Entreprise familiale : Un enclavement informationnel

Les entreprises familiales ont de grandes difficultés à composer avec la logique du marché financier. La maîtrise de leurs relations de financement avec les bailleurs de fonds, rendue difficile par un enclavement informationnel particulier, se trouve davantage aggravée par le manque de clarté des décisions financières prises.

Le cas Marionnaud[1]

La crise boursière et comptable vécue par la société Marionnaud fin 2004 a bien trouvé son point d’enclenchement dans une tendance accrue au népotisme parental et à la culture du secret d’une part ; Et dans un manque de rigueur flagrant de l’organisation des procédures comptables due notamment à un manque des compétences dans ce domaine d’autre part. Elle montre comment l’emprise du patriarche dont les deux fils occupaient des postes clés (finance et informatique) avait rapidement atteint ses limites. La cotation voulue au début comme catalyseur de la croissance et un contrepouvoir aux banques a eu des effets tout à fait inverses. En effet, à la suite de la chute des cours, puis la suspension de la cote, la société s’est trouvée devant des créanciers financiers confrontés eux aussi à une situation de non respect des clauses restrictives (endettement de 128 % au lieu de 100% convenu) réclamant une augmentation de capital. Or, il est clair que dans les circonstances qui étaient les leurs, cette exigence signifiait pour le dirigeant et sa famille la perte pure et simple de la minorité de blocage (la famille détenait 19,83% du capital et 32,31% des droits de vote) et la perte de contrôle de leur entreprise.

Cet exemple permet de soulever la difficulté qu’ont les entreprises familiales à composer avec la logique du marché financier (défini en général) sauf à accepter l’évolution de leur nature profonde. Il ressort au moins deux grandes défaillances, la première au niveau de la relation de financement et de l’asymétrie d’informations, la seconde au niveau de l’opacité des décisions financières prises.

La relation de financement et l’asymétrie d’informations

Tout échange de fonds externes est caractérisé par une asymétrie d’informations entre les parties. C’est pour cette raison que toute acquisition d’un financement externe nécessite de la part de l’entreprise la fourniture d’informations au moins sur sa contrainte de solvabilité et ses perspectives de rendement. Cette exigence devrait être plus pressante lorsqu’à côté des facteurs de risque propres à l’entreprise, les interrogations surgissent de la part des créanciers sur les variables de rupture inhérentes à la famille. La complexité de cette situation pose avec plus d’acuité la question de la qualité du système d’information et de son adaptabilité aux attentes des différents pourvoyeurs de fonds et aux différents produits de financement. L’asymétrie informationnelle est aussi liée à une contrainte de technicité. Or, les faiblesses que présente l’entreprise familiale à ces trois niveaux sont indiscutables.

L’opacité des décisions financières prises

Le contrôle familial est traditionnellement associé à un type de comportement paroissial  exacerbant l’enclavement informationnel qui anime les firmes sous ce type de contrôle. Cette opacité peut avoir des racines profondes dans l’histoire familiale, le dogmatisme du fondateur et de l’institutionnalisation de ses croyances. Toutes les trajectoires de l’entreprise se trouvent placées sous la gouverne de la culture familiale dominante et profondément conformées par elle. L’organigramme épouse souvent les rangs occupés au sein de la famille. Quitte à s’engager dans un contre courant, on peut tout de même rappeler que cette opacité-là, expression de formes anciennes aux antipodes des rigueurs de la relation d’agence, est aussi l’envers d’une organisation qui a aussi pour propriétés de soustraire les entreprises familiales aux emballements court-termistes des marchés, d’allonger les horizons temporels et de stabiliser les cadres de l’investissement. Ces arrangements opaques deviennent néanmoins intolérables aux regards d’investisseurs refusant de soutenir les mêmes horizons temporels et porteurs d’une toute autre nature de la relation financière.

 

 

[1] Taib BERRADA, Mohamed Nabil EL MABROUKI, Badr HABBA (2012), « L’effet des contraintes financières sur les entreprises familiales : du fatalisme à l’action », 12th Annual IFERA World Family Business Research Conference, Bordeaux.

 

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