Main basse sur les Lanthanides

Pour le profane, ce mot résonne comme celui d’un continent disparu, d’une constellation lointaine. La réalité est beaucoup moins poétique : les lanthanides1 sont un groupe de quinze métaux utilisés dans des applications technologiques et industrielles très variées. Avec le scandium et l’yttrium, ils appartiennent à ce que l’on appelle plus communément les «terres rares». Rares, celles-ci ne le sont pas vraiment puisqu’on en trouve dans toute l’écorce terrestre et même dans l’eau de mer. En revanche, elles sont particulièrement difficiles à raffiner, car presque jamais à l’état pur, alors que leurs applications industrielles se font à des niveaux de pureté très élevés.

Pour séparer ces différents éléments, le produit minier brut demande un grand nombre d’opérations très polluantes et préjudiciables à la santé de ceux qui les pratiquent, si l’on n’a pas investi dans des installations sécurisées; le comble du paradoxe pour des minerais tant utilisés dans toutes les technologies vertes ! Or, si l’on veut produire à bas prix, il ne faut pas être trop regardant sur les conditions sanitaires et environnementales : dans les Etats à législation draconienne, les sites ont rapidement été fermés. Les Chinois, qui possèdent 60% des gisements recensés dans le monde, ont sauté sur l’occasion. En 1992, Den Xiaoping en a même fait un slogan: «Au Moyen-Orient le pétrole, à la Chine les terres rares !» Aussitôt dit, aussitôt fait, l’Empire du Milieu s’en est rapidement arrogé le quasi-monopole2 avec une production vendue à des prix dérisoires. Il a même essayé, en vain, de tout contrôler en tentant le rachat du plus grand gisement américain, puis d’un autre en Australie... En 2010, les dirigeants chinois ont soudain annoncé qu’ils allaient restreindre drastiquement leurs exportations, alors que les besoins mondiaux ne cessent d’augmenter. Consciente du risque d’épuisement de ses ressources, des enjeux environnementaux et sanitaires, la Chine fait monter les prix, stocke son minerai et «encourage» fermement les industriels à venir installer leurs usines High Tech chez elle : «Si tu veux continuer à fabriquer tes Ipads, délocalise !» Vent de panique dans le reste du monde pour ceux qui doivent attendre plusieurs années, avant que leurs propres gisements ne soient exploitables, et pire encore pour ceux qui, comme les Européens, n’en ont presque pas !

A terme, les conditions d’exploitation, sur lesquelles le monde entier a hypocritement fermé les yeux, devraient s’améliorer, la catastrophe écologique et sanitaire être jugulée et le recyclage des D3E3, encore plus polluant, s’améliorer... sauf si quelques investisseurs voyous se rabattent sur les gisements de pays où l’Etat ne se préoccupe pas de la santé de ses citoyens... En attendant, ironie du sort, la Chine, tant accusée d’inonder les marchés mondiaux de ses produits, se fait prier pour exporter ses lanthanides

 

 

  1. Du verbe grec signifiant être caché
  2. 95 à 97% de la production mondiale
  3. Déchets d’équipements électriques et électroniques

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