Qui dicte les stratégies d'Etat ?

Qui dicte les stratégies d'Etat ?

Quand le Maroc se met à rêver projets, résolutions et chantiers stratégiques, il les baptise de deux noms : PLAN ou PROGRAMME.

Depuis les années 80, le vaste programme d’ajustement structurel, qui avait à l’époque pour objectif le rétablissement de la stabilité du cadre macroéconomique, a largement marqué l’évolution de l’économie du Maroc. La relative stabilité qui en a résulté s’est accompagnée d’une accentuation du caractère libéral de l’économie et une ouverture active sur l’extérieur, suivies d’un désengagement progressif de l’Etat au profit des privatisations, et ce dans tous les domaines. Ainsi, l’Etat a cédé au secteur privé une partie de ces activités, dont les études stratégiques.

Jusqu’aux années 2000, le Maroc fonctionnait avec des plans triennaux, quinquennaux, élaborés par les cadres de l’Etat et ensuite discutés au conseil supérieur des plans avec les partenaires sociaux, avant d’être débattu avec les élus au parlement. L’Etat a remplacé cette démarche par le recours à des grands noms du conseil, qu’on nomme «les nouveaux planificateurs de l’économie marocaine», pour l’élaboration des grands projets du royaume.

D’OÙ VIENT CETTE CULTURE DU CONSEIL EN STRATÉGIE ?

Cette nouvelle mode du conseil en stratégie provient, en partie, des orientations libérales engagées dans les années 80. Comme le souligne l’économiste Najib Akesbi : «Nous sommes en train de payer les pots cassés du délire néo-libéral des années 80». S’ajoute à cela les nombreux défis que le Maroc doit relever, défis dus à la complexification de l’environnement, l’ouverture des frontières, l’intensification de la concurrence et la mondialisation. Ainsi, les pouvoirs publics sont obligés de mettre en place une veille stratégique développée et efficace. Ils ont ainsi recours à ces grands noms du conseil qui leur proposent de mettre en place des stratégies présentées comme «infaillibles». Ces plans stratégiques se doivent d’identifier des visions à moyen et long terme claires, avec des objectifs quantifiables et des échéances bien précises, dont le but est de relancer l’économie marocaine et par conséquent la rendre plus saine, plus ouverte à l’internationale, et moins dépendante de l’agriculture.

Plusieurs plans et programmes cruciaux ont vu le jour. Parmi eux figurent le plan AZUR lancé par le ministère du tourisme (2002), le Plan Emergence 1 et 2 (2004 et 2009) lancés par le ministère de l’industrie et du commerce, ou encore le plan Maroc Vert (2009) lancé par le ministère de l’agriculture. Au total, une dizaine de plans sectoriels ont été élaborés pour accélérer durablement la croissance économique du pays. Plus précisément, 12 secteurs ont été identifiés afin de jouer le rôle de locomotive en tirant la croissance du pays vers le haut.

En somme, la plupart des grands projets du royaume, concernant les secteurs clés de l’économie nationale, ont été commandés par les ministères et concoctés par des cabinets conseil, internationaux ou marocains.

Dans ce cadre, nous pouvons nous demander pourquoi les ministères font appel à ces cabinets, et font d’eux les nouveaux stratèges de l’économie Marocaine ? En ont-ils réellement besoin ou est-ce pour disposer de manière ponctuelle des compétences qui leur font défaut ? En d’autres termes, est-ce que le recours à ces cabinets de conseil sert au pouvoir public à des fins stratégiques intégrées dans la politique, ou plus à des fins palliatives à un moment précis? Aussi, considèrent-ils le consulting comme une «charge» ou comme un «investissement» ?

LA MODE DU CONSEIL AU SECTEUR PUBLIC

Le recours à des cabinets conseil n’est pas nouveau au Maroc, mais il s’est accentué depuis 2002. Le premier responsable gouvernemental à avoir fait appel à un cabinet conseil en stratégie, McKinsey, a été Adil Douiri, l’ancien ministre du tourisme, pour le «Plan Azur». Leader mondial du conseil en stratégie, McKinsey, installé au Maroc depuis 2004, le groupe américain a travaillé ces dernières années sur les principaux «projets royaux» de développement du pays. «Nous avons misé sur le Maroc et nous croyons en son potentiel» indique Amine Tazi Riffi, directeur associé senior et responsable du bureau Afrique du Nord du cabinet. Son exemple a ainsi «fait école». Il est aujourd’hui considéré parmi les premiers à avoir voulu inscrire des orientations et des objectifs à long terme, et à avoir défini des objectifs chiffrés en s’appuyant sur un savoir- faire externe, pour fournir une étude stratégique, livrée clés en main en quelques mois. Ainsi, McKinsey s’est imposé comme le bureau de conseil préféré de l’Etat marocain.

Du point de vue des ministres commanditaires, le recours aux cabinets présente plusieurs avantages. Cela permet, à leurs yeux, de gagner du temps, de chiffrer les objectifs, de tracer des orientations à long terme, de s’inspirer des meilleures pratiques internationales, et enfin de s’inscrire dans une «logique de résultats».  Les ministres, qui font appel à des cabinets conseil, sont souvent issus du secteur privé, où ils ont occupé de hautes fonctions managériales. Arrivés au gouvernement, ils décident d’appliquer les recettes du privé au secteur public. Le service de conseil, très en vogue actuellement, et qui bénéficiait autrefois d’une grande renommée uniquement auprès des multinationales, s’est étendu auprès du secteur public. Or, le secteur privé et le secteur public sont deux univers très différents, tant dans leur fonctionnement, leur culture ou leur langage.

Dans le sillage de Mc Kinsey, plusieurs cabinets ont développé des activités de conseil en stratégie auprès du gouvernement. Ces dernières années, parallèlement aux cabinets internationaux, des cabinets nationaux se sont affirmés à l’image de Valyans Consulting1. Explication en interne, «Valyans, est un cabinet 100% marocain, mais on est tous imbibés de cette culture des standards internationaux de qualité. Notre but est d’être un cabinet national, qui a un niveau de performance des services, comparables avec nos confrères affiliés à des réseaux internationaux. Aussi, l’ouverture de notre bureau de Rabat est clairement un message fort de proximité et d’orientation stratégique par rapport au secteur public, qui représente 40 % de notre activité»2.

POURQUOI CES GRANDS NOMS DU CONSEIL ?

Le recours croissant aux cabinets de conseil de réputation internationale s’explique notamment par la prise de conscience chez les cercles dirigeants du déficit des capacités de réflexion stratégique au sein des ministères.  Pour construire une étude stratégique nous avons besoin de spécialistes, et de profils très pointus, tels que des économistes ou des économètres.  Vu de l’extérieur, le constat est atténué. «Certes, les ressources existent dans les ministères, cependant elles ont été altérées par le plan de départ volontaire»3. De leur côté, les ministères ne s’en cachent pas :

 «Nous avons besoin de vendre ces stratégies, à plusieurs acteurs, tels que les investisseurs étrangers, et pour les attirer, il faut parler le même langage qu’eux..»

En effet, du point de vue des ministères clients, le recours au conseil facilite la validation des plans définis, auprès des autres ministères ainsi qu’auprès des investisseurs. Le recours au cabinet de conseil est un instrument de légitimation des stratégies adoptées. Une stratégie réalisée par McKinsey impliquerait moins de coûts de transaction et remporterait plus facilement l’adhésion des parties prenantes. Pour Laurent Benarousse, directeur du bureau casablancais de Roland Berger Strategy Consultants, «ce qui fait la différence entre cabinets locaux et étrangers, c’est la capacité à accéder à un benchmarking international». Installé au Maroc depuis 2008, le cabinet européen est associé à Capital Consulting. Un partenariat qui a séduit le ministère de la Jeunesse et des Sports pour l’élaboration de la «stratégie sport 2020».

L’apport majeur de ces cabinets de conseil en terme d’étude stratégique, sont les ressources et les données dont ils disposent grâce à leurs accès à toutes les bases de données mondiales. Comme le souligne Karima Benoualide Senior Manager chez Valyans : «Nous sommes assez frileux à l’idée de sortir des chiffres de notre chapeau. Plusieurs possibilités s’offrent à nous : nous mandatons des prestataires de services basés en Inde pour nous fournir des benchmarking, et des analyses sectorielles. Aussi nous sommes abonnés à des observatoires de plusieurs grandes universités, Harvard par exemple, qui nous fournissent des chiffres». Comme pour la pluparts des pays en voie de développement, le Maroc connaît certaines lacunes du point de vue des données statistiques. Néanmoins, des données existent mais sont difficilement accessibles ou exploitables. 

Le ministère, désireux de faire une étude et ne pouvant pas comparer les prestations, va chercher à comparer les cabinets. En fait, l’idéal serait de pouvoir comparer les consultants car les compétences des cabinets sont d’abord celles des consultants. Comme le souligne Karima Benoualide Senior Manager - Valyans, «il ne faut pas oublier que nous vendons avant tout des CV…». Amine Tazi-Riffi, principal associé au cabinet Mc Kinsey & Company, confirme cette assertion:  

«Parmi les objectifs essentiels que se fixe notre cabinet : développer une pépinière de hauts talents locaux.» Or, comment évaluer les consultants ? Difficile de répondre à cette question. Ceci provient de «l’immatérialité» qui caractérise la prestation de conseil. Certes, ces cabinets proposent d’excellents profils, tous issus de grandes écoles. Cependant, il s’agit de jeunes diplômés et donc ce sont des généralistes. «80% de nos recrutements sur l’année se font auprès de jeunes diplômés»4.

Cette relation de service qui s’établit entre pouvoir public et cabinets de conseil suscite beaucoup d’interrogations sur l’efficacité et/ou l’utilité de travaux facturés à plusieurs dizaines de millions de dirhams. Afin de comprendre la nature des interventions qu’effectuent ces nouveaux planificateurs de l’économie pour le compte de l’Etat, nous nous placerons d’abord en amont puis au cœur et enfin en aval de cette relation de service.

QUE SE PASSE-T-IL AVANT LE DÉBUT DE LA RELATION DE SERVICE ?     

Pour le déclenchement de la relation de service, l’appel d‘offre est un moment essentiel pour le cabinet. C‘est là que se décide l‘obtention ou non de la mission. Remporter un appel d‘offre est un impératif de survie des cabinets. L’appel d’offres permet au ministère de faire le choix du cabinet le plus à même de réaliser une nouvelle stratégie pour un secteur. Le but est de mettre plusieurs cabinets de conseil en concurrence sur la même étude stratégique. C‘est en effet ainsi que devraient, d‘après la représentation commune, se passer un appel d‘offre. Dans la réalité, il nous arrive d’assister à une certaine transgression des règles. Le prestataire, déjà en mission au ministère, disposant forcément d’informations et de références que les autres cabinets n’ont pas, a toutes les chances de formuler une réponse plus appropriée à l’appel d’offre en proposant des solutions qui convergent avec les besoins du client. Aussi, dans certains cas, le prestataire peut voir le service réalisé comme un tremplin, comme le moyen de vendre d’autres prestations. On peut parler d’un jeu «d‘enrobage» des références, du service proposé et des bénéfices attendus. Au jeu bilatéral des parties se superpose un jeu commun d‘entente entre le client et le consultant élu.

Certaines études ne donnent pas lieu à un appel d’offre. Quand la source de financement n’est pas le budget de l’Etat, mais des fonds tels que celui de Hassan II qui n’est pas soumis aux mêmes règles des ministères, on parle plutôt de marché négocié qui ne donne pas lieu à un appel d’offre. Dans ce cas, le ministère commande une étude au cabinet de son choix. Typiquement, le plan Maroc Vert a fait l’objet d’une commande du ministère de l’agriculture à McKinsey sans appel d’offre.

L’appel d’offre, censé être aujourd‘hui une procédure encadrée et systématique, et promue pour garantir une juste mise en concurrence des offreurs, peut être contourné par l’intermédiaire du réseau des consultants du cabinet ou par des arguments, tels que le caractère d’urgence ou le fait qu’un seul cabinet dispose des «compétences requises» pour accompagner le ministère.

QUE SE PASSE-T-IL PENDANT L’ÉLABORATION DE L’ÉTUDE STRATÉGIQUE ?

Une fois que le ministère mandate un cabinet, celui-ci doit mettre en œuvre tous les moyens afin de garantir l’élaboration de l’étude stratégique qui lui est confiée, c’est bel et bien pour cela que le ministère fait appel à lui. Pour que le sujet soit bien cadré, le ministère doit donner au consultant, durant la phase initiale, le maximum d’informations, exprimer et préciser clairement ses objectifs. A l’étape ultérieure, il est nécessaire que la prestation soit coproduite pour que la relation de service produise le maximum d’effets. Cet aspect peut paraître provocateur pour le ministère qui paye cher ses études, et pourrait a priori penser qu’il n’est pas tenu de ce fait à de tels engagements, d’où la non implication des cadres du ministère. Enfin, le cabinet doit mobiliser en plus de ces consultants, des «compétences support». On parle essentiellement des partenaires du cabinet. Comme l’indique Amine Tazi Riffi, directeur associé senior et responsable du bureau Afrique du Nord du cabinet,

«il y a une énorme activité de support derrière les consultants sur place». En effet, l’équipe opérationnelle d’intervention pour une étude stratégique, composée de consultants, n’est que la partie visible de l’iceberg. Cependant, nous pouvons nous demander si le cabinet de conseil met en œuvre tous les moyens requis par la prestation. S’investit-il pleinement ou alors se permet-il de faire quelques «impasses» ou raccourcis ? Implique-t-il les différents acteurs au sein du ministère ?

 Le mode de production de ces études est marqué par une grande opacité. Les cabinets de conseil débutent l’étude en rencontrant les acteurs clés pour recueillir des informations; cependant, il n’y a pas de processus de consultation ouvert et transparent à suivre pour l’élaboration de l’étude stratégique. «Pendant la relation de service, c’est la boîte noire, ces études se construisent dans l’opacité totale : Un bureau est chargé de produire une stratégie qui s’impose aux pouvoirs publics et par conséquent à tout le pays, sans débat de fond, c’est tout simplement la  parole d’évangile. Avant, ne serait-ce que pour la forme,  un processus de débat public et de validation démocratique était engagé pour la mise en place des différents plans, ce qui n’est plus le cas maintenant…»5

De plus, ces stratégies sont tenues secrètes, et ne sont donc pas dévoilées et étudiées, jusqu’à l’élaboration de la version finale. Les différents acteurs qui doivent être mis à contribution dans l’élaboration d’une étude, afin d’assurer un processus de coproduction, tels que les parlementaires, les cadres du ministère, ou les bailleurs, ne voient les stratégies qu’une fois validées. Ces derniers usent alors de leurs connaissances pour obtenir des versions «confidentielles». A titre d’exemple, suite à l’étude réalisée par Mc kinsey pour le ministère de l’habitat, les promoteurs immobiliers ont découvert l’étude dans la presse. Ils n’ont pas eu de présentation officielle de celle-ci.

Les cabinets de conseil, pour justifier cette opacité, invoquent souvent le caractère de confidentialité qu’ils sont tenus de respecter. McKinsey est tenu à un devoir de confidentialité absolue concernant ses missions, quels que soient les clients, privés ou publics». «Nous ne pouvons donc pas répondre à des questions concernant des travaux ou études clients»6.

QUEL MODE DE PRODUCTION DE LA CONSULTATION ?

Dans la relation de coproduction requise pour la production d’un service, le client doit non seulement s’approprier une réponse à sa question, mais aussi des éléments de méthode et de connaissances diverses qui ont été mobilisées par le prestataire pour faire émerger cette solution7.

Dans le cas de la majorité des études confiées à ces cabinets, le livrable, est sous forme de slides Power Point, sans réelle justification des chiffres. Les critiques fusent à propos de cette manière de procéder. Ce qui semble être une question formelle paraît, aux yeux d’observateurs externes, comme une perversion du fond. Pour certains, Power Point, ce support incomplet, inadapté et peu collaboratif, avec sa simplification excessive, peut favoriser les raisonnements trompeurs, faussement rationnels, ou une suite de synthèses qui, par la perte d’information, peut induire des raisonnements pernicieux. Et pour cause, toutes les relations de contexte et de causalité sont perdues derrière une mise en forme dont la principale qualité est la simplicité, voire le «simplisme».

Commentaire : «Dans tous les instituts statistiques du monde qui se respectent, quand on fait une étude, la première des choses à faire est une note méthodologique de manière à ce qu’un chercheur ou un observateur puisse reconstituer les chiffres annoncés. Or, avec ses supports PPT, nous ne sommes plus dans une optique d’information mais plutôt de communication »8.

Selon Karl Popper, la rigueur scientifique d’un postulat se mesure à son degré de «réfutabilité». Plus un énoncé est transparent, justifié et argumenté, plus il peut être tenu pour «scientifique». Par contraste, la méthode démonstrative des cabinets de conseil, qui est opaque, elliptique, et présentée dans des PPT, peut manquer de rigueur scientifique, justement parce qu’elle est à sens unique.

Les présentations PPT sont en effet une pratique très courante dans le secteur du conseil. Mais à toutes ces considérations méthodologiques, les cabinets de conseil répondent par une attitude pragmatique. N’étant ni des instituts de statistiques ni des hauts lieux de la science, ils défendent d’abord la relation fournisseur-client. Pour eux, le PPT ne fait que répondre de manière synthétique et claire à la demande du client qui, en tant que décideur, a besoin uniquement de message sans raisonnement scientifique élaboré derrière.

Autre critique adressée aux cabinets de conseil, le chiffrage des objectifs est marqué par un excès d’optimisme, voire d’irréalisme. Cette tendance s’explique par leur propension à «survendre» leur stratégie en anticipant des impacts mirifiques. Cela a commencé en 2001 avec le plan Azur pour le tourisme. L’objectif fixé à l’époque était de construire

100 000 lits à l’horizon 2010. En 2009, le ministre du tourisme a dû reconnaître que cet objectif était complètement irréalisable, et que le nombre de lits atteindra à peine  35 000. Le même scénario s’est produit avec le programme Moukawalati qui ciblait la création de 30 000 nouvelles entreprises, alors que seulement 1000 ont été créées.  Les nouvelles stratégies s’inscrivent totalement dans ce schéma, et la plupart des impacts estimés paraissent hors d’atteinte.

QUELLES ÉVALUATIONS ET SUIVIS DES STRATÉGIES ?

Si ces constats établis a posteriori sont irréfutables, il demeure délicat de procéder à des évaluations de l’ensemble des recommandations des études stratégiques. En général, les résultats se mesurent sur le long terme. Il est donc difficile d’évaluer la majorité des plans qui sont toujours en cours de mise en œuvre. En revanche, il serait possible de mettre en place par les ministères ou par les bailleurs de fond des mécanismes de contrôle et d’évaluation annuels des activités soutenues.

A titre d’exemple,  la banque mondiale a réalisé un diagnostic sur la compétitivité du Maroc avant le lancement du plan Émergence II qui s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, calé de 2004 à 2009, tout en ajustant le tir. Ce diagnostic a montré que le pays est à la traîne. Les responsables du cabinet McKinsey considèrent alors, en réaction à cette étude, comme chose normale, l’échec du plan Emergence 1.  Ils déclarent publiquement d’ailleurs : «c’est normal, car le management et la stratégie ne sont pas des sciences exactes. Nous n’avons évidemment pas la boule de cristal dans un monde intrinsèquement incertain»9.

L’un des éléments de réponse apportés à cette défaillance de suivi a été le recours aux cabinets de conseil, non seulement pour la conception mais aussi l’implémentation des stratégies. Les ministères font, en substance,  le constat d’une limite interne en compétences et ressources humaines. Aussi, le mot d’ordre partagé  avec les consultants est qu’il ne suffit pas de se faire accompagner pour réussir à sortir des mesures, mais qu’il faut surtout réussir à les mettre en œuvre. En effet, une étude stratégique ne pourra être évaluée qu’une fois la solution mise en œuvre. Pour ce faire, l’Etat mandate à nouveau un cabinet pour mettre en œuvre les différentes mesures de ces stratégies novatrices. A titre d’exemple, Valyans travaille aujourd’hui sur la mise en œuvre du «pacte Emergence II» et sur la «Vision 2020» pour le secteur touristique.

QUELLE CO-PRODUCTION DURANT LA PHASE DE MISE EN ŒUVRE ?

Dans cette phase de la relation service, la coproduction est inévitable. Comme le souligne Karima Benoualide, Senior Manager - Valyans  : «Durant la mise en œuvre, on est clairement chez le client en mode participatif dans la mesure où on a derrière un enjeu de transfert de compétences». Cependant, plusieurs problèmes peuvent apparaître dans cette phase :

 la mise en œuvre de ces objectifs se heurte au manque d’adhésion des personnels ministériels, qui n’ont pas été consultés, informés, et qui perçoivent les plans d’action découlant des stratégies comme des directives extérieures, et dans certains cas illégitimes. Ils peuvent aussi ressentir la présence des cabinets de conseil comme une injustice, un consultant est facturé entre 10000 et 30000 Dhs par jour, ce qui représente le salaire mensuel des cadres qui doivent mettre en œuvre la réforme au quotidien. Ceci peut engendrer des problèmes de rétention de l’information, surtout dans le secteur public où l’information est un pouvoir et où tout n’est pas disponible de manière transparente.

Aussi, la mise en œuvre de ces strategies génère la création de nouvelles structures de gouvernance : agences et comité de pilotage. La création d’une agence permet de recruter à des salaires plus élevés que ceux de la fonction publique (Agence du Développement agricole, Agence Marocaine pour l’Investissement). Et l’établissement de comités de coordination vise à surmonter les problèmes classiques de coordination. La création de ces structures ne permet pas pour autant de régler les problèmes d’appropriation et de capacités humaines, qui sont au cœur de la problématique de mise en œuvre.

CONCLUSION GÉNÉRALE  

Nous l’avons compris, la majorité des grands projets du royaume, ont été commandés par des ministères et concoctés par des cabinets conseil. Le rôle fondamental de ces cabinets est de procéder aux rites garantissant la validité des décisions : maniement d’un grand volume de données, élaboration de benchmarking, etc.

 Engager un cabinet de conseil est un moyen de  légitimation des stratégies adoptées. L’énormité des sommes  engagées, le renom du cabinet, l’excellence de la formation des consultants, jeunes diplômés mais tous issus des meilleurs cursus, font de l’intervention du cabinet une véritable démonstration de puissance, et impliquent par conséquent moins de coûts de transaction et remporte plus facilement l’adhésion des parties prenantes.

Pour une meilleure réussite de cette coopération entre cabinets de conseil et pouvoirs publics, il est essentiel de pallier aux imperfections informationnelles en amont, pendant et en aval, de la relation de service. Il faut savoir utiliser le service de conseil «avec modération» : un client mieux informé et mieux formé plaidera pour un conseil plus efficace.