La médiation sociale comme un processus éthique de management des parties prenantes

La médiation sociale comme un processus éthique de management des parties prenantes

Selon l’ISO 26000 (2008, p.3), le terme « responsabilité sociale (ou sociétale) » désigne :

« La responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui :

  • contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ;
  • prend en compte les attentes des parties prenantes ;
  • respecte les lois en vigueur et est compatible avec les normes internationales ;
  • est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations. »

L’ouvrage Strategic Management, A Stakeholder Approach (Freeman, 1984) a sans doute marqué la première étape de construction du concept de « partie prenante ». Il s’agit de « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par l’atteinte des objectifs de l’organisation » (Freeman, 1984, p.46).

Freeman et Reed (1983) se sont rendu compte très tôt de la prépondérance du caractère « étroit » ou « large » des définitions de « Who and What really counts  ? ». Ce questionnement a donné lieu à la naissance de deux courants dans la littérature sur les parties prenantes : le premier propose des définitions très larges des parties prenantes, ce qui donne une large marge de manœuvre aux managers ; le second opte pour une définition beaucoup plus restrictive, perçue comme plus opérationnelle.

Une des principales caractéristiques de l’approche des parties prenantes posée par Freeman réside dans une représentation relationnelle de la firme. L’entreprise entre, volontairement ou pas, en relation avec des parties prenantes diverses, en se basant sur des principes moraux (Freeman et Gilbert, 1988). C’est la raison pour laquelle les chercheurs lui assignent une double filiation, managériale et éthique (Cazal, 2011).

Dans cet article, nous proposons d’analyser ce que la médiation (en comparaison avec des méthodes traditionnelles, notamment judiciaires) permet d’apporter à la gestion des conflits de l’entreprise avec les tiers, en questionnant sa capacité à s’insérer dans l’esprit éthique de l’approche des parties prenantes.

Vers une résolution éthique du conflit

L’approche des parties prenantes est fondée sur l’existence d’une divergence d’intérêts. La prise en compte de cette diversité met d’emblée les entreprises face à une grande complexité. Les attentes sont multiples, de natures diverses (économique, sociale, légale ou politique), contradictoires, et souvent en compétition. Dans cette situation, le conflit entre une organisation et ses parties prenantes serait inévitable.

Les procédures de résolution de ces conflits sont souvent judiciaires. Celles-ci, en plus de leur caractère coûteux et lent, se révèlent souvent contradictoires avec l’approche éthique de la théorie des parties prenantes.

L’entreprise qui s’inscrit dans cette approche devrait donc réfléchir à de nouvelles méthodes pour résoudre les désaccords avec les parties prenantes. Freeman (1984) souligne, en effet, que l’entreprise devrait explicitement négocier avec les parties prenantes sur des questions cruciales et rechercher des accords volontaires. Il plaide pour une approche morale de règlement des différends qui permet de favoriser la compréhension et l’interaction entre les parties.

La résolution de conflit à travers une approche morale, humaine, plutôt qu’un système de règles, renvoie à la « médiation sociale », présentée dans la littérature comme un processus approprié pour régler les conflits dans cet esprit (Lampe, 2001).

La médiation versus les méthodes traditionnelles de résolution de conflit

La médiation offre de nombreux avantages et bénéfices potentiels en tant que formule éthique pour la résolution des différends (Lampe, 2001 ; Lampe et Ellis, 1995). Elle se définit comme « tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord »1. Il s’agit d’une méthode non accusatoire pour résoudre les conflits. Les solutions sont mutuellement convenues plutôt que dictées par un juge, et il n’y a plus d’étiquette de vainqueur et de vaincu.

Par rapport aux méthodes traditionnelles de résolution des conflits, qui sont souvent lentes, coûteuses, incertaines et non satisfaisantes pour l’ensemble des parties, la médiation se montre plus flexible, informelle et relativement rapide.

La médiation permet également la confidentialité du processus et des modalités de l’accord final, ce qui n’est pas toujours le cas dans une procédure judiciaire.

Par ailleurs, la médiation exige le consentement volontaire de toutes les parties afin de construire une solution. Les parties façonnent leur propre résolution dans un esprit gagnant-gagnant. Les solutions sont plus créatives que dans les procédures judiciaires où la solution se présente assez souvent sous forme de dommages-intérêts.

Les parties prenantes en situation de médiation

En temps de conflit, les parties ont souvent une posture d’opposition et d’accusation, ce qui empêche d’échanger, de comprendre et, par conséquent, de résoudre le litige. À ce niveau, la médiation peut instaurer un processus de communication et de collaboration basé sur la proximité et l’écoute de l’autre. Elle permet le règlement des litiges par cooptation. D’ailleurs, l’un des objectifs de la médiation est l’amélioration de la capacité des parties à communiquer, à négocier et à coopérer. La médiation aide ainsi les parties en conflit à se faire mutuellement confiance et à construire ensemble.

Le rôle joué par le médiateur s’avère essentiel. Celui-ci doit être un tiers neutre, accepté par toutes les parties en litige, et n’ayant pas le pouvoir de décision sur le conflit comme le ferait un juge ou un arbitre. Sa principale mission est d’aider les parties à résoudre volontairement et mutuellement leurs litiges. Il doit veiller à assurer et à maintenir l’équilibre des forces pour éviter tout type d’intimidation. Cet équilibre permet d’augmenter la probabilité que l’accord final soit « juste » et « équitable » pour tous.

Le processus de médiation, au-delà du dialogue qu’il instaure afin d’échanger les informations, permet aux parties de partager leurs émotions. Ce processus offre un terrain propice pour exprimer les sentiments des parties prenantes, tout en préservant le respect. Ce dernier est également l’un des résultats potentiels du processus de médiation.

La médiation comme une démarche de prévention du conflit

La médiation n’est pas seulement un outil qui intervient pour résoudre les conflits entre les différentes parties prenantes. Elle a la possibilité d’intervenir en amont de tout conflit pour agir comme un moyen de prévention des conflits potentiels. Pour cela, l’approche par les parties prenantes trouve toute sa place dans la mise en place d’un processus préventif de conflit.

Le développement conceptuel de l’approche des parties prenantes propose un processus en trois étapes cruciales et séquentielles (Figure 1) : l’identification des parties prenantes, leur spectre d’influence, leur management en fonction de leur catégorisation, afin de gérer leurs parties prenantes.

La médiation préventive de conflit gagnerait à passer par ce processus de management des parties prenantes. Le médiateur dans ce cas serait le manager lui-même puisqu’il n’y a pas de conflit, et que les parties prenantes restent à identifier.

L’identification

Dans la définition de « Who and What really counts », le manager dispose d’une panoplie d’approches pour l’aider à identifier les parties à considérer dans son processus de médiation (Figure 2).

 

Une partie prenante peut être celle qui dispose de :

  • une relation existante avec l’entreprise ;
  • un contrat avec l’entreprise ;
  • un intérêt légitime dans les procédures ou les aspects substantifs de l’activité de l’organisation ;
  • une revendication des propriétés, droits ou intérêts dans l’entreprise et ses activités passées, présentes ou futures ;
  • une contribution à l’organisation, quelle soit de nature financière, humaine, risque ou autres ;
  • un attribut spécifique comme une forme de pouvoir, d’urgence, de légitimité, d’engagement organisationnel ou sociétal.

À partir de ces différentes approches, le manager peut commencer par identifier toutes les parties prenantes avec lesquelles il souhaite engager un processus préventif de médiation.

La catégorisation

Une fois la liste des parties prenantes établie, il convient au manager d’établir une catégorisation qui lui permettrait de comprendre les enjeux et les intérêts de chaque partie ou groupe de parties, afin d’adapter son mécanisme de médiation en fonction de cela.

La littérature académique enseigne plusieurs catégorisations possibles en fonction de divers critères résumées dans la figure 3.

Il est de la liberté et de la propre compréhension du manager de choisir les variables de catégorisation qui lui semblent les plus convenables pour engager la troisième étape du processus de médiation préventive qui est la mobilisation.

La mobilisation

À ce stade, le manager dispose d’une vue claire de ses parties prenantes et de leurs positionnements dans les différents projets de l’organisation. Il convient alors d’engager un processus de contextualisation, de problématisation et d’enrôlement adapté à chaque catégorie de parties prenantes identifiées au préalable, afin d’adapter le discours, les projets, les médiateurs et les outils en fonction des différentes catégories identifiées. On parle à ce stade de mobilisation des parties prenantes en présence de médiateurs choisis pour ce fait, car tout enrôlement est supposé être en adéquation avec leurs intérêts et enjeux, ce qui devrait favoriser leur consentement et leur mobilisation.

Conclusion

Alors que les approches traditionnelles fondées sur le management des parties prenantes restent principalement basées sur le postulat d’une résolution de conflits liés à la divergence potentielle des intérêts des parties en jeux, la médiation arrive comme un processus novateur préventif. Elle se base sur une analyse en amont des différents intérêts des parties prenantes actuelles, futures ou passées, allant de leur identification, en passant par des outils managériaux facilitant leur catégorisation, pour ensuite enchaîner par une mobilisation préventive qui, à l’aide du manager-médiateur, contribue à faire converger les intérêts des différentes parties vers un objectif commun, en évitant en amont, la confrontation et la gestion des conflits.

De ce fait, la médiation préventive appliquée à la théorie des parties prenantes s’inscrit dans une approche éthique et morale, appropriée à la prévention des conflits, quand bien même cela s’avère compliqué, car ceux-ci ne sont pas statiques et évoluent dans le temps. De ce fait, elle requiert une analyse et une application dynamique et évolutive pour pouvoir s’aligner et suivre les changements de positionnement des parties prenantes dans le temps et dans les différents projets de l’entreprise, afin de garder une approche préventive positive.

 

Bibliographie

  • Cazal, D. (2011). RSE et théorie des parties prenantes : les impasses du contrat. Revue de la régulation [En ligne], n°9.
  • El Abboubi, M., Nicolopoulos, K. (2012). CSR accountability standards: Using an ANT approach. M@n@gement [En ligne], vol. 15, n°4.
  • Freeman, R. (1984). Strategic Management: A Stakeholder Approach. Boston: Pitman.
  • Freeman, R., Gilbert D. R. (1988). Corporate Strategy and the Search for Ethics. Prentice-Hall, Edgewood Cliffs, NJ.
  • Freeman, R., Reed, D. (1983). Stockholders and stakeholders: A new perspective on corporate governance. California Management Review, 25, pp. 88-106.
  • International Standard Organisation (ISO) (2008). Guidance on Social Responsibility /Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale (version française). Committe Draft ISO/CD 26000, ISO/TMB/WG SR No 157.
  • Lampe, M. (2001). Mediation as an Ethical Adjunct of Stakeholder Theory. Journal of Business Ethics. 31, pp. 165-173.
  • Lampe, M., Ellis S. R. (1995). Resolving Small Business Disputes Through Mediation. Journal of Small Business Strategy, 6(2), 85–96.

Note

  1. Ordonnance n°2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale NOR : JUSC1117339R.