Le marocain et la grande distribution

Le marocain et la grande distribution

Une consommation en grande distribution limitee ?

46% des r’batis depensent moins de 100 dh par visite au supermarche. les supermarches servent-ils de lieu d’approvisionnement d’appoint tandis que le gros de la consommation quotidienne proviendrait du commerce traditionnel ? cette affirmation est difficile a etayer. elle peut etre en partie expliquee par les exigences alimentaires de certains clients qui rechignent a s’approvisionner en fruits et legumes, viande et poissons, produits de consommation quotidienne (et pour beaucoup, principale), dans les supermarches. la question du prix (globalement plus eleve sur ces produits en grande et moyenne surface), de la qualite mise en doute, et du manque de fraicheur de ces denrees sont souvent avances pour expliquer la preference affichee par les chalands pour le marche ou le boucher du coin.

Rien ne nous permet pourtant de conclure que le supermarche n’est pas entre et n’entrera jamais dans les habitudes de consommation quotidienne des marocains, car l’assiduite de la frequentation atteste de la place que la grande distribution a deja, dans ce contexte urbain, largement conquise : au minimum, les clients se rendent dans leur supermarche une fois par mois. la frequence la plus representee est plutot une fois par semaine ; enfin, certains viennent tous les jours, voire plusieurs fois par jour, faire leurs achats de la journee ou chercher le produit qui manque pour preparer tel ou tel mets.

L’engouement des marocains pour ces temples de la consommation est certain. cela nous a ete revele par le taux eleve de gens disant apprecier la frequentation des grandes surfaces. a la question «faire vos courses en supermarche est-il une corvee ou un plaisir ?», presque 70% repondent sans hesiter et avec le sourire : «un plaisir». d’ailleurs, faire les courses est considere par beaucoup (56%) comme un moment a partager en famille plutot que seul (38%).

65 % des clients affirment venir sans liste au supermarche ! on se permet de decouvrir l’offre proposee, de comparer, de ceder a une tentation imprevue en passant dans un rayon: lieu d’hedonisme par excellence, le supermarche seduit par la variete et la nouveaute de ses produits et par sa façon de nous laisser «libres» de regarder, tater, comparer par soi-meme les produits etales, et toujours a portee de main. ces elements constitutifs de l’organisation du lieu pesent en sa faveur. au ‘hanout, on vient en sachant precisement ce qu’on veut et on repart. le supermarche, lui, offre sa part d’inconnu : on arrive avec une idee de ce que l’on veut, quelques produits indispensables, tout le reste dependra des «rencontres» faites en chemin et des envies du moment, le contenu des rayons stimulant les envies, ouvrant des possibilites.

Cet aspect hedonistique se combine evidemment avec une dimension pratique essentielle qui motive le choix du supermarche : concentration des produits («on trouve tout au meme endroit, ça va plus vite») et surtout la proximite du lieu de travail ou du lieu d’habitat, ce qui met en evidence la correlation entre les contraintes de temps et de deplacements propres a un mode de vie urbain moderne et l’organisation proposee par la grande distribution. la categorie des agriculteurs, plutot rattachee au monde rural, est d’ailleurs celle qui proportionnellement frequente le moins regulierement les supermarches.

Le supermarche semble donc constituer une reponse a la fois a un gout des marocains, seduits par la variete des choix, et a une transformation societale en cours, ou travail salarie, mode de vie urbain et, peut-etre, acces des femmes au travail a l’exterieur de la maison, obligent a une gestion du temps et des deplacements plus «efficace».

Des comportements differencies :

Tout le monde ne frequente pas le supermarche de la meme maniere ni pour les memes raisons : selon son age et surtout selon son niveau social, les exigences et strategies de consommation des clients different.

Selon sa generation…

Se rendre au supermarche est un plaisir partage par toutes les tranches d’age. c’est bien pratique, et l’abondance plait. cela dit, quelques differences apparaissent sur certaines questions : 

Pour la tranche des 35-44 ans, la variété et le prix des produits prennent une importance particulière. Cette tranche semble donc globalement plus exigeante sur les propositions des supermarchés et n’hésitera pas à fréquenter un lieu qui leur offre le meilleur rapport variété-qualité-prix, même s’il se trouve légèrement plus loin. D’ailleurs, cette tranche d’âge est celle qui se déclare la moins fidèle à un supermarché en particulier, n’hésitant pas à fréquenter différentes surfaces en fonction des offres disponibles.

Pour les plus de 55 ans, tranche composée de beaucoup de retraités, la proximité du lieu d’habitat prend plus d’importance. Ils semblent aussi moins facilement séduits par un mode de consommation aléatoire : ils sont beaucoup plus nombreux à venir avec une liste. Ils sont aussi les plus réticents à s’approvisionner en produits frais, et en particulier en légumes. Est-ce à dire que les exigences des Marocains s’atténuent, les nouvelles générations étant moins regardantes sur la qualité des légumes, pourtant la base de l’alimentation marocaine ?

Dans les autres tranches d’âge, on achète de façon bien moins raisonnée, en combinant besoins et envies suscitées par la vue des produits proposés, et on est moins regardant sur la qualité des produits frais.

Les 18-24 ans sont les moins prévoyants : un nombre infime prépare sa liste. Cela dit, cette tranche d’âge étant celle qui dépense le moins - en deçà de 100 DH par visite, on peut supposer que leur consommation se réduit de toute façon à un nombre de produits limités et qu’il leur est donc inutile de préparer une liste.

…ET SON NIVEAU SOCIO ÉCONOMIQUE

Le croisement des données entre quartiers de résidence (que l’on peut aisément corréler à un certain niveau de revenus), et certaines réponses obtenues nous éclaire un peu sur la relation entre niveau de vie et rapport à la grande distribution. 

L’échantillon slaoui interrogé lors de cette enquête semble se permettre moins d’écarts et de frivolité dans sa façon de consommer : en grande majorité, les Slaouis viennent avec une liste faite à l’avance, contrairement aux habitants de tous les autres quartiers. De même, les gens résidant à l’Océan, appartenant globalement aux classes populaires (et disposant d’un marché de légumes bon marché dans leur quartier) sont ceux qui évitent le plus d’acheter leurs légumes au supermarché.

Les gens vivant dans le quartier huppé de Hay Ryad sont ceux qui fréquentent le plus assidûment les supermarchés.: pour la plupart, ils déclarent venir une fois pas semaine. Ces observations semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle les supermarchés marocains s’adressent encore majoritairement à une classe aisée.

D’autre part, des différences apparaissent d’une catégorie socio professionnelle à l’autre, notamment sur les montants dépensés, la régularité de la fréquentation en supermarché, et les critères qui poussent les uns et les autres à cette fréquentation.

Les chefs d’entreprise et les fonctionnaires sont les clients les plus réguliers des supermarchés : plus de 70.% d’entre eux s’y rendent une fois par semaine ou plus. Variété des produits et proximité du lieu de travail et d’habitat sont les critères les plus fréquemment cités. La bourse de chacun se reflète sur les montants dépensés : les ouvriers et les étudiants sont ceux qui consomment le plus souvent moins de 100 DH par visite. Paradoxalement, ceux pour qui la consommation en supermarché est le moins accessible sont aussi ceux qui y prennent le plus de plaisir : 81 % des ouvriers se rendent au supermarché avec plaisir. Ils citent aussi la variété des produits (dont ils profitent finalement peu) comme étant la première raison qui leur fait préférer le supermarché au ‘hanout. Suit la proximité du lieu d’habitat. Etrangement, le prix n’apparaît pas comme un critère déterminant.

A l’inverse, les clients de la catégorie «professions libérales», qui dépensent plus fréquemment des sommes plus importantes, sont aussi les plus nombreux à considérer la venue en supermarché comme une corvée (même s’ils restent minoritaires : 31%). La proximité du lieu de travail, et le prix, sont les critères les plus avancés par ces deux catégories. 

PROPOSITION DE TYPOLOGIE DES SUPERMARCHÉS MAROCAINS…

En observant et en recoupant les différentes réponses obtenues sur les différents points de vente, nous avons pu mettre en évidence trois types de supermarchés, correspondant à trois modes de fréquentation et de consommation :

1) Le petit supermarché de proximité.: situé au cœur des quartiers, il est majoritairement fréquenté par des gens qui vivent ou travaillent dans le quartier. La proximité est donc le critère de choix le plus important. Il semble tenir lieu d’épicerie améliorée (on y dépense rarement plus de 100DH par visite), avec l’avantage de proposer plus de variété de produits, et de pouvoir choisir et se servir soi-même. On prend donc manifestement plaisir à fréquenter ces lieux, mais sans pouvoir se permettre la consommation effrénée à laquelle ils invitent…

2) L’hyper marché de luxe : l’archétype étant le Marjane Hay Ryad

On y vient pour faire de grosses courses : les tranches les plus représentées se situent entre 300 et 900 DH. S’y rendre est considéré, plus que pour tout autre supermarché, comme un plaisir (80%). On préfère largement y venir en famille, et on y passe au minimum une demi-heure, plus fréquemment autour d’une heure. Apparemment peu soucieux du budget, on y vient pour presque 90% des gens sans liste de courses préparée et on se laisse guider par les désirs au fur et à mesure que l’on sillonne les gigantesques étalages. On est moins méfiants que dans les autres supermarchés à propos de la fraîcheur et la qualité des produits de type légumes, fruits, viande et légumes. Le supermarché semble donc pourvoir à la majorité des besoins… mais peut-être est-ce une donnée à nuancer : car n’y a-t-il pas, à la maison, un employé qui fait le marché pour ce type de produits tandis que l’on vient en supermarché en famille acheter d’autre types de produits : produits d’importation, habillement, produits de beauté, fournitures scolaires des enfants, etc.?

3) Le supermarché de taille moyenne, qui combine des caractéristiques des deux précédents : la proximité et la variété des produits sont des critères importants. L’archétype est le Marjane Bouregreg, mais on pourrait également classer dans cette catégorie Acima Hay Ryad et Témara, Aswak Salam Hay Ryad et Témara qui présentent, quoique de façon moins marquée, des caractéristiques similaires.

La dimension pratique et économique semble importante dans les motifs de fréquentation : notamment le prix et la proximité du lieu d’habitat. Il est significatif de noter qu’une majorité de clients de ce type de supermarché préfèrent venir seuls. Et munis d’une liste. Cela dit, cette dimension pratique se combine avec une exigence de variété de choix. On peut supposer, vu l’endroit où se situe le Marjane Bouregreg par exemple, qu’il y a des points de vente plus proches, mais qu’on préfère aller légèrement plus loin et y trouver plus de produits.

La majorité des clients dépense moins de 100 DH par visite. On vient également y faire des courses plus importantes, mais selon ses moyens.: 300, 500, 700 DH, selon le quartier. A Témara, c’est plutôt autour de 300DH, au Bouregreg et à Hay Ryad, autour de 500 DH.

…ET DES CATÉGORIES DE CONSOMMATEURS

Ces trois types de supermarché pourraient correspondre à trois catégories de consommateurs :

1. Les consommateurs fantaisistes : Ceux pour qui l’approvisionnement en supermarché est un plaisir qu’on peut largement se permettre (on vient sans liste et on dépense beaucoup) ;

2. Les consommateurs rationnels : ceux pour qui la fréquentation des supermarchés est plus souvent déjà considérée non plus seulement comme un plaisir mais comme une obligation liée à un certain mode de vie. On est d’ailleurs forcé de gérer sa consommation avec plus de parcimonie, selon ses moyens, qui le permettent en partie mais ne sont pas illimités non plus. Le supermarché semble alors représenter à la fois une possibilité de répondre à un désir de s’offrir un peu plus que le simple minimum, et un mode de consommation qui s’imbrique avec un mode de vie lié au travail et impliquant une gestion du temps rigoureuse.

3. Les consommateurs, ou «spectateurs» ( ?) : Ce sont enfin les populations qui n’ont pas les moyens de consommation des deux catégories précédentes et pour qui les supermarchés semblent fonctionner comme un substitut amélioré aux épiceries de quartier : on y vient pour prendre le plaisir de circuler dans les rayons, comparer prix et produits, mais on y achète le strict minimum, l’équivalent peut-être de ce qu’on aurait acheté dans le commerce traditionnel.