Pour des leaders développeurs

Du 14 au 16 novembre s’est tenue à Casablanca la biennale du leadership organisée par le centre de recherche appliquée Economia de La Fondation HEM, la fondation allemande  « Heinrich Böll Stiftung » et l’association « les Citoyens ». Les deux premières entités avaient initié depuis 2015 un partenariat autour  du projet Ra’ed destiné à la promotion du leadership des jeunes. En termes d’out-put, cette initiative avait permis de mettre sur pied des programmes au profit de jeunes leaders dans des domaines variés, tout comme elle a permis la collecte de nombreuses données qualitatives et quantitatives sur leur situation au Maroc.  A noter que l’événement  de la biennale cette année a bénéficié aussi du soutien du Conseil Régional de Casablanca -Settat.

La biennale 2019 : Une exploration à trois perspectives

Le programme Ra’ed a choisi de retenir cette année la thématique des acteurs du développement.

Une dimension qui aborde le leadership des jeunes, non seulement comme une fin en soi, ou une voie d’accomplissement individuel, mais également comme potentiel de développement du pays. La session fut ouverte aux jeunes leaders, chercheurs, hauts cadres et acteurs associatifs désireux d’y prendre part en postulant pour bénéficier de ce programme. Ainsi, soixante jeunes leaders, issus du programme Ra’ed et d’autres programmes ayant la même vocation, ont été sélectionnés par des jurys indépendants pour plancher durant deux jours sur la production d’idées en lien avec le développement du leadership, la création de valeur économique et la participation politique.

 Répartis en trois groupes, le but pour chaque groupe était de présenter des intuitions potentiellement innovantes, à faire porter par la société civile et la recherche, et qui permettraient des synergies productrices de sens. La présentation des résultats des travaux s'est faite en plénière à la clôture de l’événement le samedi 16 novembre. L’événement s’est ouvert sur une séance inaugurale ayant pour Keynote speaker, M Ahmed Reda Chami Président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), lequel a présenté une première ébauche des différentes facettes sous lesquelles la question du leadership se pose, surtout  en   matière de valeurs,  dans leurs dimensions sociales et managériales. A travers une approche interactive et réflexive, la présentation de M Chami a été ponctuée de plusieurs exemples puisés dans l’histoire universelle, le patrimoine socio culturel marocain ou encore la propre expérience professionnelle de M Reda Chami,comme membre du management international de Microsoft. 

Pour sa deuxième édition, la Biennale du Leadership a innové par l’organisation d’ateliers en co-animation de chercheurs-praticiens, ainsi que par une approche « empowerment » participative faisant de la plénière de clôture un espace pour les jeunes leaders, qui ont produit et présenté eux-mêmes en équipes leurs travaux, recommandations et propositions. Les ateliers ont conduit à explorer l'intersection entre recherche scientifique et problématiques organisationnelles, économiques, sociétales, politiques et de capital humain, privilégiant une démarche centrée sur le développement inclusif et durable.

La méthodologie des trois ateliers était fondée sur le principe de faire émerger du contenu en co-construction avec les jeunes leaders participants, qui ensuite seuls, ont présenté leurs travaux en restitution lors de la clôture de la Biennale. Des moments forts en émotion, partage, synergies et intelligence collective.

Parmi les principaux résultats, projets et recommandations issues des trois ateliers, on notera :

Le socle du leadership est d’abord relationnel

Concernant  l’émergence et le développement des capacités de leadership pour la conduite du changement , animé par Yasmina El Kadiri (enseignant-chercheur) et Fatema Zohra Touzani (consultante en communication et curatrice de Global Shapers) les participants ont relevé que la trajectoire de développement d’un leader n’est pas linéaire, elle est complexe, dynamique et multi-dimensionnelle, composée de plusieurs grandes séquences (Prise de conscience, Exploration/Engagement, Identification, Générativité, Intégration) chacune de ces séquences étant subdivisée en trois phases : émergence, immersion, transition.

Les participants à cet atelier ont eu à réfléchir sur les valeurs personnelles qui constituent le socle du leader ; puis à identifier et cartographier des principaux défis et difficultés rencontrées par ces jeunes leaders durant leurs premières années d’expérience professionnelle. Ils ont ainsi signalé parmi les difficultés majeures : La gestion des ressources humaines défaillante et des cultures organisationnelles dysfonctionnelles marquées par le manque de transparence, la rétention d’information…Ils ont évoqué aussi la bureaucratie, l’apathie, la lenteur, la monotonie ou la démotivation.

 Certains participants ont cité l’existence de mauvaises relations entre collègues: jalousies, manipulations, négativité, agressivité et critiques destructrices …Le harcèlement sexuel a été également évoqué dans le cas des femmes ainsi que les multiples discriminations et violences en relations genre. Sur un autre plan, les participant(e)s ont relevé le paradoxe que les leaders affrontent à leurs premières expériences à la fois de de ne pas être entendu et de la crainte de représailles en cas de franchise.

Face à ces défis et difficultés, les jeunes leaders ont proposé de multiples recommandations parmi lesquelles 

  • Rester conscient de l’impact que l’on peut exercer autour de soi même dans un périmètre restreint,
  • Être sélectif dans la réception des commentaires négatifs par la réflexivité,
  • Développer un leadership situationnel,
  • Développer l’intelligence collective en créant des coalitions et alliances positives.

Cet atelier s’est poursuivi par un travail en profondeur sur les axes suivants :

Sensibilisation à l’inclusion dans le sens qu’on doit être d’abord conscient de ses propres lacunes et vulnérabilités,  de les reconnaitre et de s’engager à les changer et de la nécessité de développer un leadership transformationnel.

Des valeurs humaines pour servir des humains: 

Animé par Loubna Oudrhiri (consultante en RH) et Said Abu Shleih (chercheur en dynamiques organisationnelles), les participants ont commencé par une interrogation : Comment travailler ensemble ? Ensuite, il a été question de fournir des contributions conçues pour aider les leaders et leurs équipes à construire des solutions efficaces et durables. Il s’agissait en outre de :

Accompagner les managers et jeunes leaders à libérer leurs potentiels et à augmenter la productivité des équipes de direction.

Maitriser les situations de stress et de pression constante, Identifier les bonnes décisions et être performant

Gérer les défis et transformer les obstacles en opportunités.

Au cours de cet atelier les participants ont réalisé qu’un leadership se structure sur cinq fondements : fédérer, communiquer, reconnaitre, responsabiliser et innover. Le point fort de cet atelier réside dans le fait d’avoir structuré par un travail individuel et collectif 17 projets d’entreprises agrégés et fusionnés en un méta-projet exploitant les synergies.

Une participation politique fondée sur la confiance et les jeunes : 

Animé par Latefa El Bouhssini et Mohammed Alami Berrada, l’atelier 3 a réalisé d’abord par un brainstorming sur les dimensions du leadership et ses définitions, une approche par laquelle on pouvait aborder la notion de participation politique et d’identifier les différents champs de l’action politique. Le leadership s’avère ainsi fondée sur des valeurs, constitue un apprentissage en continu et vise à présenter des solutions ou réponses satisfaisant un intérêt collectif.

La participation politique se ddécline sous plusieurs formes: la participation traditionnelle (vote, élection, au sein des partis, etc.), d’un côté et les formes plus récentes (mouvements sociaux sur les réseaux sociaux: Offline, Online et Globaux. Cela peut être par le biais d’arts contestataires : Musique, stade, Influenceurs sociaux, ou à travers des participations institutionnelles : Démocratie participative motions et Pétitions…

Dans le cadre des partis politiques ou dans le cadre citoyen avec intégration au monde virtuel, on a relevé combien les réseaux sociaux ont affaibli l’engagement politique physique à travers les canaux traditionnels. De même, au cours de cet atelier on a défini une grille de lecture de l’action politique sur six niveaux inventoriés comme suit (définir, analyser, …):

  • La société civile (associations, syndicats, coordinations, Clubs estudiantins et universitaires…)
  • Mouvements sociétaux (Boycott, Ultras, manifestations…)
  • Gouvernance (élus locaux, parlementaires, gouvernements et technocrates cooptés)
  • Scènes culturelle, artistique et sportive (musique, théâtre, caricature et cinéma)       
  • Le Système institutionnel (Crédibilité/ Confiance /Démocratie) qui affecte le niveau de participation politique dans tous les autres champs
  • Le champ politique (partis politiques, etc.)

Des recommandations intéressantes furent dégagées envers chaque niveau. On retiendra notamment celle qui insiste sur la responsabilité politique de l’Etat en vue d’instaurer un climat de confiance et de crédibilité dans les rapports et les institutions et surtout la nécessité d’ouvrir largement la voie devant les jeunes .

La séance de clôture du samedi 16 novembre 2019 a recommandé la création immédiate et l’animation de communautés de pratiques entre les jeunes leaders. Elle a mis l’accent sur l’opportunité d’un accompagnement pour les projets à fort impact. Outre les conclusions collectives des participants par eux-mêmes , les closing remarks de Hammad Sqalli professeur chercheur à Economia, ont souligné de nouveau l’intérêt de cette expérience raedienne, au-delà des difficultés qui impactent l’environnement marocain dans ses différents aspects, à travers la relation singulière tissée entre recherche académique et projet de proximité des leaders en herbe partout dans  le pays ; surtout par le biais de la volonté et de la détermination des nouvelles générations. Une des pistes offertes pour la poursuite de ce chemin, propose M Sqalli, est un travail sur le croisement entre générations de leaders dans le parcours spécifiquement marocain. M Said Abu Shleih du centre Economia a appuyé encore sur la note d’optimisme dégagée de cette biennale du leadership,  relevant que l’avenir se fait du façonnage qu’on opère sur le présent.