Réseaux sociaux et médiation en entreprise

Réseaux sociaux et médiation en entreprise

Aujourd’hui, plus de trois milliards de personnes sont connectées à Internet et aux réseaux sociaux (RS)1. Mais si leur usage est solidement ancré dans le cadre privé, les RS restent énigmatiques dès franchi le mur de l’entreprise, malgré la multiplication de certaines campagnes digitales audacieuses et innovantes. Après quelques années d’expérimentation en marketing, leur potentiel reste encore sous-exploité par les autres fonctions et leur portée stratégique est, quant à elle, largement ignorée. Au-delà de dresser un panorama des possibilités offertes aux entreprises marocaines en analysant les usages et les pratiques des RS à expérimenter, ainsi que les écueils à éviter, ce paradoxe rend indispensable l’identification des modes d’intégration, de leadership et de gouvernance des RS.

Les médias sociaux, par l’importance grandissante de leur adoption, sans fracture générationnelle, et leur rôle d’accélérateur de la diffusion de l’information dans l’écosystème virtuel contemporain, représentent un levier stratégique, à la fois en termes de branding, de communication et de médiation, de gestion des relations publiques et du CRM2. Mais, l’avènement des réseaux sociaux a également propulsé les pratiques de recrutement, de valorisation et de fidélisation des ressources humaines à l’ère de la dématérialisation, comme le démontre les résultats du baromètre Hootsuite (2015)3.

 

UN OUTIL D’ÉCOUTE, DE BRANDING ET D’E-RÉPUTATION

En 2017, les RS font pleinement partie du quotidien des professionnels du marketing. Dessiner leurs contours peut être très complexe puisqu’ils sont tributaires du contexte de leur usage, mais il est généralement admis que leurs principales caractéristiques sont la pensée communautaire, la collaboration et, à travers cela, la volonté de partage. Pour favoriser les interactions avec leurs consommateurs et susciter leur volonté de partage, les entreprises emploient les techniques du marketing de contenu, une stratégie éditoriale qui consiste à planifier la création, la production et la diffusion de contenus pertinents, informatifs et ludiques. Ces contenus contribuent à la création et au renforcement d’un lien émotionnel avec les consommateurs, ils influencent leurs perceptions et leurs opinions et, ce faisant, vont accroître la visibilité et la notoriété de l’entreprise sur les RS, améliorer son image et son e-réputation. Aujourd’hui, les entreprises ont tiré les enseignements des grandes crises réputationnelles auxquelles certaines multinationales ont été confrontées dans le passé. La gestion de l’e-réputation est tout de même un challenge majeur pour les entreprises, cela passe par l’écoute des conservations et l’animation des interactions avec les consommateurs et les communautés de marque.

Les RS permettent en effet d’obtenir un maximum d’informations sur les perceptions, les attitudes, les attentes et le comportement du consommateur. Ils ont profondément bouleversé leur processus décisionnel avec la convergence du parcours d’achat online et offline. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à baser leurs décisions d’achat sur les informations consultées sur les moteurs de recherche, sur les commentaires partagés sur les réseaux sociaux, ou après avoir consulté leurs amis. Ces insights4 permettent en outre d’optimiser l’ensemble des fonctions de la chaîne de valeur de l’entreprise, des études de marché à la vente, en passant par la conception des produits, ou encore la supplychain et les systèmes d’information. En combinant les techniques du social listening, les entreprises sont en mesure d’écouter et de comprendre, en vue d’identifier des opportunités commerciales, d’anticiper sur les nouvelles tendances de consommation, de prévenir les crises e-réputationnelles et de personnaliser l’expérience utilisateur. Ce dernier point est un objectif majeur de la gestion de la relation client.

UN OUTIL DE MARKETING RELATIONNEL

Les RS permettent aux entreprises de transcender les dimensions géographiques et jouent un rôle de médiation pour prolonger l’expérience client au-delà du point de vente, dans le sens où ils offrent un nouveau canal où le consommateur peut profiter d’un contenu expérientiel et interagir avec la communauté de la marque. Cette nouvelle équation a favorisé l’émergence de l’omnicanal5 dans la relation des entreprises avec leurs clients. L’entreprise ne cherche plus seulement à influencer le consommateur au sein du point de vente, mais aussi, de manière grandissante, à travers l’ensemble de l’expérience de consommation, ce qui doit permettre de mener une réflexion sur de nouvelles expériences digitales qu’elles pourraient offrir au sein de leurs points de vente. L’effet conjugué de l’interaction et de l’expérience prolongée permet d’inscrire l’intégration des réseaux sociaux à la stratégie de l’entreprise dans une logique relationnelle plus durable. À ce niveau, on peut citer l’exemple de certains constructeurs automobiles qui exploitent l’analyse massive des tweets pour relever les plaintes de leurs clients, identifier les problèmes et les points d’amélioration des produits ou de nouvelles idées d’innovation. L’analyse des contenus « likés » sur Facebook permettent aux entreprises de personnaliser les promotions et les informations envoyées. Dans le secteur du transport aérien, le programme Meet & Seat6 de KLM permet à ses clients de choisir les passagers des sièges avoisinants sur la base de leurs profils sur les RS.

OUTIL DE RECRUTEMENT, DE FIDÉLISATION  ET DE CONNAISSANCE

Ces nouveaux usages posent un double défi aux entreprises : se doter des outils appropriés pour collecter, stocker et traiter ces données, mais aussi embaucher les profils adéquats pour accompagner la transformation digitale de l’entreprise. L’usage des RS préfigure une manière plus collaborative de communiquer et de travailler au sein de l’entreprise puisqu’ils favorisent les interactions sociales, facilitent le partage de l’information ainsi que la circulation des connaissances. L’entreprise n’est plus tributaire d’un modèle top down, de type vertical et à sens unique, mais tend vers un modèle transversal permettant d’amplifier la voix et le potentiel de chaque collaborateur, qui devient de facto co-producteur de l’information et de la création de valeur. Les RS permettent d’agréger les connaissances, les pratiques et les expériences, pour conserver en quelque sorte la « mémoire de l’entreprise », ce qui en fait un outil incontournable du knowledge management.

L’émergence de ces nouveaux modèles de collaboration au sein de l’entreprise place la fonction RH au cœur de la transformation digitale. L’usage des RS dans la sphère RH bouleverse les pratiques de recrutement et de fidélisation, en particulier auprès des  digital natives qui exportent de toute façon leurs usages personnels des RS dans le contexte professionnel également. Ils offrent une plateforme idéale pour valoriser les collaborateurs au travers de leur contribution sur le réseau, indépendamment de leur fonction ou de leur niveau hiérarchique. En plus de fédérer les collaborateurs à une échelle globale, les RS se positionnent ainsi en tant que think thank ou laboratoires d’idées et d’innovations.

Au Maroc, la situation est plus mitigée, dans le sens où de plus en plus de DRH sont conscients du rôle des RS pour faciliter les relations interpersonnelles au travail et renforcer le lien social, ce qui permet à terme d’améliorer les performances de l’entreprise. Mais, force est de constater que la grande majorité des entreprises marocaines ont une politique stricte interdisant l’usage des RS par les employés, qui sont pourtant les porte-parole de l’entreprise. Cette tendance ne permet pas à ces entreprises de capitaliser sur le levier humain afin de développer le sentiment d’appartenance des collaborateurs, ou d’améliorer son e-réputation et son image employeur et augmenter ainsi son attractivité organisationnelle. Elles préfèrent se contenir à un usage plutôt classique et exclusif des réseaux sociaux internes, sans doute plus connus et maîtrisés. Mais, elles s’ouvrent progressivement sur des RS professionnels, tels que LinkedIn ou Viadeo afin de réaliser une veille RH pour constituer un pool de  key talents en anticipation à de futurs besoins en termes de recrutement. Au-delà de cette fonction CVthéques, les entreprises marocaines gagneraient à sortir de leur zone de confort pour concevoir les RS comme une nouvelle forme de lien social permettant à la fois d’améliorer la qualité de vie et la productivité des salariés.

La démocratisation de l’usage des réseaux sociaux pose des enjeux majeurs pour les entreprises. Ce processus s’est inévitablement accompagné d’un mouvement général de déplacement de la sphère d’action et d’influence de l’entreprise vers ses stakeholders, encourageant l’émergence de pratiques de co-création, que ce soit dans le cadre du contenu de marque ou plus largement dans le contexte de l’innovation. En l’absence de stratégie globale sur le Web social, les contraintes liées à la coordination des activités de l’entreprise sur les différents RS, conjuguées à la question de la mesure de leur efficacité et donc de la traçabilité du ROI7, représentent des obstacles importants pour les entreprises marocaines. En grande partie, elles n’ont pas d’équipe ou de ressources dédiées aux RS et n’ont pas encore défini des nouvelles manières de les intégrer aux activités des différentes fonctions pour assurer ensemble la synergie, au-delà des silos. À cela vient s’ajouter la problématique de la compréhension et de l’exploitation du volume exponentiel de données recueillies.

LES MODES DE GOUVERNANCE ET D’ORGANISATION

La vraie question aujourd’hui n’est plus tant de s’interroger sur la présence ou non de l’entreprise sur les réseaux sociaux, mais plutôt de savoir comment les intégrer à la stratégie globale de l’entreprise pour la création de valeur pour l’ensemble des stakeholders. Dans le contexte marocain, très peu d’entreprises gèrent en interne leur présence ou celle de leurs marques sur les RS, préférant confier ces tâches à des agences externes. Pour celles qui optent au contraire pour ce mode de fonctionnement se pose alors la question d’ownership du marketing, de la communication, du CRM ou du système d’information sur le pilotage des RS. Pour l’instant, cette mission est généralement confiée à la direction marketing et communication, qui peut chapoter éventuellement un département digital, sans nécessairement parvenir à concilier des niveaux de maturité et des points de vue parfois divergents entres les différents départements.

Ces différents modes d’organisation ne participent pas à l’éclosion d’un écosystème favorisant la transformation digitale de l’entreprise, notamment via des processus d’open innovation. Un mode de gouvernance transversal qui assure l’alignement de la stratégie digitale sur la stratégie globale de l’entreprise et la cohérence de sa mise en œuvre grâce à l’intégration totale du digital dans toutes les fonctions et opérations de l’entreprise. Un effort continu d’initiation reste donc indispensable. Pour sensibiliser le management et former les collaborateurs, certaines entreprises déploient des programmes de reverse mentoring, comme Danone qui propose aux jeunes salariés d’initier les autres employés. D’autres structures ont même créé une « académie digitale » pour assurer la formation des collaborateurs en interne.

LES MODES DE LEADERSHIP

Dans l’économie actuelle, basée sur la création de valeur à travers le capital immatériel et l’intelligence collective ou collaborative, de nombreux managers sont challengés par les défis inhérents à la transformation digitale de l’entreprise. Leur rôle est pourtant primordial afin de promouvoir la culture du digital à l’interne et s’assurer de l’alignement de la présence de l’entreprise sur les RS sur sa stratégie globale. Ils doivent se positionner en tant que levier du changement et adopter une posture participative et transversale qui rompt avec la logique de silos et l’organisation hiérarchique des interactions. Certains managers ont aujourd’hui leurs propres blogs, comme le CEO de Whole Food Market8, une enseigne de distribution alimentaire de produits biologiques.

Le top management est également garant de l’instauration d’un cadre approprié pour l’usage des RS, afin d’éviter les dérives dues à une utilisation inappropriée des réseaux sociaux (critique ouverte de l’entreprise, fuite de l’information vers la concurrence, propos inadéquats…) et inhérents notamment à la fragmentation des identités des salariés entre leur vie virtuelle personnelle et professionnelle. Il est indispensable pour les entreprises marocaines d’instaurer à terme une charte encadrant l’utilisation des RS à l’interne, avec un code de bonne conduite en cohérence avec leur règlement intérieur et le mode de gouvernance des RS. Au Maroc, la législation et la culture numérique sont encore mal connues des employés, d’où le risque sur l’image de l’entreprise et la nécessité de les former à l’utilisation et à l’éthique des RS.

Le paysage des médias sociaux continuera d’être bouleversé par les différentes évolutions technologiques. Objets connectés, réalité virtuelle et intelligence artificielle ont déjà fait leur entrée dans plusieurs secteurs d’activités, avec des promesses d’optimisation de la relation client et de personnalisation de l’expérience utilisateur. Le potentiel de l’intelligence artificielle est particulièrement intéressant à explorer. À ce titre, le lancement en 2016 de Facebook de son  bot store  permet aux entreprises de proposer des  chatbots  – des logiciels auto-apprenants simulant une conversation humaine –, des sortes d’agents intelligents virtuels intégrés à l’application Messenger avec lesquels les consommateurs peuvent interagir et dialoguer comme ils le feraient avec un « ami ». Les utilisateurs pourront s’informer, faire leurs achats ou faire des réservations en ligne en discutant avec les marques, sans passer par le site Web pour chercher des informations. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que le recours à ces  bots  induit un bouleversement majeur de l’écosystème, des modes de navigation et d’accès à l’information d’une manière plus intuitive et spontanée et du parcours client. Cela permettra aux entreprises d’orchestrer de manière centralisée l’ensemble de leurs interactions avec les consommateurs, autant sur le plan communicationnel, transactionnel, serviciel ou relationnel. Il reste tout de même un peu de marge avant qu’un bot ne remplace le site Web ou les RS se substituent aux moteurs de recherche. 

Notes

1.     Internet used by 3.2 billion people in 2015, 25 May 2015, www.bbc.com/news/technology

2.     CRM : customer relationship management.

3.     « Les médias sociaux dans les entreprises françaises », Baromètre Hootsuite 2015.

4.     Dans un sens élargi, le terme est souvent utilisé pour désigner la démarche qui consiste à étudier les motivations, attentes et vécus des consommateurs à l’égard d’un produit. Les résultats d’un insight consommateur peuvent permettre d’adapter le produit, son packaging ou le discours publicitaire. (http://www.definitions-marketing.com).

5.     Dans un contexte marketing, le terme d’omnicanal ou d’omnicanalité désigne le fait que tous les canaux de contact et de vente possibles entre l’entreprise et ses clients sont utilisés et mobilisés. (http://www.definitions-marketing.com

6.     www.klm.com

7.     Return on Investment.

8.     http://www.wholefoodsmarket.com/blog/john-mackeys-blog

Bibliographie

·         Moisan, J.-L. (2016, 18 avril). Quel leadership à l’ère des réseaux sociaux ? Harvard Business review.

·         Boris Groysberg, B. & Slind, M. (2012, June). Leadership Is a Conversation. Harvard Business review.

·         Quesenberry, Keith A. (2016, 19 April). Social Media Is Too Important to Be Left to the Marketing Department. Harvard Business review.

  • Quesenberry, Keith A (2016, 25 July). Fix Your Social Media Strategy by Taking It Back to Basics. Harvard Business review.