journaliste tunisien, en grève de la faim à l’occasion de la visite du président français, qui nous l’affirmait. Info, intox, la pratique, en tout cas, sonne vrai, dans un pays où, depuis cinquante ans, paradoxalement, l’incroyable déploiement de filets sociaux a servi progressivement de filets sécuritaires. Par nature, les dictateurs sont rarement bienveillants.

Les chiffres trompeurs

Il était professeur d’économie à la faculté de Tunis. Son domaine de recherche : la pauvreté. Un thème en soi peu subversif, comparé à celui des libertés politiques ou des droits de l’homme. Pourtant ses travaux académiques lui ont coûté sa place. Une mise à la retraite tombée un peu plus tôt que prévue, à la suite d’une publication sur le taux de misère en Tunisie. Officiellement, le taux de pauvreté est de 3%. Par une méthodologie de calcul différente de celle de l’Etat, intégrant les critères entrant dans la composition de l’IDH, l’universitaire voit le taux multiplié par 2. 6% de pauvres contre 3% officiels, rien d’exorbitant, ni même de déshonorant, comparé notamment à la moyenne des pays arabes. Mais en Tunisie, on ne joue pas avec le miracle économique. Notre universitaire l’a compris à ses dépens.

Le chômage, la plaie du miracle économique tunisien

Ils donnent rendez-vous dans un café populaire de Tunis. Un album-photo, témoin de la centaine de manifestations qu’ils ont organisées ces six derniers mois, leur sert de carte de visite. Elle a 32 ans, il en a 28. Une maîtrise en sciences de la vie pour elle et un master en histoire pour lui, tous deux sont membres fondateurs de l’Union des diplômés chômeurs. Le miracle économique tunisien leur a permis de faire des études supérieures, comme 30% de la population, mais pas de trouver du boulot à la sortie de l’université. Ils ne sont pas les seuls : en Tunisie, 20% des jeunes diplômés sont sans emploi. Conséquence du formidable effort de formation de ces 20 dernières années, le chômage des diplômés reflète aussi le manque de souffle de l’économie tunisienne. Alors à Tunis aujourd’hui, tous les espoirs du gouvernement se tournent vers les investissements émiratis pour lesquels une loi vient tout récemment d’autoriser la concession au dinar symbolique de centaines d’hectares du domaine public. Mais en attendant le ton monte. A Gafsa, au sud-est du pays, dans le bassin phosphatier, la colère de jeunes ingénieurs de la région a tourné, en avril dernier, après trois mois de sit-in et de marches pacifistes, en émeutes.

Cité Ibn Khaldoun, quartier populaire d’El Bardo, Tunis.

Sa spécialité, c’est la petite cylindrée. La fourgonnette ou la petite 4 portes à 20 000 dinars. Il y a encore cinq ans, Najib, responsable commercial chez Citroën depuis près de 20 ans, en vendait une cinquantaine par mois contre une vingtaine aujourd’hui. Mais en Tunisie, les temps changent et l’acquisition d’une voiture, même dans sa version basique, est devenue un luxe. Résultat : une baisse de revenus de près de 30%, et avec 1 200 dinars en moyenne, pas toujours facile pour ce père de trois enfants de boucler les fins de mois. Et à Ibn Khaldoun, cité populaire où se côtoient immeubles de quatre étages et petites maisons individuelles, il n’est pas le seul. En Tunisie, depuis quelques années, le marché intérieur repose essentiellement sur les banques, placées sous la coupe d’une banque centrale sous contrôle «politique». Une économie de l’endettement qui concerne consommateurs comme entreprises, où les créances sont très souvent douteuses. 25% de celles des entreprises ne seraient pas provisionnées dans les banques à capitaux tunisiens. «Face au poids de la dette, écrit la chercheuse Béatrice Hibou, tout le monde fait comme s’il n’existait pas de risques systémiques, comme si leur ampleur ne posait pas de graves problèmes». Sans contre-pouvoir, les régimes ont toujours les moyens d’alimenter la fiction.

 

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