Quelle performance sociale pour la micro-finance ?

Quelle performance sociale pour la micro-finance ?

Avec pour mots d’ordre, rentabilité, profit et performance, la finance traditionnelle s’embarrasse peu des considérations altruistes ou, pour le moins, sociales. Seule la finance solidaire, plus connue sous le nom de micro-finance, semble avoir cette vertu, puisqu’elle se définit comme outil d’inclusion des exclus du système financier classique. Avec elle, le temps du vieil adage «on ne prête qu’aux riches» est bel et bien révolu. 

Après les consécrations majeures dont elle a fait l’objet1, la micro-finance est devenue l’un des secteurs financiers les plus connus et reconnus du grand public.

Mais qu’est-ce que la micro-finance? (Le terme ne doit être pas être confondu avec celui de microcrédit qui n’est que l’un des produits financiers qu’elle propose.) ? Si le préfixe signifie explicitement petit, la micro-finance ne se définit plus, uniquement, par la taille des prêts ou le revenu des clients. Dans ce sens, elle ne se limite plus à l’octroi de microcrédit à une population exclue du système bancaire en raison de la faiblesse de ses ressources, de l’absence de ses garanties et du coût de suivi qu’elle impose aux banques. Mais elle regroupe un ensemble de produits financiers tel que la micro-assurance, la micro-épargne et le transfert de fonds ou de garanties.

Traditionnellement quatre objectifs fondamentaux sont recherchés par les programmes de micro-finance: réduire la pauvreté, encourager la création d’entreprise, soutenir la croissance et l’emploi et renforcer la position sociale et l’autonomisation (l’empowerment) de groupes d’individus défavorisés, et particulièrement des femmes. 

La micro-finance : un financement hybride entre marché et solidarité

Si les ambitions sociales de la micro-finance sont clairement affichées, il n’en demeure pas moins que l’objectif de la rentabilité financière s’impose. En effet, l’approche institutionnaliste estime que les institutions de micro-finance (IMF) sont des structures capitalistes qui doivent, non seulement être capables de couvrir leurs frais grâce à leurs propres activités, mais d’assurer leur viabilité financière par leur rentabilité. Les tenants de cette approche considèrent qu’en assurant leur rentabilité financière, grâce à des principes de bonne gestion bancaire, les IMF pourront être capables de lever de nouveaux fonds sur les marchés financiers.

A la différence des institutionnalistes, les welfaristes  (les tenants de l’approche du bien-être social) considèrent que les IMF ne doivent en aucun cas chercher à être financièrement autosuffisantes, dans la mesure où la recherche de la performance financière conduirait à un effacement de leur mission sociale. Ils s’appuient sur un argument relatif à la nature des donateurs qui ne sont pas animés par la recherche du profit, mais plutôt par le désir de contribuer à la réduction de la pauvreté. Ces donateurs sont le plus souvent des acteurs publics, tels que les collectivités territoriales, ou des acteurs privés, tels que les fondations de banques ou de grandes entreprises.

Les tenants du premier argument sont soucieux, avant tout, des retombées positives des microcrédits en termes d’emploi et de redynamisation du territoire, les seconds sont motivés par leur engagement social et les retombées positives en terme d’image. A ce titre, ils renoncent à la performance financière des IMF en contrepartie d’une performance sociale.

Bien que les deux puissent paraître antinomiques, performance sociale et performance financière sont complémentaires. Pour Yves Jegourel2, la performance financière des IMF n’est pas neutre idéologiquement et témoigne de la volonté de promouvoir, par la micro-finance, un modèle libéral de lutte contre l’exclusion financière et la précarité sociale. Tout l’enjeu pour les IMF est de parvenir à concilier performance financière et performance sociale.

 

Performance sociale : une raison d’être des IMF … encore peu mesurée

La période de consolidation et de marche vers la pérennisation des IMF a focalisé l’attention sur les questions de performance financière. Des outils d’analyse financière ont été conçus et adaptés pour évaluer la performance financière, améliorer son suivi et sa transparence. Une série d’outils techniques3 du Consultative Group to Assist the Poor (CGAP) porte sur le système d’information et de gestion, la planification opérationnelle et la modélisation financière, ou encore, l’audit externe des IMF.

Les performances sociales des IMF étant considérées comme acquises, la question de leur évaluation est restée longtemps marginalisée. De nos jours, elle s’impose au vu des critiques et des besoins de consolidation du secteur de la micro-finance. Pour mieux saisir les nombreux défis de sa mesure, il est important de définir le concept de performance sociale. Celle-ci se comprend mieux à la lumière de l’analyse d’Amartya Sen [1999]4. Le prix Nobel considère la pauvreté, non comme une simple privation de ressources monétaires mais comme une privation de libertés individuelles. Dans ce sens, une personne est pauvre parce qu’elle est privée de ressources bancaires et par conséquent de la liberté d’entreprendre qui lui permettrait de créer son propre emploi. C’est en répondant à cette situation de privation que la micro-finance atteint sa performance sociale. Sa mesure est par conséquent plus large, plus complexe, trop subjective, trop relative et surtout pas assez «mathématique» par rapport à la performance financière5. Plus globalement, les différentes dimensions évaluées des performances sociales et financières sont résumées dans le tableau ci-contre.

Mais qu’en est-il de la performance sociale des IMF7 marocaines ?

Au Maroc, des progrès stupéfiants ont été réalisés au cours des dix, et plus particulièrement des cinq dernières années, dans la fourniture de services financiers aux marchés à bas revenu. Il y a dix ans, il n’existait quasiment aucune institution de micro-finance. On a désormais dépassé le million de clients et on avance à grands pas vers le seuil des deux millions de clients bénéficiant de services de micro-finance. Des informations ont commencé à faire surface sur les IMF qui parviennent à toucher les groupes de population les plus pauvres, tandis que, sur certains marchés, la concurrence pousse les IMF à innover.

Pourtant, une seule étude d’impact a été menée pour évaluer les performances sociales du secteur de la micro-finance au Maroc. L’étude réalisée par PlaNet Finance Maroc, filiale de l’organisation créée par Jacques Attali, révèle un certain nombre de tendances : tout d’abord, un micro-entrepreneur augmente son revenu de 20% à la suite de l’obtention d’un microcrédit. Cette augmentation se traduit par un changement positif de l’alimentation au sein du ménage, par une autonomie renforcée, et une amélioration de la «sérénité». Toutefois, elle ne semble pas avoir contribué à une augmentation significative du patrimoine du micro-entrepreneur. Ensuite, les résultats indiquent que, si les clients sont en général satisfaits de leur relation aux IMF, les conditions financières ne sont pas toujours adaptées à leur demande. En effet, le montant des crédits, les échéances de remboursement et le type de garantie ne correspondent pas toujours aux attentes des clients. Enfin, les résultats de l’enquête mettent en évidence que les programmes de microcrédit ont pu renforcer la position de la femme (68% de l’échantillon) au sein de la cellule familiale et favoriser son émancipation.

Bien que les résultats de cette enquête paraissent satisfaisants, un certain nombre de questions s’imposent : quelle est la population touchée par les programmes des IMF ?  Sont-ils réellement les plus pauvres des pauvres ? Si l’on s’affranchit de ces questions pourtant fondamentales du bien-fondé de cibler ou non les plus pauvres, il importe cependant d’abandonner tout angélisme concernant la micro-finance : bénéfique à de nombreux égards, elle peut également alimenter d’importants effets pervers et provoquer des situations de surendettement excessif des personnes financées.

Conclusion

N’étant à l’origine qu’une expérimentation, la micro-finance est largement reconnue de nos jours comme un levier de développement qui contribue à la lutte contre la pauvreté, encourage la création d’entreprise, soutient la croissance, renforce la position sociale de la femme et favorise l’empowerment (autonomisation) des individus socialement défavorisés. Inventant des méthodes et des garanties qui conviennent à des projets non bancables et privilégiant des procédures simples, rapides et incitatives, la micro-finance a réussi, là où le système financier classique a échoué. Par ailleurs, elle a profondément modifié le regard financier porté sur la pauvreté. En effet, elle a permis de découvrir que les exclus du système bancaire sont dotés de l’esprit d’entreprendre, d’une capacité de jugement et, de surcroît, honorent leurs engagements autant que les riches, si ce n’est mieux.