Les modèles d'intégration des diasporas

Les modèles d'intégration des diasporas

Ce n’est qu’à la fin des années 90, que le gouvernement indien s’est intéressé au «people of India», terme officiel désignant les expatriés indiens, soit environ 20 millions de personnes, (2% de la population indienne) représentant un revenu annuel estimé à 160 milliards de dollars. L’Inde ayant privilégié pendant plus de trente ans une politique prônant le non-engagement dans sa communauté émigrée (éparpillée sur plus de 130 pays), le mot d’ordre  était à l’intégration des populations émigrées dans leur pays d’accueil. Le renversement de politique s’est fait en 2000. Conscient du bénéfice que le pays pouvait retirer des réseaux de sa diaspora pour intégrer l’Inde sur la scène internationale, le lien entre l’Etat indien et ses expatriés a été institutionnalisé par la création d’une Haute commission de la diaspora indienne. En premier lieu, celle-ci a été chargée d’évaluer la situation des «personnes originaires d’Inde» (toute personne ayant eu au moins un bisaïeul résidant en Inde est concernée par le qualificatif), leurs aspirations et le rôle qu’elles pourraient jouer dans le développement du pays, afin de définir une nouvelle politique à leur égard. Une série de recommandations ont guidé ainsi la politique du gouvernement. Résultat, depuis 2003, l’Inde consacre une journée nationale à sa diaspora, le Pravasi Bharatiya Divas, et a multiplié les mesures pour attirer ses capitaux.

Mais les liens ne sont pas à sens unique. Le renversement de la politique indienne a été aussi le fruit d’un intense lobbying de la part d’organisations nationalistes indiennes originaires des Etats-Unis. La mobilisation d’un noyau de diplômés indiens installés dans ce pays (10% des employés de Microsoft et près de 800 cadres dirigeants dans les entreprises de la Silicon Valley sont d’origine indienne)  a été décisive pour l’émergence d’une industrie du logiciel en Inde et l’expansion de l’offshoring. «Grâce aux contacts qu’ils ont maintenus avec leur famille ou leurs camarades de promotion, ils choisissent d’investir en Inde dans un secteur qu’ils connaissent bien, les NTIC. (..)Première conséquence de la présence massive de la diaspora indienne dans ce secteur, l’externalisation des activités des entreprises américaines se fait au profit de sociétés indiennes. Le plus souvent, la société choisie a été fondée par un ancien employé de retour au pays».

En tout cas, la mobilisation en faveur du pays d’origine a surtout été rendue possible par le sentiment d’appartenance des communautés à une identité indienne, cultivée par les communautés émigrées elles-mêmes.

Avec l’immigration massive des étudiants sud-coréens vers les universités américaines, dans les années 60, le gouvernement a très vite mis en place des politiques d’incitation visant à ramener au pays ces cerveaux exilés. Bourse d’études avec obligation de retour, prise en charge des frais de déménagement pour tout retour au pays, aide à l’installation, les mesures incitatives ont enregistré malgré tout peu de succès. Entre 1970 et 1980, à peine 10% des diplômés sont revenus s’implanter dans leur pays d’origine. Le retournement de tendance s’est situé à la fin des années 80, avec l’expansion économique connue par la Corée du Sud. Depuis, en moyenne, deux tiers des doctorants sud-coréens émigrés aux Etats-Unis rentrent s’installer  en Corée. Le même cas de figure s’est posé pour Taïwan, pays pionnier dans la mise en place de politiques incitatrices visant à privilégier l’option du retour et dont les succès ont été enregistrés avec le décollage économique du pays.

«L’expansion économique régulière durant ces trente dernières années a permis une réduction du décalage de niveau de vie entre les pays développés et le pays d’origine, ainsi que le développement de l’industrie et du système scientifique et technique autorisant les titulaires de diplômes étrangers originaires de Taïwan et de Corée à trouver un travail dans leur domaine, dans leur pays, sans avoir à redouter une baisse considérable de leur niveau de vie.»

Si, à Taïwan comme en Corée du Sud, le retour des compétences a été fonction de la «capacité d’absorption» de l’économie de ces deux pays, on ne doit pas sous-estimer les efforts des autorités publiques. C’est aussi pace qu’il y a eu convergence entre les attentes du pays qui avait clairement identifié et concentré ses énergies sur les secteurs des nouvelles technologies (électronique, informatique), gourmandes en cerveaux, et les attentes de ceux qui désiraient rentrer, que l’alchimie a pu se faire. Les deux Etats ont ainsi créé des opportunités de recherche, de nouveauté et d’entreprise pour stimuler le retour du capital humain comme financier.

Le transfert des compétences n’est pas toujours tributaire du retour «physique» de ses ressortissants d’origine. Dans de nombreux pays, l’obsolescence de la recherche et de l’université, la faiblesse du tissu économique empêchent «l’utilisation» appropriée des cerveaux exilés dans le cadre des structures du pays d’origine. En Colombie par exemple, où un scientifique sur deux ne rentre pas au pays après ses études, un réseau d’ingénieurs et de scientifiques, le réseau Caldas, s’est mis en place pour l’échange d’informations et de compétences entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. En l’absence de toute incitation du gouvernement, le réseau Caldas compte plus de 1000 chercheurs et ingénieurs et est régulièrement cité pour sa participation au transfert des connaissances et son accélération dans le processus de développement du pays. Au sein des institutions internationales, l’accent est d’ailleurs mis aujourd’hui sur un programme contribuant à la reconnexion des élites expatriées avec leur pays d’origine, sous l’angle du transfert de connaissances, plus que du retour au pays.

Pour chacun de ces modèles, une constante se dégage : chaque pays a fait l’effort de mieux connaître sa population expatriée, afin d’en mieux cibler les attentes. Le secret est peut-être là et souligne l’approche souvent trop homogène que fait le gouvernement marocain de ses Marocains résidant à l’étranger, tenant le même discours souvent compassionnel aux 1ère, 2ème et 3ème générations d’émigrés qui n’entretiennent pourtant pas la même relation avec leur pays d’origine.