Saloua Zerhouni
Professeur politologue à l’Université Mohammed V, Rabat- Souissi, elle était chercheur associé à l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité SWP...
Voir l'auteur ...Le Marketing politique. Faible impact électoral
- 1. Ministère de l’Intérieur : de la falsification à la communication transparente
- 2. Des actions de communication diversifiées et un positionnement clair
- 3. Un impact limité : le poids des freins culturels
- 4. La société civile au service du politique : 2007 Daba
- 5. Les actions de 2007 daba : du marketing politique providentiel
- 6. Une action à impact limité : une diplomatie publique non appréciée
- 7. La communication partisane : un appel à la confiance
- 8. Notoriété du candidat
- 9. Des stratégies sans démarquage minimal
- 10. L’image : le défi de la crédibilité et de l’efficacité
- 11. Les thèmes de campagne
- 12. Le profil des candidats
- 13. La mise en œuvre des stratégies de campagne : un test à réussir
- 14. L’organisation matérielle de la campagne
- 15. La variation des modes de communication
- 16. Degré d’intérêt de l’électeur pour l’information politique
- 17. La centralité de la télévision
- 18. Attractivité et analyse des interventions des partis politiques
- 19. Analyse des interventions télévisées des partis
- 20. Intérêt pour l’électeur
- 21. Attractivité de la presse et comportement électoral
- 22. Presse et âge des électeurs
- 23. Presse et geste électoral
- 24. Presse et volatilité politique
- 25. Attractivité de l’information politique radiophonique
- 26. Marketing politique via Internet : le challenge de l’avenir
- 27. La prééminence des modes interactifs dans la communication des candidats
- 28. Porte-à-porte et autres formes de communication
- 29. Le marketing politique face à la résistance perceptuelle de l’électeur
- 30. Modèle conceptuel
- 31. Une lecture dans l’abstentionnisme
- 32. Les «abstentionnistes désengagés»
- 33. Les «abstentionnistes engagés»
- 34. Conclusion
La communication serait-elle la «baguette magique» qui va réconcilier le citoyen marocain avec la politique ? Dans quelle mesure l’Etat, les partis politiques, peuvent-ils accroître leur crédibilité et embellir leur image à travers le marketing politique ? Une conception nouvelle de la communication peut-elle convaincre le citoyen d’aller voter alors que ses attentes n’ont pas été satisfaites ? Peut-on faire croire au Marocain que sa voix compte et que son vote est décisif ? La communication peut-elle remplacer l’action ?
Une des spécificités des législatives de 2007 au Maroc est la « campagne de communication » qui a eu lieu autour de la participation électorale. Monarchie, ministère de l’Intérieur, partis politiques et organisations de la société civile ont utilisé une panoplie de moyens de communication, aussi bien traditionnels que modernes, pour inciter les Marocains à voter. Ainsi, les discours de Mohammed VI n’ont pas manqué de rappeler aux citoyens leur devoir de vote. Le ministère de l’Intérieur, quant à lui, a fait appel à une agence de communication pour la conception de sa stratégie et a consacré 14% du budget global de l’opération électorale à la communication. Les partis politiques ont contacté, dans leur majorité, des agences de communication pour les assister dans leur campagne électorale. Plus originale est l’action de la société civile, surtout celle de 2007 Daba, qui a élaboré et mis en œuvre tout au long de l’année précédant les élections, un programme/plan d’action en vue de sensibiliser les marocains au vote.
Ces campagnes de communication s’inscrivent dans le cadre de la politique de l’Etat d’augmentation du taux de participation. Pendant longtemps, les décisions fondamentales concernant les processus électoraux se prenaient, de façon formelle ou informelle, entre le Palais, le ministère de l’Intérieur et les partis politiques. L’électorat était le grand absent des calculs et négociations des acteurs politiques. Désormais, il revient avec force sur scène. N’étant plus dans une logique de falsification des élections, ce rendez-vous électoral a été très attentif aux réactions des électeurs et a accordé un intérêt particulier à leur participation. La multitude de sondages d’opinion et d’enquêtes sur le comportement électoral du Marocain et de ses tendances de vote témoigne de cette importance1.
Pour comprendre la communication politique au Maroc, il faut la situer dans le contexte sociopolitique dans lequel elle se déploie. En effet, le Marocain devient de plus en plus sceptique vis-à-vis des institutions concernant la participation politique. Il est indéniable que la faiblesse des pouvoirs et des marges de manœuvre des institutions telles que le Parlement et le gouvernement ainsi que l’histoire de la falsification des élections fondent les perceptions négatives de l’édifice institutionnel. Au fil des années, une image ternie du politique est enracinée dans les esprits des Marocains. En outre, l’intérêt pour la politique se fait de moins en moins sentir chez une population dont les besoins vitaux sont plutôt d’ordre social et économique.
Par ailleurs, la communication a été monopolisée pendant une longue période du règne de Hassan II par l’institution monarchique2. Les réformes politiques des années 1990, surtout en matière des droits de l’homme et des libertés publiques, ont contribué à l’ouverture du champ de la parole et à l’émergence d’une médiatisation politique qui se veut indépendante. Les législatives de 2007 constituent un moment important dans l’évolution du champ de la communication politique au Maroc. Certes, les politiques ont toujours utilisé des moyens variés pour faire adhérer les citoyens à leurs programmes et actions politiques, mais le recours aux techniques du marketing politique est un phénomène récent.
L’introduction des techniques de marketing requiert «l’élaboration d’une stratégie de ‘communication politique’…une démarche globale de conception, de rationalisation et d’accomplissement de la communication politique moderne»3. Ce travail a pour objectif d’analyser les politiques de communication de trois acteurs : le ministère de l’Intérieur, l’association 2007 Daba et les partis politiques. Seront examinées également les réactions de l’électorat à leur égard. L’impact des campagnes de communication sur les électeurs nous renseigne sur l’efficacité des stratégies des différents acteurs.
Conscients de l’importance de la communication à la naissance du fait politique et de l’acte citoyen, des acteurs étatiques, tels que le ministère de l’Intérieur, et non étatiques tels que l’association 2007 Daba, ont essayé de sensibiliser les Marocains à leur devoir de citoyenneté. Les législatives de 2007 se distinguent des précédentes par l’intérêt que différents acteurs ont accordé à la participation des Marocains au processus électoral. Eveiller le sentiment de citoyenneté chez des individus, longtemps sujets dans leurs relations avec l’Etat, s’est avéré une tâche difficile. La variation et la sophistication des moyens de communication utilisés par ces acteurs n’ont pas eu certains des effets escomptés, ce qui nous amène à nous interroger sur les parties cachées de l’iceberg.
Ministère de l’Intérieur : de la falsification à la communication transparente
Le ministère de l’Intérieur est l’architecte par excellence de l’opération électorale. Son rôle a toujours été déterminant dans les différentes étapes du processus électoral, de la définition des lois organisant les élections, du découpage électoral, de la supervision des élections, de la proclamation des résultats.
Dans le passé, ce ministère a largement contribué à la falsification des élections, et à la manipulation des élites partisanes. Ainsi, il a tantôt poussé différents protagonistes à s’allier ou à forger des accords, tantôt encouragé les scissions entre les partis. Les techniques de falsification utilisées dans les précédentes élections ont été nombreuses : démultiplication de partis politiques, partis créés ex-nihilo (partis dits de l’administration), édition de cartes d’électeurs fictives, découpage électoral et loi électorale favorisant ou sanctionnant un parti, vol des urnes, listes électorales truquées, et préfabrication des procès-verbaux …
Depuis l’intronisation de Mohammed VI, le processus électoral a connu un virage vers la transparence et la neutralité. En effet, les premières élections tenues sous le règne de Mohammed VI ont été considérées par la majorité des observateurs et des médias nationaux et internationaux comme les plus transparentes dans l’histoire politique du Maroc.
Le rôle du ministère de l’Intérieur, lors des législatives de 2007, a aussi connu un changement et un nouveau positionnement dont les éléments principaux sont la neutralité et la transparence4. Cependant, le collectif associatif pour l’observation des élections, dans son extrait du rapport de l’Observatoire national des élections législatives du 22 Septembre 2007, a souligné que, bien que l’administration territoriale n’ait pas interféré dans le déroulement de la campagne électorale et du vote, un nombre de fonctionnaires et agents relevant de ladite administration sont intervenus à différents stades en faveur de candidats.
Par ailleurs, jamais dans l’histoire du Maroc, le ministère de l’Intérieur n’a conçu une campagne de communication aussi élaborée autour de l’opération électorale. Pour les législatives de 2007, il a contacté l’agence de communication Saga en vue de l’aider à élaborer sa stratégie, il a réalisé des sondages sur le comportement électoral potentiel des Marocains et a engagé un certain nombre d’actions de communication5. Dans ce qui suit, nous allons présenter les actions de communication du ministère de l’Intérieur, avant d’en évaluer l’impact sur l’électeur.
Des actions de communication diversifiées et un positionnement clair
Pour accompagner les législatives 2007 et booster la participation des citoyens dans le processus électoral, le ministère de l’Intérieur s’est doté de tous les moyens juridiques6, financiers et humains conjugués à une stratégie de communication ficelée avec des objectifs et un calendrier précis. A cet effet trois campagnes de communication visant l’augmentation du taux de participation électoral ont été conçues et mise en œuvre avec un budget global de 30 millions de dirhams7. Ces opérations avaient pour objectif d’accroître le nombre d’inscrits, surtout dans la population des + de 18 ans et le taux de vote.
Pour l’adaptation de la communication aux différentes cibles (Jeunes/séniors, scolarisés/non scolarisés…), différents messages incitatifs et pédagogiques autour de l’inscription dans les listes électorales, le retrait des cartes et la mobilisation aux votes sont conçus et mis en œuvre en privilégiant les mass médias et l’Internet. Ainsi, spots TV, capsules pédagogiques, messages radios, et des bannières Web ont été diffusés. Rien n’est laissé au hasard même la possibilité pour chacun de vérifier, son inscription est prévue par Internet ou l’envoi de SMS.
L’Intérieur a également adapté son discours à sa nouvelle politique de communication. Contrairement aux accroches de type «le vote, un devoir national», cherchant à éveiller le sentiment de patriotisme (dimension affective) et devant la volonté de repositionner et d’améliorer l’image des élections, la communication devient plus soft et vise la dimension conative du comportement de l’électeur (appel à l’action) comme en témoigne les signatures suivantes : «Inscrivez votre nom dans l’avenir de votre pays», «Ma carte, mon droit au choix».
A l’instar de la communication publicitaire qui reconnaît le poids de la marque dans la construction de l’identité distinctive d’un produit, son identification et son pouvoir d’influence sur le comportement du consommateur, un logotype (Identité visuelle) a été adopté sous forme d’une urne en verre habillée des couleurs du drapeaux national (rouge et vert), qui évoque le concept de transparence, élément central de la nouvelle identité des élections.
Afin de répondre à l’hétérogénéité des cibles et d’avoir plus d’impact par rapport aux trois objectifs précités, le plan médias8 est composé d’un mix de supports très diversifiés : capsules pédagogiques, messages radio, bannières Web, affiches urbaines et urnes géantes dans les principales villes du royaume. Le graphique ci-dessous récapitule les objectifs et la stratégie des moyens :
Le positionnement change, la communication et le style également : pour plus de transparence, de neutralité et de moralisation du processus électoral. A travers l’analyse de tous les messages, de la communication et des actions entreprises ces quatre éléments semblent constitutifs d’un nouveau positionnement marketing.
Un impact limité : le poids des freins culturels
Malgré les moyens de communication utilisés par le ministère de l’Intérieur et sa volonté d’améliorer l’image des élections, les résultats n’étaient pas à la hauteur des attentes. Sur les 3 millions de nouveaux inscrits, seulement la moitié a réagi positivement à l’appel de l’Etat. Aussi, le Maroc a enregistré le taux de vote le plus faible dans son histoire électorale (37,5). Par ailleurs, le sondage a montré que la décision d’inscription aux listes électorales sur la tranche des 18-24 ans a été fonction d’une décision personnelle (62,2%). L’impact de sensibilisation de l’Etat est très restreint (11,3%).
Par ailleurs, d’autres facteurs ont motivé la décision d’inscription dont les plus importants sont :
1) L’influence des groupes de référence telle que la famille, les amis et les voisins. Les plus perméables à cette influence sociologique sont les jeunes électeurs résidant à Rabat, de sexe féminin, sans emploi (chômeurs, femmes au foyer ou étudiants).
2) La pression intériorisée de l’Etat chez certains sondés qui pensent que l’inscription dans les listes électorales est un pré-requis pour bénéficier des services de l’administration. Cette perception utilitaire laisse présager la persistance de certains dogmes et conjectures vieillis chez certains pour qui l’inscription est «la condition nécessaire pour retirer le passeport» ou, comme le dit un autre sondé, «pour acquérir les papiers administratifs en cas de besoin». La pression de l’Etat est beaucoup plus ressentie à Médiouna et à Casablanca, surtout chez les jeunes électeurs, de sexe masculin.
3) Le troisième facteur est en relation avec les valeurs de la citoyenneté. Ainsi, certains pensent que l’inscription «est un devoir en tant que citoyen», ou qu’elle va «augmenter le taux de participation». Il s’agit, dans ce cas d’espèce, de jeunes de sexe masculin résidant à Rabat et à Casablanca.
En général, on ne peut analyser l’impact de la campagne de communication en dehors des spécificités sociopolitiques et culturelles du Maroc, vu le manque de confiance des citoyens dans l’opération électorale et l’image endommagée des partis politiques. L’histoire des falsifications et des manipulations des élections est certes enracinée dans les esprits des Marocains, mais elle est aussi le résultat de la perception par les citoyens du ministère de l’Intérieur comme étant une institution contraignante de l’Etat.
L’étude a mis en exergue deux éléments explicatifs de l’impact limité de la communication du ministère de l’Intérieur : L’image négative du politique et des institutions et le caractère hybride des modes de communication de l’Intérieur. L’analyse des perceptions des non inscrits (11,6%) montre que la majorité est très sceptique vis-à-vis des partis politiques et des candidats. Ces sondés considèrent les élections comme un passeport pour l’enrichissement d’une élite politique opportuniste. Celle-ci ne se rapproche des citoyens qu’au moment des élections. Ils assimilent les élus à des «voleurs» qui ne cherchent à travers les élections qu’à servir leurs propres intérêts et à consolider leur position sociale.
Les jeunes sont constitués principalement par la tranche des moins de 35 ans, soit (67,2%) avec une prédominance de la tranche des 18-24 ans (38,8%), des étudiants, des ouvriers et des chômeurs (53 %) dont une majorité réside à Casablanca (70,7%). Ils ont une perception négative des institutions politiques en général et à l’égard des partis politiques et de leurs candidats en particulier. Ils qualifient l’élite politique d’attentiste et d’opportuniste.
Inscription et retrait des cartes : la «main» du moqaddem
Le caractère hybride des modes de communication de l’Intérieur est aussi un facteur qui a limité son impact sur le vote des citoyens. En parallèle des modes de communication nouveaux, il a eu recours à des moyens traditionnels de communication en se servant de certains relais/intermédiaires pour faire passer son message. En effet, le «moqaddem» vieux symbole du makhzen, a contribué effectivement aux deux campagnes de sensibilisation pour l’inscription aux listes électorales et pour le retrait des cartes d’électeurs. D’après les résultats de notre sondage, certains ont déclaré avoir été inscrits lors de la demande de papiers administratifs (certificat de résidence).
En outre, la main invisible du «moqaddem» s’est immiscée lors du retrait de la carte d’électeur, soit en persuadant les citoyens (35,7% des inscrits) de retirer leur carte, soit en procédant à son dépôt à leur domicile ou en la mettant à la disposition d’un membre de la famille. Nous pouvons donc conclure à l’aide des déclarations des sondés à une certaine ingérence des agents de l’Etat dans le processus électoral et à une atteinte au principe de neutralité à ce niveau. Cette ingérence a entraîné des perceptions négatives et a nourri des sentiments rappelant les expériences passées à l’égard de la participation électorale.
La société civile au service du politique : 2007 Daba
Avec l’ouverture politique des années 1990, les organisations de la société civile oeuvrant pour l’ancrage des valeurs démocratiques et de citoyenneté ont connu une certaine floraison. Des organisations telles que Alternatives, Afaq, Collectif modernité et démocratie, Transparency Maroc, Forum de la citoyenneté et bien d’autres ont suscité des débats publics sur des thématiques en relation avec les réformes politiques, économiques et sociales à engager. Par ailleurs, la période électorale a toujours constitué un moment privilégié de l’action de la société civile en matière de sensibilisation des Marocains aux valeurs de la citoyenneté. Pendant les législatives de 2002, certaines associations avaient déjà engagé différentes initiatives d’incitation des Marocains à la participation électorale.
L’action des organisations de la société civile pendant les législatives de 2007 a pris de l’ampleur. Elle a porté sur différents aspects de l’analyse du cadre de l’organisation des élections9 et l’observation des conditions de leur déroulement. Ceci dit, une particularité de ces élections législatives est la création de l’association 2007 Daba, un an avant les élections, spécialement pour mobiliser une plus grande participation électorale et pour «rétablir la confiance». L’initiative, si initiative il y a10, est louable. Cependant, dans quelle mesure peut-on réparer en une seule année ce qui a été endommagé pendant plus de 30 ans ? L’image du politique étant ternie, confier la tâche de son embellissement à la société civile peut-il l’améliorer ? Avant de parler de l’impact de l’action de 2007 Daba, nous allons tout d’abord présenter les actions entreprises par cette association.
Les actions de 2007 daba : du marketing politique providentiel
Dans un contexte politique marqué par la désaffection des citoyens et le discrédit de la chose publique, le marketing ‘du politique’ a été avancé par 2007 Daba comme étant un remède potentiel. Pour comprendre au mieux les raisons qui motivent cet état de fait, l’association a procédé à l’analyse de la perception que les Marocains ont de la politique et de ce que sont leurs attentes prioritaires, à travers des sondages, études et focus-groups. Face à des constats alarmants, 2007 Daba s’est fixée un ensemble d’objectifs ambitieux, notamment :
1) Revaloriser et réhabiliter l’action politique et agir pour l’implication des femmes et des jeunes dans l’action partisane, 2) Œuvrer pour l’ouverture des partis politiques à de nouvelles élites économiques et intellectuelles, 3) Mobiliser fortement les citoyennes et citoyens pour le vote, 4) Inciter les élites à intégrer les partis, 5) Agir en direction des autorités pour le respect des choix des électeurs en toute liberté et transparence et les inciter à la stricte application de la loi en matière de délits et crimes électoraux.
Pour la réalisation de ses objectifs, 2007 Daba a adopté des stratégies en fonction des cibles identifiées : les partis politiques, les élites, les jeunes, les ONG et les femmes11. Pour la mise en œuvre de sa stratégie, elle s’est organisée en quatre commissions, chacune travaillant sur une cible et selon un plan d’action déterminé. Une diversité de moyens a été utilisée par les différentes commissions dans la mise en œuvre de leurs plans d’action. La plupart des activités se sont déroulées sous forme de workshops, rencontres (restreintes ou non), forums-débats. L’association a édité et distribué un guide du citoyen et une brochure sur les partis politiques. En outre, la commission «jeunes et ONG» a organisé une caravane de la citoyenneté qui a sillonné tout le Maroc et avait pour objectif de toucher le maximum de gens.
En parallèle de ses activités, 2007 Daba a mené des actions transversales visant l’éducation à la politique, la promotion du débat et l’incitation au vote. A ce niveau, 31 capsules audiovisuelles ont été diffusées en vue d’expliquer aux citoyens l’importance de leur participation à la vie politique. L’association a également mené des campagnes multimédias pour inciter les Marocains en âge de le faire à s’inscrire sur les listes électorales et à voter. A travers ces campagnes, 2007 Daba a voulu faire passer au moins deux messages forts : 1) les Marocains peuvent décider de leur avenir, 2) le changement se fait étape par étape. Cet appel à la citoyenneté, malgré les moyens investis, a eu un impact très limité.
Une action à impact limité : une diplomatie publique non appréciée
L’expérience de 2007 Daba montre que le marketing politique n’est pas suffisant pour réussir une action. Certes, l’association a fait des réalisations louables et a pu atteindre certains de ses objectifs, notamment l’intégration des élites dans les partis de leur choix (800 personnes), elle a certainement contribué au débat avec les jeunes et les femmes sur la politique. Cependant, beaucoup de ses objectifs n’ont pas été réalisés. Il en est ainsi de l’augmentation du taux de la participation électorale des jeunes (25%) et de l’adhésion des femmes aux partis (20%).
Le sondage a aussi montré que l’impact de cette association est très limité. Seulement 10,7% des inscrits ont déclaré avoir franchi le pas grâce à son action. La pression de la campagne de 2007 Daba est beaucoup plus ressentie dans l’urbain que dans périurbain : soit 11,5% à Casablanca, 9,7% à Rabat, et 7,1% à Médiouna, contrairement à l’impact de la communication du ministère de l’Intérieur, qui est plus rural qu’urbain.
L’impact limité de 2007 Daba tient principalement au fait que certains de ses objectifs sont «utopiques». Bien que sa stratégie soit fondée sur des analyses de terrain, 2007 Daba n’a pas voulu limiter son action à un ou deux objectifs principaux. Or la dimension temps est à prendre en considération. En l’espace d’une année, 2007 Daba ne pouvait rétablir la confiance. Son action n’a pas été accompagnée par une médiatisation des actions du gouvernement et, si elle a pu organiser beaucoup de choses sur le plan quantitatif, des analyses plus approfondies du contenu de toute son action peuvent nous indiquer les raisons de son impact limité.
La définition du rôle de ce nouvel acteur, civil mais en même temps au service de l’Etat, pour accomplir une tâche qui n’est pas forcément la sienne, prête à confusion. La scène politique marocaine est assez complexe et se caractérise par l’ambivalence de ses acteurs. Les objectifs et l’action de 2007 Daba prêtent à confusion. Alors que le champ politique marocain est assez complexe, la perception du rôle de cet acteur sur l’échiquier politique peut limiter l’adhésion des citoyens ou des partis eux-mêmes.
Enfin, la communication ne doit pas être conjoncturelle, on ne peut éduquer les citoyens en une année sur les valeurs démocratiques, ni en publiant un guide sur les institutions. L’éducation civique et politique est un travail de longue haleine qui nécessite la contribution de tous les acteurs (partis politiques, écoles, famille…) et l’implication des citoyens eux-mêmes.
La communication partisane : un appel à la confiance
Les élections constituent un moment privilégié de la communication partisane. Tous les partis politiques, même les plus «casaniers», font l’effort d’aller vers le citoyen pour présenter leurs principes et programmes. Pendant les législatives de 2007, les formations politiques ont accordé un intérêt particulier à l’amélioration de leurs moyens de communication avec l’électorat. Mieux communiquer et faire adhérer le maximum d’électeurs aux idées ou aux hommes du parti constituaient deux de leurs priorités.
L’électorat, désenchanté de l’action des partis, n’a pas répondu présent à leur appel à l’adhésion. Pour Christian Delporte : «Autrefois, on agissait d’abord, on communiquait ensuite.
Puis on a communiqué pour agir. Désormais, la communication a tendance à remplacer l’action»12. Serait-ce le cas au Maroc ?
Notoriété du candidat
Le fait que la majorité des candidats ont mené des campagnes de conquête a fait que le tiers des électeurs (30,7%) n’a pris connaissance d’aucun candidat/parti présent dans sa circonscription et seulement (6,9%) ont connu tous les candidats. Par ailleurs, seulement (5,5%) ont connu le candidat pour lequel ils ont voté. Partis et candidats n’ont pas accordé beaucoup d’importance à la définition de l’axe de leur campagne. En effet, faire une campagne de conquête alors que les chances de succès sont limitées peut avoir des répercussions négatives sur l’image, voire la longévité du parti sur la scène politique en cas d’échec.
Pour ce qui est de l’analyse de terrain, deuxième élément nécessaire à la fixation de la stratégie, les campagnes des partis et des candidats sont largement lacunaires à ce niveau. Le PJD est le seul parti à avoir utilisé la technique du sondage pour préparer sa campagne électorale. Les autres se sont contentés de l’analyse des résultats des élections précédentes et des sondages effectués par des ONG nationales ou internationales, le ministère de l’Intérieur ou certains journaux. Le diagnostic de l’échiquier politique et la connaissance des attentes des citoyens permettent aux partis et aux candidats de mieux se positionner et de définir des stratégies de campagne efficaces. Le recours limité aux techniques de sondage et d’enquête d’opinion a été justifié par le manque de moyens financiers, de temps, ou la méfiance à l’égard de ces techniques.
Des stratégies sans démarquage minimal
La deuxième étape dans l’élaboration d’une stratégie de campagne consiste en la délimitation de ses objectifs, à savoir les cibles, l’image et les thèmes de campagne. En principe, l’analyse des caractéristiques des citoyens, de leurs motivations et de leurs attentes facilite l’identification des cibles et la définition des thèmes de campagne.
Les cibles privilégiées : jeunes, femmes et indécis
Une des difficultés du marketing politique est la définition de cibles susceptibles d’être influencées. En théorie, la segmentation de la population peut se faire selon deux critères, soit en fonction des caractéristiques sociologiques, soit en fonction des affinités avec le parti ou l’homme politique. Les partis ont combiné les deux critères dans leur démarche de ciblage. Certes, ils ont essayé de s’adresser à tous les Marocains, en présentant des programmes correspondant aux soucis/aspirations de tous les âges et de toutes les catégories socioprofessionnelles. Néanmoins, ils ont retenu comme cibles privilégiées les jeunes et les femmes et ont tenté de s’adresser aussi bien à leurs électeurs acquis qu’aux électeurs indécis.
Dans la définition de leurs cibles, la plupart des partis se sont basés essentiellement sur les informations envoyées par leurs sections implantées dans les différentes régions, sur les résultats des élections précédentes, notamment celle de 2002 et sur les sondages effectués par différents acteurs de la vie politique. Certes, ces données renseignent les partis sur les électeurs à cibler dans leurs campagnes, mais leur fiabilité est limitée. Les politiques de marketing de la plupart des partis n’ont pas été adaptées aux cibles retenues. A l’exception de quelques uns, tel que l’Istiqlal, dont la cohérence entre la cible, l’image et les thèmes de campagne est exemplaire.
Les candidats, de leur côté, ont défini leurs cibles beaucoup plus sur la base de l’affinité politique des destinataires de la communication. Les jeunes étaient une cible privilégiée dans leur communication. Néanmoins, pour influencer les électeurs, les candidats ont eu recours également à ce que l’on appelle, dans le jargon du marketing politique, les «leaders» ou «relais d’opinion». Ceci ressort clairement des tactiques adoptées par les différents candidats dans la mise en œuvre de leurs stratégies de campagne. Dans leur majorité, ils ont essayé de prendre en compte la diversité du public composant la circonscription et ont varié leur message pour atteindre le maximum d’électeurs possible.
L’image : le défi de la crédibilité et de l’efficacité
Conscient du désenchantement des citoyens et du manque de confiance vis-à-vis de la chose publique, la majorité des partis était confrontée au défi de la crédibilité. Soucieux d’améliorer leur image auprès des citoyens. Certains partis ont commencé à travailler sur sa délimitation bien avant la campagne électorale. Des congrès ont été tenus et un renouvellement du leadership a eu lieu dans des partis comme le RNI. L’élection de femmes dans les instances dirigeantes des partis et l’intégration de jeunes ont constitué les ingrédients nécessaires à la «redéfinition» de l’image de certains partis politiques. Les composantes essentielles de la nouvelle image que les partis ont voulu projeter sont : la rupture avec le passé, la démocratie interne, l’ouverture et l’efficacité.
Pendant la campagne électorale, les partis ont eu recours à une diversité de moyens pour fonder ou confirmer la crédibilité de leur image. Ainsi, dans les interventions télévisées, le PI a mis en relief le bilan positif de ses ministres, le PJD a mis en valeur le référentiel religieux du parti et les qualités spirituelles de ses membres. Par ailleurs, la plupart des partis ont projeté les images des leaders historiques comme rappel de leur enracinement. Les interventions télévisées nous renseignent sur l’image que les partis ont voulu projeter.
Les thèmes de campagne
Les partis politiques ont érigé en thèmes principaux de leur communication les préoccupations de l’électorat. Ainsi, les thèmes de campagne ont porté sur l’emploi, l’éducation, l’habitat, la santé, la lutte contre la pauvreté, le développement de l’entreprise…la liste est longue. Certains partis ont choisi de mettre en valeur des thèmes de campagne en relation avec les idées politiques qu’ils défendent. Cette voie a été empruntée par certains d’entre, eux mais a eu des effets controversés selon la popularité des idées avancées. La mise en valeur du référentiel religieux du PJD a certes joué en sa faveur. Le fait que le PSU ait insisté sur les réformes politiques et constitutionnelles, aussi bien dans le programme électoral que dans l’intervention télévisée du parti, a eu un effet inverse. Le nombre de voix obtenu par ce parti montre que ces questions sont impopulaires. En outre, la plupart des partis n’ont pas limité le nombre de leurs thèmes de campagne, ce qui a suscité la confusion des citoyens et a renforcé l’image que tous les partis sont similaires.
Les thèmes de campagne et le programme électoral deviennent des éléments importants dans le vote des citoyens. Parmi ceux qui ont voté (380), (47,1%) l’ont fait pour le parti et (41,3%) pour le candidat.
Le programme du parti et son référentiel deviennent plus importants dans les votes des Marocains les plus instruits. Ainsi, plus de la moitié de ceux qui ont voté pour le parti l’ont fait principalement sur la base de leur adhésion au programme et aux principes du parti.
Plus on avance dans le niveau de scolarisation, plus les gens votent sur la base du programme et de l’idéologie. Ainsi, les taux les plus élevés sont chez les électeurs qui ont un niveau d’éducation secondaire et ceux qui ont le niveau bac et plus.
Le profil des candidats
les thèmes principaux de campagne ont été repris au niveau local mais avec une certaine adaptation aux particularités des besoins de la circonscription. Dans leur communication orale et directe avec les électeurs, les candidats ont choisi leurs thèmes de campagne en fonction des aspirations/attentes des citoyens. La plupart des candidats se sont basés sur les résultats des élections précédentes dans les différents bureaux de vote et avaient des cartes assez précises des tendances de l’électorat dans les différentes parties de la circonscription. Ainsi, la majorité des candidats ont essayé de prendre en compte les particularités locales et développé des programmes spécifiques, qui ne sont pas forcément en relation avec le programme du parti sur le plan national.
Cette tendance qui consiste à promettre aux citoyens de résoudre leurs problèmes accentue la confusion chez l’électeur entre le rôle de l’élu local, celui de l’élu national et par là même, celui de certaines institutions comme le Parlement. La perception négative de ce dernier peut être expliquée aussi par le fait que les candidats aux législatives n’expliquent pas forcément aux citoyens que certaines tâches, comme la gestion des déchets ménagers, relèvent de la compétence des communes et non du Parlement. Les candidats de certains partis tels que le PJD, le PPS et le PSU ont essayé de faire passer ce message, mais malheureusement sans succès.
En fonction des demandes, le candidat réagissait avec les promesses qu’il pouvait satisfaire et les solutions qu’il pourrait apporter, une fois élu. Certes, les citoyens sont très soucieux de voir le candidat résoudre certains de leurs problèmes quotidiens. Ceci dit, nous avons relevé auprès des sondés de nouvelles tendances concernant les déterminants de leur vote. Les Marocains votent beaucoup plus pour le parti que pour les candidats. Cette tendance est très présente dans les milieux urbains, notamment Rabat et Casablanca. Mais dans la circonscription périurbaine de Médiouna, les électeurs votent beaucoup plus pour le candidat, à raison de 67,7% des sondés.
Si l’observation des candidats pendant leur campagne électorale a montré que l’électorat était soucieux des services qu’ils pouvaient lui rendre, le sondage a montré que la plupart des gens qui ont voté pour un candidat l’ont fait d’abord pour son sérieux et son efficacité supposée (22,7%), puis pour son appartenance partisane (13,8%) -voir tableau 8.
Par ailleurs, le recours de certains candidats à des considérations telles que «fils de la circonscription», «il a son travail ou il est né dans la circonscription» deviennent de moins en moins déterminantes dans le vote des électeurs.Recourir à ces considérations pour convaincre le citoyen d’une proximité garantie, n’a pas influencé le vote. En effet, seulement 6,5% des sondés ont voté pour un candidat parce qu’il appartenait au quartier (ouled derb).
Le recours de certains candidats à l’organisation de festins, où leaders d’opinion, notables et électeurs sont conviés, est une pratique qui a été relevée dans la majorité des circonscriptions étudiées. Le sondage a montré que ces modes n’ont pas forcément été les plus déterminants dans le vote des candidats. Certains candidats, dans leur course au siège, optent pour l’affectif et l’émotionnel afin de convaincre les électeurs : l’impact devient de plus en plus limité, même dans les cas où l’on jure sur le Coran et où l’on formule une promesse au candidat. Voter pour quelqu’un parce qu’on le lui a promis (ou à l’un de ses proches) lors du partage d’un repas, «Aar», est une tendance de plus en plus faible.
La mise en œuvre des stratégies de campagne : un test à réussir
L’opération électorale devient de plus en plus complexe et nécessite des outils et moyens nouveaux de communication. Ainsi, différents partis politiques ont contacté des agences de communication pour les assister dans la conception et la mise en oeuvre de leurs stratégies communicationnelles en temps électoral. Le caractère conjoncturel de la communication de la plupart des partis peut être expliqué par un ensemble de facteurs dont, le monopole exercé sur les médias par l’Etat pendant une longue période de l’histoire politique du Maroc indépendant, le manque de moyens financiers des partis, ainsi que l’intérêt limité que l’élite partisane porte à une professionnalisation de la communication. Selon un responsable communication au sein d’un parti politique : «A cause des séquelles du passé, les partis politiques n’accordent pas beaucoup d’importance à la communication. Au sein de notre parti, les moyens utilisés sont le journal, plus un bulletin interne qui circule mal».
Dans la mise en œuvre des stratégies de campagne, partis et candidats étaient soucieux d’assurer les meilleures conditions d’organisation et de varier leurs modes de communication avec les citoyens, en vue d’en toucher le plus possible.
L’organisation matérielle de la campagne
La mise en place d’une infrastructure opérationnelle pour la mise en œuvre de la stratégie de communication est une condition de la cohérence et de l’efficacité de la campagne électorale. Les partis ont fait appel à leurs cellules/départements/pôles de communication pour mettre en place des organismes de campagne. La composition de ces structures variait d’un parti à l’autre18. Dans la majorité des cas, des directeurs de campagne ont été désignés par la cellule communication. Outre les directeurs de campagne nationale, les comités de coordination comprenaient des responsables des finances, de la logistique, presse et/ou une veille de surveillance, et dans certains cas un conseiller juridique. Tous les partis se sont contentés de leurs ressources internes, le recours aux agences s’est fait principalement pour la réalisation ou la production de capsules ou autres supports de campagne.
Les candidats les mieux organisés dans leur campagne ont mis en place les infrastructures nécessaires et ont procédé à la répartition des tâches et à l’identification des équipes de soutien, avant le début de la campagne électorale ; il s’agit notamment des candidats du PJD et du PPS. D’autres candidats avaient un groupe de travail, mais les équipes de soutien n’étaient pas encore recrutées au début de la campagne électorale. Ils n’ont commencé ce travail qu’à ce moment-là.
Une bonne partie des candidats des villes de Rabat et de Casablanca était bien organisée dès le départ. Ils ont fait une analyse des attentes des citoyens et une répartition géographique des tendances de l’électorat. Certains ont même contacté des agences de communication ou ont fait appel à des experts en communication au sein de leur parti, pour les assister dans l’élaboration d’une stratégie afin de bien mener leur campagne.
La majorité des candidats de Médiouna n’ont pas fait appel à des directeurs de campagne, mais l’ont gérée eux-mêmes, en ayant recours principalement aux modes traditionnels de communication, notamment le contact direct.
Pensez-vous que les candidats de votre circonscription ont mené des campagnes électorales organisées ?
La campagne électorale elle-même reste mal appréciée par les électeurs et semble avoir un impact négatif sur le vote ; en effet, 82,7% jugent celle-ci comme désorganisée ou peu organisée, contre seulement 13,3% qui l’ont considérée bien organisée.
Le bruit tard le soir, les klaxons des voitures, l’improvisation dans l’organisation, le jet des prospectus par terre (gaspillage), les insultes et les bagarres entre les services de propagande des candidats, le recours aux femmes illettrées, aux enfants et aux délinquants pour animer la campagne, les embouteillages sont les principales raisons de cette appréciation négative de la campagne électorale.
Nous remarquons d’après le tableau ci-dessus que parmi ceux qui n’ont pas voté, une écrasante majorité a jugé négativement l’organisation de la campagne. La dépendance entre les deux variables est très significative.
La variation des modes de communication
Les partis et candidats ont utilisé une variété de moyens pour communiquer avec les citoyens. Si les partis ont largement profité de l’ouverture médiatique et de la libéralisation de l’espace audiovisuel, nous avons remarqué la prééminence des modes de communication interactifs au niveau des candidats.
Les partis et le «renouveau médiatique»
La nouvelle réglementation médiatique a permis de mettre fin au vide juridique relatif au pluralisme d'expression des différents courants sur les médias, une décision du Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA), concernant la garantie du pluralisme de l’expression et de l’opinion en dehors des périodes électorales, a été publiée au Bulletin officiel du 12 décembre 2006.
Le rôle de la HACA est d’assurer aux différents partis participant aux élections, des temps d'antenne et de parole «équitables», selon la règle qualifiée des "trois tiers" : Elle consiste à ce que le temps cumulé (temps de parole et temps d'antenne ou d’émission) des interventions des membres du gouvernement et des partis de la majorité parlementaire ne dépasse pas le double du temps consacré aux partis appartenant à l'opposition parlementaire au sein de la Chambre des représentants. Les partis non représentés au Parlement ont droit à 10 % du temps global de la majorité gouvernementale, du gouvernement et de l'opposition parlementaire.
Degré d’intérêt de l’électeur pour l’information politique
D’après les résultats de l’enquête, nous remarquons que seulement 36,5% des électeurs ont déclaré avoir suivi des débats/reportages et dossiers relatifs aux élections contre 62,6% qui ne l’ont pas fait. L’impact du suivi des débats et reportages sur le vote dépend principalement de deux variables sociodémographiques à savoir, la catégorie socioprofessionnelle et le genre. En effet, nous remarquons que ce sont plus les élèves/étudiants (51,4%) et cadres supérieurs (66,7%) qui ont suivi les débats et reportages que les employés/ouvriers (43,7%), les chômeurs (25,8%) et les inactifs (15,2%). Les hommes (68,3%) plus que les femmes (56,5%).
Nous remarquons également que seulement 29% de ceux qui n’ont pas accompli le geste électoral ont suivi des débats et des reportages dans les médias contre 46,8% de ceux qui ont voté. Nous pouvons donc conclure une certaine corrélation positive entre le vote et l’intérêt relatif aux sujets et aux informations politiques (Variable modératrice) qui peut atténuer ou renforcer la relation que nous avons établie entre l’image perçue des élections, les attitudes négatives à l’égard des institutions politiques, le retrait de la carte et le vote.
La centralité de la télévision
Dans une société comme la nôtre où plus de 50% de la population est analphabète, la télévision reste, pour la majorité, le moyen de prédilection en matière d’information et de divertissement. Ainsi, la majorité des sondés déclare que la télévision reste le moyen d’information principal (28,9%), suivie de la presse (10,05%) et dans une moindre mesure la radio (9,3%). Le Net en revanche n’est pas considéré comme moyen d’information important (0,5%). Par ailleurs, la modalité non réponse (50,6%) montre encore une fois le désintérêt des citoyens pour la chose politique.
Les électeurs ayant un niveau de scolarisation bas constituent l’audience principale de la radio (52,9%) et de la télévision (41%). Par contre, ceux ayant un niveau secondaire et supérieur recourent plus à la presse écrite, avec respectivement 36,5% et 40,9%. Le Net, quant à lui, accapare l’audience exclusivement d’un niveau de scolarisation relativement supérieur.
Attractivité et analyse des interventions des partis politiques
Les sources d’information relatives aux élections sont principalement concentrées sur trois chaînes. En première position vient 2M avec (24,1%), suivie de Aloula (14,9%) et enfin Al Jazeera (11,1%). Contrairement aux deux premières chaînes étatiques, cette dernière diffusait, tout au long de la période électorale, une émission (22H30) sous forme de débats, invitant des chefs de partis, y compris les partisans du boycott des élections.
Cette concentration est due principalement à l’effet niveau de scolarisation et l’âge :
Al Jazeera attire plus l’audience des jeunes d’un niveau supérieur,
2M accapare l’attention des jeunes dont le niveau de scolarisation est relativement bas et supérieur,
L’audience principale de Aloula se caractérise par un niveau d’instruction relativement bas et un âge intermédiaire ou élevé.
A partir de l’examen de l’attractivité de l’information politique selon les chaînes télévisées, nous remarquons qu’Al Jazeera a plus attiré l’attention des jeunes de 18-34 ans d’un niveau supérieur d’instruction que les chaînes nationales. La mise à niveau des chaînes nationales et leur repositionnement s’imposent donc pour attirer ce segment que nous considérons comme stratégique : par sa crédibilité au sein de la société, il influence les décisions de vote, voire même exerce un rôle de prescripteur.
Analyse des interventions télévisées des partis
Avant d’exposer le degré d’intérêt manifesté par les électeurs pour différentes interventions des partis politiques dans les chaînes télévisées nationales, nous allons, dans un premier temps, exposer quelques remarques relatives à celles-ci :
Les slogans de la campagne électorale visent pour la majorité d’entre eux à créer des associations entre le choix du parti et le choix du Maroc, autrement dit : si on vote pour le parti, c’est comme si on votait pour le Maroc. Le Maroc figure dans tous les slogans avec des nuances, selon ce qui est offert comme «proposition unique de vente», l’USFP promettant, par exemple un Maroc de citoyenneté, de sécurité, de demain… Le PPS constitue l’exception en la matière, en cherchant à se démarquer de ses concurrents par une «accroche» reposant sur une valeur centrale «le respect des engagements».
Pour le générique, la tendance prédominante est le recours au chant et à la musique, avec des styles différents pour attirer et capter l’attention des électeurs. Cette différence montre les stratégies de ciblage des partis : style moderne pour les jeunes, style classique pour tous les Marocains à prédominance urbaine et enfin un style populaire visant un milieu social bien déterminé. Cependant, au niveau de la mise en scène, on remarque, pour toutes les interventions, une tendance à une stratégie de masse avec un accent particulier mis sur les jeunes et les femmes.
Le micro-trottoir, nouvelle technique qui consiste à dialoguer avec des citoyens in situ (assimilé aux techniques du street marketing) a permis à certaines interventions de sortir du classicisme du studio. Cela n’a pas empêché certaines d’entre elles de rester stéréotypées et calquées sur le journal télévisé de jadis, avec un débit rapide (course contre le temps d’antenne réglementaire) qui rend difficile, voire impossible la mémorisation et la rétention du message.
Les thèmes abordés également se ressemblent, du fait de la similitude des programmes électoraux et des problèmes de société abordés. Un manque de créativité est à souligner à ce niveau.
Intérêt pour l’électeur
La majorité des électeurs qui ont répondu à cette question (387 électeurs, soit 39%) ont déclaré avoir suivi les interventions des partis sur les chaînes nationales (24,5%) contre (14,5%) sur d’autres médias.
Le suivi des interventions des partis politiques sur les chaînes nationales n’échappe pas à la règle de la corrélation positive entre l’intérêt manifesté à l’information autour des élections et le vote. Ainsi, 58,8% de ceux qui ont suivi ces interventions parmi la population sondée, déclarent avoir voté, alors que 39,4% d’entre eux n’ont pas voté.
Attractivité de la presse et comportement électoral
La presse semble également touchée par la concentration sur quelques titres : deux quotidiens indépendants accaparent l’attention des électeurs, notamment Almassae (30,7%) et Assabah (27,8%). Les autres titres, officiels, partisans ou élitistes viennent loin derrière, comme suit : Al ahdath (9,2%), Ittihad ichtiraki (7,5%), l’Opinion (3,6%), Attajdid (3,3%), Al alam (2,9%), L’Economiste (2,6%), le Matin (2,6%), Aujourd’hui le Maroc (2%), Al Bayane (1,3%). Cependant, seuls deux hebdomadaires indépendants ont été cités à côté de ces quotidiens : Telquel (4,6%) et Nichane (2%).
Presse et âge des électeurs
Les jeunes électeurs sont beaucoup plus attirés par les journaux et magazines suivants : Almassae, Nichane, Assabah, Ittihad ichtiraki, Al ahdath. Les plus de 35 ans ont suivi l’information politique à travers L’Opinion, Al alam, l’Economiste, Le Matin et Aujourd’hui le Maroc. En ce qui concerne Telquel, Attajdid et Al Bayane, la répartition du lectorat reste homogène entre les différentes tranches d’âge.
Presse et geste électoral
Seulement (43,4%) de ceux qui ne suivent pas l’information politique au niveau de la presse ont voté, par contre la majorité du lectorat (56,6%) a voté avec une exception pour Nichane (100% de ceux qui ont cité ce titre n’ont pas voté), pour Almassae (56,6% n’ont pas voté), Aujourd’hui le Maroc (100% de ceux qui ont cité ce titre ont voté) et pour Attajdid (90% ont voté).
Presse et volatilité politique
La volatilité politique (69%), caractéristique des législatives 2007 a le plus marqué les lecteurs des titres suivants : Attajdid (83,3%), Ittihad ichtiraki (81,8%), Almassae (81,6%), Al alam (75%), L’Economiste (75%), Assabah (75%). Nous pouvons donc conclure à une corrélation entre titre lu et perception de la volatilité politique.
Au Maroc, il y a une transition, ne serait-ce qu’au niveau du discours des acteurs politiques, d’une étape conflictuelle dans les relations entre la monarchie et les partis de l’opposition, à une étape consensuelle. Les accords se sont faits de façon informelle, mais il n’y avait pas assez de communication autour de ce changement. Un responsable communication au sein d’un parti s’est exprimé en ces termes : «Les partis n’ont pas bien communiqué à propos de cette nouvelle phase dans leurs relations avec la monarchie, même auprès de leur base, ce qui a créé cet état de désenchantement chez les citoyens». Ceci peut expliquer partiellement la non participation, mais aussi la volatilité politique.
Attractivité de l’information politique radiophonique
Nous remarquons que les nouvelles chaînes (Atlantique ; Aswat ; Chada FM ; Hit Radio ; Sawa), ainsi que les stations locales (cas de Casa FM) ont enregistré une percée rapide en matière d’information politique, en attirant une proportion d’électeurs dépassant légèrement la médiane (50,6%).
L’audience de ces nouvelles stations est composée en grande partie par les jeunes électeurs (56%), contrairement aux anciennes qui attirent l’auditoire des plus de 35 ans (51,6%). La nouveauté de ces nouvelles radios, ne permet pas de tirer des conclusions tranchées.
Marketing politique via Internet : le challenge de l’avenir
Il ne faut pas exagérer le poids d'Internet comme support de la campagne électorale car, d'une part, relativement peu de Marocains sont connectés et, d'autre part, la population des internautes n'est pas représentative de la population marocaine. Toutefois, Internet pourrait être un moyen de s'adresser à certaines catégories de personnes relativement éloignées de la politique, notamment les jeunes, dont on connaît l'intérêt pour Internet et une certaine désaffection pour la politique.
Cependant, la population des internautes est en constante évolution et elle est évaluée actuellement à 20% de la population totale (6 millions d’internautes tous âges confondus). Elle constitue donc sans aucun doute un enjeu potentiel important pour les futures élections. Les internautes passent en grande partie par les cybercafés pour «chater», télécharger de la musique, des films ou pour faire de la recherche…, loin des sites marocains et encore plus loin de la politique et des élections (0,5%) dans notre échantillon.
L’Internet reste le maillon faible de la communication politique au Maroc en général et des partis et de leurs candidats en particulier.
En effet, les blogs et sites web des candidats sont classés en dernier lieu après les sites des partis (2,2%), You tube (1,3%) et les forums libres avec 1,2%.
Mais qui sont ces internautes électeurs?
D’après notre sondage, ils sont constitués principalement par de jeunes (élèves et étudiants) avec une concentration sur la tranche 18-24 ans (66,7%). Les cadres supérieurs et professions intellectuelles représentent, quant à eux, (33,3%). Cependant le genre ne constitue pas une variable discriminante, étant donné que la répartition est la même ente le sexe féminin et le sexe masculin.
La prééminence des modes interactifs dans la communication des candidats
Les modes interactifs de communication se sont avérés les plus importants et les plus efficaces. La majorité des candidats privilégie les contacts directs avec les citoyens. Différents modes ont été utilisés, notamment le porte-à-porte, les réunions maisons…
Porte-à-porte et autres formes de communication
Quoique tous les candidats sans exception considèrent que le porte-à-porte et le contact direct avec les citoyens soient le moyen le plus efficace pour infléchir les décisions des électeurs, il n’en demeure pas moins que son impact sur le geste électoral reste le plus faible par rapport à d’autres formes de communication. Ainsi, les débats TV (26,3%) les déclarations dans les médias (21%) semblent avoir plus d’influence sur le vote que le contact direct avec les candidats (20,3%) et les meetings (14,3%). Ceci démontre encore une fois l’importance des médias dans la mobilisation (quoiqu’elle reste faible globalement) et la persuasion des électeurs.
Les outils de communication qui ont le plus permis aux électeurs de s’informer sur les candidats/partis et de créer ainsi une sympathie envers eux sont : les prospectus (24,1%), l’affichage (21,7%), le contact direct (12,8%) et les animateurs de campagne (8,5%).
Le «bouche-à-oreille» a également sa place à côté des différents moyens de communication : Ainsi (7,7%) ont pris connaissance des candidats à travers leurs voisins ou leurs amis. Par contre, les nouveaux moyens de communication relevant du marketing direct : SMS, e-mailing, mailing, DVD, CD, cassettes, journal de la campagne (5,5%) ont eu un faible impact cognitif sur les électeurs.
Les prospectus, dépliants, tracts distribués au niveau des circonscriptions n’ont également pas séduit une bonne partie des électeurs. Seulement (1,4%) ont manifesté un très grand intérêt et (53%) n’ont pas du tout lu les documents distribués.
On remarque, d’après le tableau ci-dessus, que ceux qui ont voté sont ceux qui ont montré le plus d’intérêt à la lecture des dépliants et tracts distribués.
La présence d’artistes auprès des partis/candidats, qu’ils soient là par conviction véritable ou comme simple élément du décor, est mal appréciée par les électeurs. Ainsi (65,7%) considèrent cette technique marketing comme trompeuse et (34,3%) sont conscients de son importance comme moyen de communication efficace et pouvant augmenter la notoriété des candidats. Cet effet contraire et négatif peut s’expliquer par le fait que la culture politique des électeurs n’est pas encore préparée à ce genre de technique marketing.
Par ailleurs, l’observation des candidats dans leurs campagnes électorales a montré que certains ont eu recours aux «relais d’opinion». Ces derniers étaient identifiés par tous les candidats et privilégiés dans la communication avec les citoyens. Dans le jargon marocain des ruelles ou quartiers, leur appellation diffère de «code pin» à «clés», mais le sens est le même. Ce sont les personnes influentes qui peuvent aider le candidat dans sa campagne. Par exemple : dans la circonscription de Mediouna, dans certains douars, convaincre l’épicier du quartier d’accrocher l’affiche du candidat avec sa photo contribuait à l’adhésion de nombre de citoyens. Aussi, dans certains quartiers, les dealers de drogue ont été utilisés comme relais d’opinion, puisque leur popularité auprès des jeunes de ces régions pouvait être déterminante dans le vote de ces jeunes. Les femmes telles que neggafate, les coiffeurs, ont joué un rôle dans certaines circonscriptions, surtout auprès des femmes.
Dans la communication avec le citoyen, non seulement ses attentes ne sont pas forcément prises en compte, mais aussi les changements dans les comportements, le système des valeurs, de représentation. La lisibilité par l’électeur de l’enjeu électoral et l’évolution de ses logiques n’ont pas eu l’attention requise. Celles-ci ne sont pas forcément analysées et ne constituent pas une base dans l’élaboration des stratégies de communication. Les fondements du marketing politique n’ont pas été forcément respectés.
Le marketing a porté sur les élections, mais l’Etat a omis de faire au préalable un marketing pour des institutions actrices de ce processus, à savoir le Parlement et les partis politiques. La communication et le message ne sont pas passés. D’un côté, celui qui parlait n’était pas apprécié / bien perçu. De l’autre côté, le récepteur soit n’était pas intéressé, soit n’était pas satisfait. Les perceptions négatives des institutions politiques ont certes constitué une limitation majeure aux campagnes de communication et ont contribué à ce que le marketing ressemble à un dialogue de sourds.
Le marketing politique face à la résistance perceptuelle de l’électeur
Les législatives de septembre 2007 se sont déroulées dans un climat psychologique très morose, marqué par une faible mobilisation et une adhésion des citoyens au processus électoral loin des aspirations des acteurs concernés. Dans ce contexte, le recours aux techniques de marketing pour la mobilisation des citoyens au processus électoral, peut-il infléchir les décisions des électeurs ? La forme peut-elle combler l’absence de fond ? Nous ne le croyons pas. La perception des élections et des institutions politiques est fondamentale pour comprendre l’impact de toute action de marketing politique. Les expériences précédentes de l’électeur et le contexte sociopolitique dans lequel il vit conditionnent ses perceptions.
Modèle conceptuel
Dans les parties précédentes de ce travail, nous avons tiré un certain nombre de conclusions que nous avons considérées comme des variables qui peuvent expliquer la faible participation des électeurs que nous avons constatée à travers l’étude quantitative (43%).
Le comportement électoral est avant tout le fruit des représentations et des perceptions que l’on se fait des élections et des institutions politiques en général. Le fait que les élections soient considérées par la majorité comme peu ou pas du tout importantes (52,9%), que leur transparence soit controversée, explique la non adhésion des citoyens au processus dans sa totalité. Une bonne partie des sondés (41,9%). a confirmé l’usage de l’argent, l’achat des voix, le clientélisme et la corruption pendant les élections de 2007. Cette tendance s’est fait sentir beaucoup plus à Casablanca (44,4%) et à Médiouna (41,9%).
La perception du rôle du Parlement est négative. Seulement (9,8%) le considèrent comme très important, alors que la majorité (54,5%) le juge pas du tout important. Quant au rendement du gouvernement sortant, il est qualifié d’insatisfaisant par (73,7%). Le discrédit du gouvernement, peut s’expliquer par plusieurs raisons dont le dénominateur commun est la non-amélioration des conditions économiques et sociales des citoyens, mais aussi l’absence de politique de communication du gouvernement en ce qui concerne les avancées réalisées. Les problèmes les plus évoqués à cet égard, par ordre décroissant de gravité, sont : le chômage, l’accès aux soins médicaux, l’inflation, la pauvreté, les conditions de logement, l’analphabétisme, la corruption, le clientélisme, l’amélioration des infrastructures, les chantiers non finalisés et la concentration de pouvoirs entre les mains du roi.
En terme d’attentes, l’emploi figure comme une préoccupation centrale chez les sondés, en deuxième position, «rien» vient exprimer le degré de désappointement vis-à-vis de la chose publique. Enfin, les attentes exprimées viennent en négation des insatisfactions susmentionnées.
En effet, il y a une corrélation entre la perception des institutions, de la qualité de l’offre politique et l’acte de vote. La vérification des relations entre les différentes formes du modèle conceptuel à l’aide du test de dépendance de Khi-deux montre que les hypothèses de départ se confirment. Cependant, le degré de dépendance peut être atténué par le désintérêt vis-à-vis de l’information politique que nous avons remarqué chez une grande partie de la population, ainsi que la perception du fait électoral, strictement dans sa dimension utilitariste et non dans sa dimension d’expression de valeurs et de l’image de soi.
Une lecture dans l’abstentionnisme
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer le taux d’abstention assez élevé lors des législatives de 2007 : la date du scrutin (fin Août début septembre) a fait que les gens avaient d’autres préoccupations au moment de la campagne électorale politique (la rentrée scolaire et les préparatifs pour le mois de ramadan). La campagne électorale n’a duré réellement qu’une semaine. Ainsi, les citoyens n’ont pas été pris par la dynamique électorale. La neutralité de l’administration dans le monde rural a contribué à la baisse du taux de participation. Avant on transportait les électeurs au bureau de vote pour qu’ils accomplissent leur geste électoral. Ceci a fait que le taux de participation a connu une baisse remarquable de 67% en 2002 à 43% en 2007. Les caractéristiques de la scène politique qui comprend un nombre important de partis (33) ont créé la confusiondans l’esprit des gens. La non clarté des programmes et l’absence d’un modèle alternatif convaincant sont des éléments qui ont contribué à ce que les gens ne votent pas.
Dans l’échantillon étudié, les abstentionnistes représentent (57,2%) L’abstentionnisme caractérise plus les femmes (61%) que les hommes (53,2%), les jeunes (63,3%) que l’âge intermédiaire (53,3%) ou les seniors (45,6%), sans discrimination par le niveau de scolarisation.
Ils sont inscrits sur les listes électorales, mais n’ont pas tous le même degré d’intérêt pour la politique. C’est ainsi que nous les avons scindés en deux groupes : les «abstentionnistes désengagés» et les «abstentionnistes engagés».
Les «abstentionnistes désengagés»
Ils représentent la majorité des abstentionnistes (34,4%). On y trouve principalement des chômeurs, des ouvriers, des inactifs, des petits commerçants et artisans de sexe féminin sans niveau de scolarisation ou au stade du primaire (plus des deux tiers). Ils éprouvent un sentiment de perte de confiance à l’égard de l’élite et des institutions politiques, de par leur expérience des législatures précédentes et surtout de celles de 1997 et de 2002. Pour la plupart d’entre eux, le désintérêt à l’égard de l’information politique peut s’expliquer par le fait qu’ils sont venus à cette participation politique conventionnelle de «degré zéro», qui est l’inscription électorale et le vote, par une force contraignante héritée des vestiges de l’appareil makhzénien représenté par le moqaddem» ou les fonctionnaires de l’Etat. Assimilée à la «vente jointe» plutôt à la «vente forcée» comme l’a qualifiée Najib Akesbi, membre du bureau politique du PSU, cette technique, contraire aux principes fondamentaux de liberté et de décision délibérée, a un impact négatif sur le comportement électoral de ce profil.
Ils sont exposés à la communication politique et aux techniques de marketing, mais la plupart d’entre eux sont en état de «défense perceptuelle»19. En d’autres termes, ils ne voient et n’entendent que ce qu’ils veulent voir et entendre. C’est ce qui explique, entre autres, l’impact limité des stimuli marketing du ministère de l’Intérieur, des partis politiques et de l’association 2007 DABA. Ils sont au contraire en état de «vigilance perceptuelle» et réceptifs au «bouche-à-oreille négatif», aux discours nihilistes et aux rumeurs qui discréditent l’Etat, les partis et les hommes politiques.
Les «abstentionnistes engagés»
Ils sont pour la plupart jeunes ou d’âge intermédiaire, de sexe masculin, (31,1%) des abstentionnistes et (15,60%) de la population totale, soit (17,9%) du corps électoral. Contrairement à leurs homologues «désengagés», ils entrent dans un processus très complexe de recherche d’informations autour de la politique en général et des élections en particulier. Ils se sentent concernés par le fait politique. Ils assimilent le processus démocratique à du compérage, méprisant en général les institutions politiques actuelles et les considérant comme non représentatives de la volonté du peuple, et en particulier les partis politiques qu’ils qualifient de «réformistes». Majoritairement sans appartenance politique, mais sympathisants ou adhérant aux idéaux de quelques associations, «jamaates» ou partis politiques interdits légalement, sans pour autant en être des fidèles.
Leur attitude négative a une origine plus cognitive qu’affective. Ils peuvent intégrer les processus électoral au cas où des réformes politiques et socioéconomiques profondes sont entreprises par le régime. Certains d’entre eux sympathisent avec les idées de certaines formations politiques. Par conséquent, ce profil peut faire bouger une consultation et augmenter ou diminuer le taux de participation politique en votant pour le parti de son choix.
Conclusion
Le marketing est un instrument pour institutionnaliser le professionnalisme dans la communication, mais il reste largement controversé, même dans des pays comme les Etats-Unis et la France. En effet, certains théoriciens condamnent le recours aux techniques du marketing dans le domaine du politique. Pour eux, la communication s’accentue dans des contextes d’impuissance, voire de crispation politique, alors, au lieu de distinguer l’Etat de l’entreprise, les citoyens d’une cible commerciale, «on réduit le réel au visuel et le pensable au filmable».
La communication ne peut pas tout faire. Au marketing efficace, il faut ajouter un travail de longue haleine qui doit se faire avant, pour servir de support à l’action. L’appel à la communication et au marketing politique est encore une manie du régime de remédier à des crises profondes, en apportant des solutions superficielles. Sans attaquer les sources et les causes du problème, Etat et partis politiques se sont mis à développer des stratégies pour en traiter les effets. Le faible taux de participation lors des législatives de 2007 est révélateur de l’impact limité du marketing politique. Le maquillage de l’Etat et des partis n’a pas induit une dynamique nouvelle.
Ceci dit, la professionnalisation de la communication des partis est un point positif. En effet, la plupart d’entre eux ont pris conscience de la nécessité de moderniser leur discours en lui injectant une bonne dose de rhétorique de séduction, tout en appliquant quelques recettes et techniques issues du marketing politique. Au Maroc, cette discipline vient de passer un cap et pour reprendre l’expression de M. Benmoussa : «Nous sommes actuellement en l’an un, en ce qui concerne le concept de marketing politique».
Par ailleurs, cette réalité s’explique, d’une part, par le fait que les deux acteurs ne sont pas rodés à cet exercice et d’autre part, par le manque de moyens financiers dont souffrent la majorité des partis. Ajoutons également la faible collaboration des médias qui a occulté la mise en œuvre de certaines actions, de peur de se voir coller l’étiquette du parti ou d’être accusés de favoriser certaines formations par rapport à d’autres. En conséquence, la communication politique reste entaché d’hybridité, tant dans son approche –scientifique Vs empirique que dans son mode opérationnel - outils modernes Vs outils traditionnels.
Dans l’approche empirique, on remarque certaines défaillances : absence d’études scientifiques permettant une vraie connaissance des attentes des prospects / électeurs et le non-respect de la démarche rationnelle de conception de la stratégie de communication. Cette juxtaposition trouve également son origine dans le souci de rationalisation des moyens dont disposent les partis politiques et l’absence d’une culture marketing.
Les programmes de communication considérés comme budgétivores, ont poussé la majorité sinon la totalité des partis à continuer à travailler artisanalement : compter sur ses propres ressources humaines, (bénévolat des militants, cadres et sympathisants du parti), chacun dans son domaine d’expertise, reste l’approche la moins coûteuse et la moins douloureuse en cas d’échec. C’est ainsi que nous avons constaté le retard qu’ont mis certaines formations avant de consulter une agence de communication. Or, pour que le marketing ait un impact, il faut que l’action et l’offre suivent.