Face à la crise, quels compromis ?

Ni incantation, ni protestation, ni compromission. Henri Weber repense la social-démocratie à l’aune des défis du XXIème siècle. Au moment où nous menons au Maroc une réflexion ouverte sur les voies du développement, ce regard sur les tendances internationales et européennes en particulier nous aide à identifier d’autres manières d’accompagner les dynamiques de changement.

« Les plus belles idées, les plus grands projets, les meilleurs programmes sont voués au placard s’il n’existe pas d’institutions et de forces sociales capables de les réaliser », martèle Henri Weber. Docteur en philosophie et en sciences politiques, ancien maître de conférences à l’Université Paris VIII et proche du Parti socialiste français après avoir été fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire, Henri Weber a été député européen. De cette double expérience théorique et politique, il tire une réflexion sur les principes d’analyse et d’action face aux défis et aux nœuds imposés par une actualité à la fois nationale et internationale. Si l’on ne se contente pas de l’incantation et de la protestation, comment apporter des réponses progressistes aux défis majeurs du XXIe siècle ?

Rapport de force entre capital et travail très nettement en faveur du premier, défis de la mondialisation, tensions entre dynamiques nationales et dynamiques régionales ou internationales, défis sociaux, écologiques, changements civilisationnels induits par le numérique… Dans cet essai, rédigé pendant la campagne pour l’élection présidentielle française de 2017, Henri Weber analyse l’évolution de la gauche européenne, qui a depuis longtemps renoncé à ses idéaux révolutionnaires pour accepter le principe du compromis entre marché et État. Et c’est justement le contenu de ce compromis qu’interroge l’auteur, qui en retrace une chronologie au gré des rapports de forces. Il distingue trois phases. D’abord, les compromis sociaux-démocrates offensifs d’après-guerre (1945-1975), quand « le mouvement ouvrier social-démocrate reconnaît la légitimité du profit et du pouvoir patronal dans l’entreprise [et obtientque] le patronat et l’État assurent le plein emploi, l’augmentation régulière du pouvoir d’achat, la protection croissante des travailleurs contre tous les risques sociaux, le développement de services publics diversifiés et de qualité, le renforcement de la démocratie sociale dans les entreprises et dans la société. » Puis ce sontles compromis défensifs de crise (1975-2000), pour préserver les conquêtes sociales et démocratiques menacées par le chômage, la précarité, les délocalisations, la « contre-réforme libérale-conservatrice ». Plus récemment, il fait état des nécessaires compromis d’adaptation à la mondialisation et à la numérisation, et du déplacement des épicentres de la nouvelle révolution industrielle (numérique, bio et nanotechnologies et intelligence artificielle) vers les Etats-Unis et le Japon. Son approche, résolument comparatiste, fait la part belle aux expériences européennes : Allemagne, France, Suède…, pour penser une refondation de l’Union européenne.

Repenser la crise

Le livre d’Henri Weber est traversé par une réflexion sur la notion de crise : crise politique, crise économique, crise culturelle… L’auteur revient en particulier sur la crise de la social-démocratie et rappelle que celle-ci n’a pas toujours été synonyme de compromis : pendant les décennies de la IIème Internationale marxiste, la social-démocratie était utopique, rêvait d’une société sans classes, sans États, sans guerre…

 

Ses développements sur l’histoire et sur les différentes expériences européennes invitent à réfléchir non seulement à l’évolution des rapports des forces en présence, mais aussi à la notion de radicalité dans la dynamique du changement. Ainsi, la Suède optant pour une « flexi-sécurité » articulant numérisation et respect de l’environnement. Face à la triple crise que traverse l’Union européenne – crise d’efficacité, de légitimité et de solidarité – qui nourrit les courants souverainistes, Henri Weber réaffirme que la modernisation progressiste et la modernisation libérale s’opposent radicalement. « La réponse à la nouvelle crise du capitalisme n’est pas le libéralisme économique et l’utopie mortifère de la société de marché », mais un modèle éco-socialiste tenant compte des enjeux liés à l’environnement et offrant aux citoyens des protections, comme le revenu universel, la sécurisation des parcours professionnels, la formation continue, et la démocratisation culturelle. Des garanties offertes par des institutions réellement au service des citoyens.

 

Kenza Sefrioui

 

Éloge du compromis

Henri Weber

Plon, 2016, 304 p., 210 DH