Maroc-Les Amériques : Interactions économiques et géopolitiques

Maroc-Les Amériques : Interactions économiques et géopolitiques

Le Maroc a toujours été étroitement lié à l’Europe qui représente son principal partenaire. En raison notamment de son appartenance géographique, le Royaume a également été impliqué dans les questions méditerranéennes et a tissé des relations historiques avec certains pays francophones de l’Afrique de l’Ouest. De même, le Maroc entretient des liens assez forts avec des pays du Moyen-Orient pour des raisons aussi bien politiques que religieuses, sans oublier son rôle dans le dossier palestinien. En revanche, les relations avec la rive opposée de l’Atlantique ont été moins entretenues, et ce, aussi bien vis-à-vis de l’Amérique du Nord que de la partie latine du continent. En outre, les relations avec les États-Unis d’Amérique ont souvent été axées sur le volet politique et particulièrement sécuritaire, alors que les liens de nature économique demeurent assez faibles. Les relations Maroc-Amériques ont commencé toutefois à se renforcer au cours des dix dernières années, particulièrement avec les États-Unis, à travers notamment une coopération plus poussée sur le plan diplomatique et sécuritaire, mais également une tentative de rattrapage sur le plan économique, par l’intermédiaire de la signature d’un accord de libre-échange Maroc-USA en 2004, mais dont l’efficacité reste encore à prouver.

Cette reconfiguration graduelle des relations externes du Maroc, au travers d’une plus grande orientation vers l’autre rive de l’Atlantique, pourrait s’inscrire dans une« approche de portefeuille » (Lesser et al., 2012). Le Maroc pourrait chercher, à travers elle, à diversifier la couverture géographique de ses partenaires et réduire la dépendance excessive par rapport à l’Europe, laquelle trouve encore du mal à se remettre des effets de la crise avec tout ce qui peut en résulter comme conséquences sur sa politique de voisinage vis-à-vis du Sud de la Méditerranée, y compris le Maroc. Il est important de souligner que cette reconfiguration s’inscrit également dans la vision d’une Atlantique élargie, partagée par les deux grandes puissances du Nord, où le Maroc pourrait constituer l’un des pays pivots, étant donné ses avantages comparatifs en termes de position géographique, de stabilité politique, d’existence d’un islam modéré, de progrès démocratique et de développement continu de l’infrastructure et de la logistique.

Maroc-USA des relations économiques en deçà des attentes

Les relations économiques extérieures du Maroc sont caractérisées par une prédominance de l’Europe. Au cours des trois dernières années (2012-2014), près de 50% des importations du Maroc proviennent de l’Union européenne et 60% de ses exportations y sont destinées. La France constitue la première source d’IDE avec une part de 36% du total des recettes reçues par le Maroc. Cette part augmente à 52% en moyenne lorsque sont pris en considération d’autres pays européens, à savoir la Suisse, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. L’Europe constitue également la première source de transferts de MRE, avec une part moyenne de 76% sur la période 2011-2013, et le plus important émetteur de touristes vers le Maroc. Le développement des échanges commerciaux et flux d’investissements entre le Maroc et l’Union européenne a été appuyé par la conclusion de plusieurs accords entre les deux partenaires, notamment l’accord d’Association entré en vigueur en 2000 et qui a permis une libéralisation des échanges de produits industriels depuis mars 2012, ainsi que l’accord de libéralisation des échanges agricoles appliqué en octobre 2012.

Ce processus devrait être renforcé par l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) dont les négociations ont déjà commencé en mars 2013 et qui vise à compléter les précédents accords en abordant également les aspects liés, notamment au commerce des services, à la réglementation des échanges et des investissements, ainsi qu’aux règles d’origine.

Les liens historiques avec l’Europe n’ont toutefois pas empêché le Maroc d’œuvrer pour une diversification géographique de ses partenaires en optant pour une plus grande ouverture économique sur l’Afrique subsaharienne, les pays du Golfe ainsi que les Amériques. L’intégration en termes d’échanges commerciaux et de flux d’investissement entre le Maroc et l’Amérique du Nord a été boostée par la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Royaume et les États-Unis, entré en vigueur en 2006, et qui s’est traduit par une hausse du volume des échanges et des IDE. En effet, la part des exportations du Maroc vers les États-Unis dans le total des exportations marocaines est passée de 2% en 2006 à près de 4% en moyenne sur la période 2012-2014 alors que la part des importations est passée de 4,5% à 7%. Parallèlement, la part des recettes d’IDE américains vers le Maroc s’est hissée de 3,5% à 6,1%, sans omettre les flux financiers d’aide américaine dont le Maroc continue de bénéficier.

Force est de constater, toutefois, que le poids des États-Unis en tant que partenaire économique du Maroc reste assez faible et en deçà des attentes exprimées lors de la signature de l’accord de libre-échange en 2004. En outre, le déficit commercial du Maroc par rapport aux États-Unis n’a fait que s’aggraver depuis l’entrée en vigueur dudit accord, déficit multiplié par trois entre 2006 et 2014. Néanmoins, ce creusement du déficit commercial du Maroc n’est pas spécifique au partenaire américain ; c’est également le cas pour la plupart des autres régions avec lesquelles le Maroc a conclu des accords, ce qui militerait en faveur de l’hypothèse que la source de ce problème est en grande partie interne, lié en particulier au retard qu’a pris le Maroc avant d’entamer son processus de transformation économique vers des métiers à plus forte valeur ajoutée et à productivité plus élevée.

En outre, le manque de compétitivité de l’offre marocaine est attribuable à la persistance de certains obstacles liés à la corruption et à l’environnement des affaires, aux problèmes du coût et d’inadéquation de la main-d’œuvre en termes de qualification, ainsi qu’aux difficultés d’accès au financement. À ces facteurs d’ordre transversal s’ajoutent d’autres éléments qui empêchent le Maroc de tirer profit de ses relations économiques avec les États-Unis d’Amérique ; il s’agit, entre autres, de la faible connaissance dont disposent les entreprises marocaines par rapport à un marché américain vaste et hétérogène. De même, en concluant l’accord de libre-échange avec les États-Unis, le Maroc est soumis à des règles d’origine et des mesures non tarifaires, notamment sanitaires et techniques, très contraignantes, que les entreprises marocaines trouvent difficiles à satisfaire. Ceci ne fait que refléter la faiblesse du pouvoir de négociation des petites économies comme le Maroc lors de la signature des accords de libre-échange avec les grandes puissances économiques et géopolitiques.

En plus de ces facteurs, les problèmes de logistique maritime constituent un véritable obstacle au développement des échanges commerciaux du Maroc avec la rive opposée de l’Atlantique, ce qui nécessiterait une multiplication des lignes directes de fret et une réduction des coûts. Il est toutefois important de souligner que le Maroc a déjà entamé une stratégie dédiée au développement des aspects logistiques en mettant en place des infrastructures portuaires modernes telles que Tanger Med, ainsi que des zones franches et des plateformes industrielles intégrées pour une meilleure connectivité par rapport aux marchés d’exportation.

Un renforcement continu de la coopération sécuritaire

Si les performances des relations Maroc-USA sur le plan économique et commercial demeurent insuffisantes, les liens politiques et surtout la coopération en matière sécuritaire ont, pour leur part, toujours été plus solides. Le Maroc fut ainsi le premier pays à avoir reconnu de facto l’indépendance des États-Unis d’Amérique en 1777. Les deux pays ont également conclu le plus ancien traité dans l’histoire des États-Unis d’Amérique, à savoir le Traité de Paix et d’Amitié signé en 1787. Suite à son indépendance, « le Maroc a été un allié stratégique des États-Unis pendant la guerre froide » (Kerdoudi, 2013), notamment contre l’expansion du communisme dans la région. Durant les années 90, le rapprochement stratégique entre le Maroc et les États-Unis d’Amérique s’est renforcé, au travers notamment de l’alignement du Maroc sur la position américaine concernant la question de la guerre du Golfe en 1991 et le processus de paix au Moyen-Orient. L’importance stratégique du Maroc, en particulier en Afrique du Nord, n’a depuis cessé de croître, notamment après la montée de l’instabilité en Algérie, mais surtout après les attaques du 11 septembre. Le Royaume s’est en effet engagé dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, menée par les États-Unis, au niveau de « l’arc d’instabilité »1 constitué de la région du Maghreb et du Sahel. Les États-Unis qualifient ainsi le Maroc de pays modèle lorsqu’il s’agit des progrès accomplis en matière d’amélioration de la gouvernance et de la démocratie, de lutte contre le terrorisme et de tolérance religieuse dans une zone entachée d’instabilité telle que la région  MENA (Middle East and NorthAfrica).

L’importance ascendante du Maroc pour la politique américaine s’est traduite sur le plan institutionnel, notamment par l’accès de celui-ci au statut d’allié majeur de Washington hors Otan, la clôture avec succès du premier compact avec le Millenium Challenge Corporation tout en confirmant son éligibilité pour un second compact, ainsi qu’à travers l’instauration en 2012 d’un Dialogue Stratégique entre les deux pays sur les volets politiques, sécuritaires, culturels et économiques.

L’implication du Maroc dans le volet sécuritaire avec les États-Unis est reflétée également dans le fait qu’il ait rejoint le Dialogue méditerranéen de l’Otan, dans sa participation aux exercices militaires de l’Otan, ainsi qu’à travers sa contribution à la surveillance de l’espace maritime méditerranéen contre les menaces terroristes. Dans le même contexte, le Maroc et les États-Unis ont signé, le 7 août 2014 à Washington, en marge du premier sommet USA-Afrique, un accord-cadre bilatéral sur l’assistance anti-terroriste, visant notamment une coopération triangulaire en matière de formation sécuritaire.

L’accord de libre-échange Maroc-USA : commerce, investissements mais surtout sécurité

Le Maroc avait signé un accord de libre-échange avec son partenaire américain en 2004, entré en vigueur en 2006, pour devenir ainsi le seul pays africain à avoir conclu un accord de ce genre avec les États-Unis. Si, de par sa nature, ledit accord vise à promouvoir le commerce et l’investissement entre les deux pays, celui-ci comporte une composante sécuritaire et politique très importante. En effet, l’idée d’initier les négociations de libre-échange entre les deux pays a eu lieu en pleine période de tensions, soit sept mois après les attentats du 11 septembre lors d’une visite officielle du souverain marocain aux États-Unis. La vocation sécuritaire de l’accord en question est exprimée explicitement dans plusieurs communications officielles américaines, notamment celle du représentant des États-Unis, Robert Zoellick lors de la signature de l’accord de libre-échange au Maroc en juin 2004 et qui a expressément formulé que Step by step, the Administration isworking to build bridges of free tradewitheconomic and social reformers in the Middle East. Our plan offers trade and openness as vital tools for leaders striving to build more open, optimistic, and tolerant Islamic societies” 2. Par conséquent, loin d’être purement commerciale, la motivation des États-Unis derrière la signature d’un accord de libre-échange avec le Maroc est d’abord de renforcer sa sphère d’influence politique dans la région nord-africaine, notamment vis-à-vis de l’Europe mais surtout de maîtriser davantage les sources d’instabilité et d’insécurité émanant de cette zone (GRAIN, 2008)3.

La Commission américaine du 11 septembre avait également avancé que la politique économique et, par conséquent, commerciale pouvait contribuer au succès de la lutte contre le terrorisme (Lawrence4, 2006 ; Bolle5, 2006). Cette idée a été abordée par plusieurs travaux de recherche, dont l’article de Gregory White (2005) intitulé Free Trade as a Strategic Instrument in the War on Terror? The 2004 US-Moroccan Free Trade Agreement” 6.À travers cet article, il montre que l’accord de libre-échange en question inclut une forte composante politique et sécuritaire en réaction au contexte d’instabilité qui a prédominé depuis le 11 septembre et s’inscrit ainsi dans la stratégie de guerre contre la terreur engagée par les États-Unis. Dans ce contexte, le Maroc est considéré par l’administration américaine comme étant un allié stratégique dans la région et l’accord de libre-échange constitue un instrument de choix pour soutenir et renforcer les relations de coopération stratégiques, sécuritaires et économiques avec un pays à régime modéré et tolérant et pouvant servir de modèle pour d’autres pays de la région MENA. Au regard de ces éléments, le commerce et l’investissement apparaissent, aux yeux de l’administration américaine, comme un synonyme de tolérance, de prospérité partagée et par conséquent, contribueraient à garantir la sécurité et la stabilité dans la région.

Maroc – Amérique latine : quand le politique entrave l’économique

Dans tout l’espace atlantique, le processus d’intégration économique Sud-Sud entre l’Afrique et l’Amérique latine est de loin le plus faible, et ce, en dépit d’une certaine dynamique d’évolution au cours des dernières années (El Aynaoui et Lesser, 2014). En tant que pays africain, le Maroc n’échappe pas à ce constat puisque, malgré les efforts, ses relations commerciales en termes d’investissements avec les pays de l’Amérique du Sud et centrale demeurent en deçà du potentiel qu’offre la région. C’est ainsi que la part de cette région dans les échanges extérieurs du Maroc ne dépasse pas les 5% en moyenne sur la période 2012-2014. En outre, les échanges extérieurs du Royaume avec cette région demeurent très concentrés géographiquement sur le Brésil qui représente près de 80% des exportations du Maroc et environ 40% de ses importations vers cet espace, suivi de l’Argentine. Ce constat est doublé par une concentration par produit puisque la majorité des exportations marocaines vers les pays de l’Amérique du Sud et centrale est constituée de phosphates et dérivés. À la lumière de ces éléments, il est trop tôt de parler d’une véritable intégration commerciale entre le Maroc et la rive sud opposée de l’Atlantique.

Cette situation est certes due en partie à des facteurs bien connus tels que la faible connaissance des spécificités du marché latino-américain par la majorité du secteur privé marocain, le coût élevé du fret et le nombre réduit de lignes maritimes directes vers la région, l’insuffisance des actions de promotion des produits marocains, etc. Cependant, le facteur politique peut être considéré comme un obstacle de taille au développement du commerce et de l’investissement entre ces deux partenaires. Si l’hégémonie de l’aspect politique et sécuritaire a contribué à reléguer au second rang les relations économiques entre les États-Unis et le Maroc, le cas des relations entre celui-ci et les pays d’Amérique latine est plutôt différent. En effet, la « cause nationale de l’intégrité territoriale » a été à l’origine de l’absence de relations diplomatiques et politiques stables entre le Maroc et plusieurs pays de la région de l’Amérique du Sud et centrale. Ces divergences politiques ont poussé le Maroc à opter pour des relations sélectives avec certains pays de cette partie du continent américain, y compris sur le plan économique. Il est vrai que huit pays de la région, dont le Brésil, l’Argentine et le Chili ne reconnaissent pas la RASD (République arabe sahraouie démocratique). Néanmoins, neuf États d’Amérique du Sud reconnaissent toujours cette entité, une attitude héritée de l’époque de la Guerre froide et alimentée un certain moment par la montée des mouvements révolutionnaires dans ces pays.

Depuis 2004, date de la visite officielle du roi du Maroc à six pays de l’Amérique latine, le Maroc a choisi de donner un nouveau souffle à ses relations politiques et économiques avec les économies de cette région. Les efforts du côté marocain ont été focalisés sur le renforcement du dialogue stratégique au plus haut niveau avec les partenaires traditionnels de la région (l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou, le Guatemala et le Costa Rica),tout en cherchant à élargir les relations diplomatiques du Royaume vers de nouveaux pays de cette zone, en particulier en Amérique centrale. Parallèlement, le Maroc a pu bénéficier du statut de membre observateur à l’Organisation des États américains, à la Conférence ibéro-américaine, à l’Association des États des Caraïbes et à l’Alliance du Pacifique. Sur le plan économique, le Maroc a réussi en 2004, à signer un accord-cadre avec le Mercosur7, en vue d’établir ultérieurement un accord de libre-échange, sans omettre la mise en place de plusieurs commissions mixtes de coopération avec des pays de la région. Ces efforts, en termes de promotion des relations économiques, continuent toutefois de pâtir d’une certaine lenteur en matière d’implémentation et de mise en œuvre.

Concilier entre le sécuritaire et l’économique : la clé vers des partenariats viables

Les interactions entre les aspects sécuritaires et ceux économiques dans les relations internationales se font de plus en plus complexes, en particulier après la multiplication des périodes de tensions au cours des dernières années dans différentes régions du monde. Plusieurs travaux de recherche se sont succédé pour tenter de lier le développement des accords de libre-échange à des facteurs d’ordre sécuritaire, tandis que d’autres ont essayé de faire ressortir l’impact de la libéralisation du commerce entre les pays sur leur sécurité et la stabilité de leurs relations politiques.

À la lumière de certains travaux (Feinberg8, 2003 ; Ravenhill9, 2008), les raisons derrière la signature d’accords de libre-échange ne sont pas toujours purement économiques, les gouvernements prennent souvent en considération des aspects politiques et stratégiques lors des négociations de ces accords. Ce phénomène se serait même accéléré depuis les attentats du 11 septembre 2001 (Higgott10, 2004 ; Seungjoo Lee, 2012). Les motivations à l’origine de l’implémentation des accords de libre-échange varient également en fonction de la taille des économies impliquées. Les grandes puissances cherchent généralement, à travers ces accords, à réduire les sources d’insécurité et/ou renforcer leur influence géostratégique et géoéconomique sur une région donnée par rapport à un rival. Pour leur part, les petits pays visent plutôt, via la signature d’accords de libre-échange avec les grandes puissances, à éviter l’exclusion et/ou palier leurs vulnérabilités sur le plan sécuritaire (Gruber11, 2000).

Néanmoins, quelle que soit la motivation derrière la mise en place des accords de libre-échange, l’objectif le plus important est de veiller à assurer un équilibre optimal entre les dimensions économique et sécuritaire (politique) de ces accords pour en assurer l’efficacité en termes d’impact sur toutes les parties prenantes et en garantir une certaine viabilité à long terme. D’un côté, nul n’est censé ignorer l’effet négatif que pourraient avoir les facteurs d’instabilité et d’insécurité sur le développement du commerce et des investissements entre pays, d’où la nécessité de préserver la stabilité politique pour offrir un terrain favorable au développement des relations économiques. D’un autre côté, plusieurs travaux12 ont permis de conclure à l’existence d’un impact positif des accords de libre-échange sur la sécurité et la stabilité des relations politiques entre les pays partenaires. Il est ainsi possible d’admettre que les facteurs économique et sécuritaire se renforcent mutuellement, d’où la nécessité pour les pays partenaires d’avancer de manière synchrone sur les deux aspects pour garantir une certaine stabilité et viabilité de leurs relations.

Cette quête d’équilibre entre les deux dimensions pourrait servir d’axe central pour le Maroc et ses partenaires du continent américain, aussi bien les États-Unis que les pays d’Amérique latine, afin de rectifier le tir et optimiser les profits que chaque partie prenante des accords de libre-échange conclus, pourrait obtenir. Pour le cas des relations Maroc-USA, la prédominance de l’aspect sécuritaire sans un développement équivalent de l’aspect économique pourrait se traduire par des effets contraires à ceux escomptés. En effet, en l’absence d’améliorations notables des performances en termes de solde commercial vis-à-vis des États-Unis, d’un engagement plus important en termes d’investissements, et surtout à défaut d’une répartition équitable et généralisée des fruits de cette ouverture, les effets qui en résulteraient pourraient s’avérer très néfastes pour le Maroc. Le risque de destruction d’une partie du tissu productif et les pertes d’emplois qui pourraient en résulter, conduiraient à une aggravation de la situation des classes pauvres et vulnérables et, par conséquent, créeraient un terrain favorable pour une montée des tensions sociales et de l’instabilité interne, voire une ascension du sentiment d’hostilité vis-à-vis de l’Occident.

Enfin, force est de constater que la réalisation d’un certain équilibre entre les avancées d’ordre politique et sécuritaire et celles d’ordre économique dans le cadre d’accords entre partenaires de poids différents, dépend en grande partie de la capacité de négociation des pays les moins développés vis-à-vis des grandes puissances. Le Maroc est lié via des accords de libre-échange à deux partenaires économiques de taille systémique, dont les États-Unisd’Amérique. Lors de la conclusion de l’accord de libre-échange avec les Américains, le Maroc s’est vu imposer des règles assez contraignantes, notamment en termes de règlementation du commerce. L’une des causes de la faiblesse relative de la position d’un pays comme le Maroc, malgré l’intérêt qu’il présente, réside dans la taille de son économie. Face à une telle situation, l’intégration régionale Sud-Sud pourrait constituer un élément-clé pour contourner ce problème. Le Maroc pourrait gagner en termes de capacité de négociation s’il arrive à accélérer le processus d’intégration commerciale avec des pays africains, déjà entamé, ce qui lui permettrait de profiter de l’effet de taille d’un tel groupement de pays lors des négociations d’accords avec des pays tiers. Encore faut-il que les pays africains impliqués dans ce processus d’intégration puissent compter des économies disposant de dotations importantes en termes de ressources stratégiques et de facteurs de production dont les États-Unis ou les grands pays de l’Amérique latine ont besoin.

 

Note :

1.     Pham, J.P. (2013). Morocco’s Vital Role in Northwest Africa’s Security and Development. Atlantic Council Issue Brief, November 2013.

2.     « Étape par étape, l’administration travaille à construire des ponts de libre-échange avec les réformateurs du domaine économique et social au Moyen-Orient. Notre plan propose le commerce et l’ouverture comme des outils essentiels pour les dirigeants qui militent pour des sociétés islamiques   plus ouvertes, optimistes, et tolérantes»

3.     GRAIN. (2008). Morocco’s FTA fever.

4.     Lawrence, Robert Z. (2006). A US-Middle East Trade Agreement: a Circle of Opportunity? Washington, DC: Peterson Institute for International Economics.

5.     Bolle, Mary J. (2006). Middle East Free Trade Area: Progress Report. California: California Chamber of Commerce.

6.     « Le Libre-échange comme un instrument stratégique dans la guerre contre le terrorisme ? L’Accord de libre-échange maroco- américain de 2004 »

7.     Le Marché commun du Sud, couramment abrégé Mercosur (de l’espagnol MercadoComúndel Sur).

8.     Feinberg, R. (2003). The Political Economy of United States’ Free Trade Arrangements. The World Economv, vol. 26, n° 7.

  1. Ravenhill, J. (2008). The Move to Preferential Trade on the Western Pacific Rim: Some Initial Conclusions.
  2. Higgott, R. (2004). US foreign economic policy and the securitisation of globalisation. International Politics.
  3. Gruber, L. (2000). Ruling the world: Power politics and the rise of supranational institutions.
  4. Bearce and Fisher (2002). Economic geography, trade, and war; Oneal et al. (2003). Causes of peace: Democracy, interdependence, and international organizations;Keshk et al. (2004). Trade still follows the flag: The primacy of politics in a simultaneous model of interdependence and armed conflict;Maoz (2009). The effects of strategic and economic interdependence on international conflict across levels of analysis; Souva and Prins (2006). The liberal peace revisited the role of democracy, dependence, and development in militarized interstate dispute initiation.

Références :

· Lesser, I. et al. (2012). Morocco’s New Geopolitics: A Wider Atlantic Perspective. Wider Atlantic Series, février 2012.

· Kerdoudi, J. (2013). Géopolitique du Maroc : Nouveau positionnement dans un monde qui change. Les Cahiers de l’IMRI, septembre 2013.

· White, Gregory W. (2005). Free Trade as a Strategic Instrument in the War on Terror? The 2004 US-Moroccan Free Trade Agreement. Middle East Journal 56, no. 4, automne 2005.

· El Aynaoui, K. et Lesser, I. (2014). Atlanticism in the 21st Century: Convergence and Cooperation in a Wider Atlantic. In German Marshal Fund of the United States and OCP Policy Center, Atlantic Currents: An Annual Report on Wider Atlantic Perspectives and Patterns,octobre 2014.

. Seungjoo, L. (2012). The Emergence of an Economic-Security Nexus and the Diversity of FTA Linkage Strategie. East Asia. Korean Journal of Policy Studies, 27.