Au royaume des entrepreneurs de la culture

Au royaume des entrepreneurs de la culture

Comme il est rappelé dans un rapport de la Commission Européenne de Novembre 20091, «l’économie de la connaissance et de la créativité est un des piliers fondamentaux pour un développement économique durable de l’humanité dans un futur proche». De telles ambitions et responsabilités conduisent à s’interroger sur la place de ce secteur dans notre économie nationale et sur les profils des dirigeants culturels. Lors d’une conférence, l’auteur du rapport a précisé que les industries créatives représentaient  dans les pays de l’Union Européenne 2,6% du PIB et 3,1% des emplois (plus que le textile ou l’immobilier par exemple). Les spécialistes considèrent donc que le secteur des industries créatives est stratégique et pour la croissance et pour le développement.

En menant à bien cette étude statistique, auprès de 164 entreprises, nous avons cherché à esquisser un panorama des entreprises créatives, à «profiler» leurs entrepreneurs et à nous interroger sur les tendances d’un secteur en évolution.

DE LA PHYSIONOMIE DU SECTEUR…

«Chaque secteur d’activité culturelle est composé d’un ensemble d’activités reliées entre elles qui concourent et interagissent pour permettre à une création de l’esprit de se transformer en un bien ou un service pouvant être mis à disposition du «public-consommateur», (Jeretic, 2009).

Au Maroc, la très faible structuration du secteur, due pour partie à une absence de politique publique volontariste, se traduit sur le terrain par des entreprises de petites tailles (96% des entreprises interrogées ont moins de 50 salariés). Cette caractéristique est d’autant plus marquée que 16% des entreprises sont individuelles et n’emploient donc aucun salarié, et 55% sont artisanales employant de 1 à 9 personnes. Ces données sont à comparer au dernier recensement effectué par le HCP dans lequel les entreprises de moins de 10 personnes constituaient plus de 98% des effectifs recensés2. Dans les industries créatives, la taille des entreprises n’est en aucune manière corrélée au secteur d’activité de l’organisation, nous soulignerons simplement que toutes les moyennes et grandes entreprises de l’échantillon (plus de 50 salariés) travaillent dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel.

Si globalement le secteur est dominé par des dirigeants masculins (81% des répondants), les disparités d’un domaine culturel à l’autre sont très importantes : la part des managers féminins dans le cinéma n’est que de 6% alors qu’elles représentent plus de 40% des dirigeants des organisations opérant dans les arts plastiques et les arts vivants. S’agit-il là du reflet de tendances internationales ou bien le cinéma est-il, par sa technicité et le poids de ses investissements, un domaine plus accueillant pour des entrepreneurs masculins ? Aucune donnée empirique ne nous permet de trancher là-dessus.

Les petites structures recensées atteignent des niveaux de chiffres d’affaires relativement modestes puisqu’elles ne sont que 20% à réaliser plus de 2 millions de dhs de chiffre d’affaires et 37% à générer moins de 700 000 dhs par an. Les petites entreprises (de 10 à 49 salariés) tirent mieux leur épingle du jeu puisque 45% d’entre elles réalisent plus de 2 millions de dhs de chiffre d’affaires (graphe 1). Serait-ce la taille optimale sur le marché ? Celle où le rapport entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus est le meilleur ? Probablement. A titre de comparaison, les données collectées par l’INSEE3 montrent que seulement 8,6% des entreprises du secteur récréatif et culturel sont de petite taille, mais qu’elles réalisent 19% du chiffre d’affaires du secteur. Implantées principalement sur l’axe économique Casablanca-Rabat (66% des entreprises interrogées contre 26% pour l’ensemble du Royaume4), elles choisissent d’abord (73%) comme cadre juridique la SARL (y compris sa version unipersonnelle l’EURL), et ceci conformément au tissu économique du Royaume. Dans une moindre mesure, seulement 17,5% des entreprises interrogées choisissent de donner un cadre associatif à leur activité.

La  pérennité du secteur se traduit par une  moyenne d’âge de 16 ans et 4 mois ; l’entreprise la plus ancienne de l’échantillon est une librairie créée à Rabat en 1945. Cette moyenne mérite d’être affinée, puisque c’est dans le secteur du livre que les entreprises sont les plus «âgées» (moyenne d’âge de 22 ans et 5 mois) et dans le secteur des arts vivants qu’elles sont les plus récentes (13 ans et 2 mois). On doit cependant noter une accélération des créations d’entreprises culturelles à partir de l’an 2000, puisque 42% de l’échantillon se compose d’entreprises ayant vu le jour à partir de cette date, en relation avec la dynamique culturelle et la libéralisation économique impulsées par les décideurs.

Concernant leur mode de financement, les entrepreneurs se déclarent majoritairement autonomes vis-à-vis de l’Etat (pour 91% d’entre eux) et se financent d’abord par fonds propres (49%), ce qui explique la modicité des moyens engagés. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’ils font appel aux banques pour obtenir des fonds (28%). Les 9% restants dépendent du Ministère de la Culture ou des structures régionales pour obtenir des subventions. Mais dans ce cas, l’aide de l’Etat n’est pas que directe, puisque 65% de ces entreprises bénéficient d’un soutien indirect qui se traduit par la mise à disposition de biens ou de services publics. La principale source de revenus des entreprises, prises globalement, est la vente de produits culturels (76% des entreprises) suivie mais de très loin (17% des cas seulement) par les fonds apportés par les sponsors. Autrement dit, les entreprises culturelles s’accommodent du marché tel qu’il est.

A LA RECHERCHE D’UNE TYPOLOGIE DES ENTREPRENEURS DE LA CULTURE

On peut parfois s’interroger sur l’intérêt d’établir scientifiquement une nouvelle typologie d’entrepreneurs. Pourtant les objectifs sont clairs : une typologie des entrepreneurs de la culture au Maroc permettra de mieux comprendre les dynamiques de prise de décision et de management (Filion5, 2000) tout en donnant aux acteurs des outils pour résoudre leurs problématiques managériales et leur permettre de «vivre de la culture». Alors qui sont ces entrepreneurs de la culture du Royaume?

Avant de présenter une typologie, nous esquisserons un portrait global de l’entrepreneur culturel marocain. Ce chef d’entreprise est un homme (81%), relativement jeune (65% ont moins de 45 ans) et diplômé (seulement 15% d’autodidactes). Son niveau de qualification est élevé puisque plus des ¾ des diplômés atteignent bac + 4 et au-delà, ceci conformément à une tendance mondiale d’élévation du niveau d’études. Les études commerciales ont la part belle (52% des répondants) alors que le passage par une école d’art est quant à lui secondaire pour pouvoir intégrer le secteur (26% seulement). Il est intéressant de remarquer que l’âge du dirigeant, et donc la période à laquelle il a suivi ou non des études supérieures, n’influence ni le niveau ni la nature des études suivies.

Lorsqu’ils sont interrogés sur leur profession, les entrepreneurs se considèrent à parts égales soit comme des artistes créateurs (40%) soit comme des dirigeants salariés (41%) ; les autres sont les bailleurs de fonds de l’industrie de la culture. Et si ce sont la volonté d’entreprendre et l’existence d’un projet professionnel qui sont principalement à l’origine des créations d’entreprise (56%), la «diffusion et le partage de la culture» constituent une motivation première pour 51% des entrepreneurs interrogés.

Généralement pragmatique (45% se considèrent comme un entrepreneur comme les autres), l’entrepreneur culturel est motivé par des considérations mercantiles, et non artistiques, telles que la volonté de répondre à un besoin, de se positionner par rapport à la concurrence ou de faire des profits. Mais nous verrons par la suite que ces résultats généraux méritent d’être affinés au travers du prisme typologique de cette étude.

En tant que managers, les interviewés considèrent que leurs principales qualités sont leur compétence en organisation et logistique (27%), en innovation (25%) et en communication (22%) alors que la gestion comptable, financière et administrative est ce qui leur fait le plus défaut (70%). Ceci confirme l’image d’un dirigeant tourné vers son «public», gérant son entreprise du mieux qu’il peut avec les moyens dont il dispose.

Ces données générales ne suffisent pas, loin s’en faut, à refléter la complexité de ces industries créatives. Le croisement de certaines données et la recherche de corrélations entre les différentes questions fait émerger trois types d’entrepreneurs de la culture : les créatifs, les conciliateurs et les marchands. Cette typologie a été construite en combinant les conditions dans lesquelles l’organisation est née et les objectifs déclarés de l’entrepreneur (graphe 2).

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LES CRÉATIFS : PLAISIR, CRÉATION ET PROFESSIONNALISME

Artistes avant tout, les créatifs se lancent dans l’entreprenariat pour exister en tant qu’artistes. Les objectifs annoncés sont artistico-hédonistes : créer et se faire plaisir.  La recherche de profit ou l’obtention d’un salaire de subsistance ne sont pas ici considérés comme déterminants. La recherche d’autonomie créatrice est leur principale motivation (55% des cas). En créant leur entreprise, ils cherchent à se donner les moyens d’une plus grande liberté artistique qui leur permettra de s’exprimer dans leur domaine.  Les motivations citées en 2ème et 3ème rang sont respectivement la volonté de participer «à la diffusion et au partage de la culture» et la recherche d’indépendance. Les considérations relatives au marché, à l’identification des besoins ou à la concurrence, souvent chères aux entrepreneurs, sont ici reléguées aux oubliettes.

Cette recherche d’autonomie et d’indépendance à tout prix, garante d’une certaine création, apparaît pour certains, bien que déclaré haut et fort, contradictoire avec les moyens mis en œuvre. C’est en effet chez ce type d’entrepreneurs que l’on retrouve la plupart des structures créées sous formes associatives et non pas sociétales. Ces structures associatives sont souvent limitées pour obtenir des moyens financiers supplémentaires, ce qui les rend dépendantes de leurs principaux bailleurs de fonds.

De plus, les 2/3 des entreprises culturelles qui se déclarent dépendantes de l’Etat pour leur financement ont des dirigeants qui se définissent comme «artiste créateur». Ces dirigeants font appel à des ressources spécifiques au secteur culturel et se démarquent des modes de financement classiques de l’entreprise (graphe 3). Ainsi, ils reçoivent 53% de leurs financements de mécènes et sont les premiers à citer le sponsoring comme une de leurs principales sources de revenus. Ces résultats sont somme toute logiques puisque les associations sont ici majoritaires (56% des dirigeants se considérant d’abord comme un artiste et comme un entrepreneur par la force des choses).

Ces créatifs savent donc aussi se transformer en managers professionnels dès lors qu’il est nécessaire de trouver des financements adéquats pour faire vivre leur structure et accélérer la création artistique. D’ailleurs leur mode de management (graphe 4) déclaré est d’abord «professionnel» (à hauteur de 40%), même si «le charisme» reste un support significatif (32%) de leur capacité managériale. Ceci étant, c’est aussi dans cette catégorie que l’on retrouve la majorité des dirigeants déclarant avoir un mode de management informel (44%). Ceci peut s’expliquer par les secteurs d’activité majoritairement représentés dans cette catégorie ; ainsi, dans le domaine des arts plastiques par exemple, nous trouverons des artistes créateurs ayant une structure majoritairement orientée vers la création et des galeries d’art avec des objectifs plus mercantiles. Chez ce type d’entrepreneurs, l’autorité n’est que rarement (12%) le mode de management en vigueur. Ce type de manager est caractéristique du domaine des arts vivants et des arts plastiques, et dans une moindre mesure celui de la musique. Ces domaines sont en effet ceux dans lesquels l’artiste-créateur, solitaire ou avec des amis, est au cœur du projet entrepreneurial qui permet à la création d’exister.

LES CONCILIATEURS : PROFESSION «ARTISTE ENTREPRENEUR»

Ils se définissent à la fois comme des artistes et des entrepreneurs. L’organisation qu’ils dirigent naît de la volonté d’entreprendre combinée à celle d’exister en tant qu’artiste. Les objectifs sont eux aussi diffus, à mi-chemin entre le positionnement sur un marché et la création artistique, mais leur volonté d’obtenir un salaire de subsistance ou de s’enrichir reste très secondaire. D’ailleurs, c’est ici que l’on trouve la proportion la plus importante d’entreprises individuelles (59% des dirigeants se disent «artiste et entrepreneur au même titre»). La part des associations (15% des dirigeants) est légèrement inférieure à la moyenne du secteur mais reste quand même bien représentée confirmant un positionnement dans «l’entre-deux». 

Par ailleurs, ce sont les seuls à considérer majoritairement (57%) que la professionnalisation permet d’accroître la créativité. Ceci explique probablement la raison pour laquelle ils choisissent de donner un cadre juridique à une activité culturelle, et peuvent ainsi obtenir des moyens pour financer leur croissance.

Pour eux, le concept de «diffusion et le partage de la culture» est primordial, de même que l’autonomie créative. En cela, ils rejoignent les créatifs, même si leurs motivations ne sont pas ordonnées de la même manière.

A vrai dire, non seulement leur représentation est différente de celle des créatifs, mais l’étude nous montre qu’ils dirigent en plus leurs entreprises de façon sensiblement différente. En effet, si le management professionnel est le premier mode cité, et ce dans 50% des cas, ¼ se considèrent des managers «autocrates» (ou autoritaires). Il s’agit donc d’entreprises ayant un management traditionnel combinant autorité et méthodes scientifiques de management. Les conciliateurs sont majoritaires chez les dirigeants de plus de 45 ans (ils représentent 48% de cette tranche d’âge) et se retrouvent fréquemment dans les domaines de la musique et du cinéma. Une explication possible est qu’il s’agit de deux secteurs dans lesquels les moyens nécessaires pour créer sont importants (moyens techniques, studios d’enregistrement, moyens de diffusion) et que cela «force» les entrepreneurs à être un tant soit peu pragmatiques.

LES MARCHANDS : «BUSINESS AS USUAL»

Ce sont majoritairement des entrepreneurs comme les autres, sans spécificité sectorielle, pour lesquels l’organisation est née d’une volonté d’entreprendre ou de l’existence d’un projet professionnel à mener à bien. L’objectif premier de l’entreprise est de se faire une place sur le marché. Le domaine culturel est de ce fait choisi parce qu’il offre des opportunités de marché et de développement professionnel. D’ailleurs, les structures sociétales sont très largement choisies par ces dirigeants et répondent aux besoins de 93% d’entre eux. La recherche de création artistique est très secondaire et les dirigeants déclarent chercher à obtenir un salaire de subsistance, voire à s’enrichir. Bien sûr, la volonté de diffuser et faire partager la culture est affichée, mais elle est suivie de très près par la recherche d’indépendance financière.

Par ailleurs, ils sont les plus sensibles à la notoriété personnelle et à la visibilité sociale. D’ailleurs, de l’ensemble des entrepreneurs ayant pour objectif la recherche d’un statut social, 81% se considèrent comme des entrepreneurs comme les autres. Dans le lot, ceux qui ont suivi des études de commerce sont logiquement majoritaires, puisque 68% des interviewés revêtent ce profil de pragmatiques.

En termes de management, l’autorité est citée comme le premier mode en vigueur (39%) suivie de près par le «professionnalisme» (35%). Le charisme (16%) et le management informel (10%) sont ici très secondaires.

La recherche de profits conduit cette catégorie d’entrepreneurs à déclarer que leur indépendance est une motivation essentielle de l’entreprise. Ils tirent leurs profits majoritairement des ventes de produits culturels et dans une moindre mesure du sponsoring. Ces pragmatiques sont majoritaires dans la tranche d’âge des 36-45 ans où ils représentent 55% de l’échantillon interrogé. Ils sont caractéristiques des domaines culturels du livre et de l’audiovisuel.

POUR DÉGAGER DES TENDANCES

La part relative de chaque type d’entrepreneur présenté ci-dessus décrit un secteur en voie de professionnalisation. En effet, les plus nombreux sont les marchands (45%), suivis des conciliateurs, puis des créatifs. Pourtant, l’aventure n’est pas sans risque. 40% des entrepreneurs interrogés considèrent en effet que leur projet est très risqué, voire «kamikaze», et que le risque est principalement de nature financière. Ce niveau de risque conditionne d’ailleurs les modes de croissance de l’organisation (graphe 5).

Ainsi, les entreprises les plus risquées déclarent pour 28% d’entre elles que l’organisation n’a pas grandi depuis sa création, et pour 34% que la croissance s’est faite par à-coups au fur et à mesure des opportunités. Il est donc difficile de planifier sa croissance et de déterminer dans ce cas une stratégie à moyen terme. Et ce d’autant plus que le degré d’incertitude face à l’avenir, explicité par la part des entrepreneurs ne sachant pas projeter leur organisation dans 5 ans, s’accroît avec le niveau de risques. Ainsi, 39% des entrepreneurs qualifiant leur projet de «kamikaze» ne savent pas ce qu’il sera devenu dans 5 ans (graphe 6).

Certains traduisent cette incertitude autrement, puisque 31% des entrepreneurs interrogés espèrent que leur organisation existera toujours dans 5 ans alors qu’ils ne sont que 40% à anticiper une croissance de leur activité. L’incertitude est grande, mais la volonté de croissance n’est pas toujours au cœur des préoccupations des entrepreneurs culturels. Ainsi, un travail réalisé sur «The Independants»6 en Grande Bretagne souligne que, même ambitieux, ils souhaitent que leur entreprise reste de petite taille pour préserver leur indépendance et se concentrer sur la créativité.

Les plus sceptiques face à l’avenir sont aussi les plus pragmatiques (graphe 7). Ainsi, ceux qui se perçoivent «entrepreneurs comme les autres» n’anticipent une croissance de leur activité à 5 ans qu’à hauteur de 30%, alors que 39% d’entre eux espèrent être toujours ouverts et 14% ne savent pas se positionner. Peut-on imaginer que leur évaluation des risques est plus précise, ou qu’en raison de la crise financière internationale ils sous-évaluent directement les potentialités de leurs projets ? Impossible de trancher, mais nous constatons que ceux qui se considèrent avant tout comme des artistes se voient grandis à hauteur de 36%, et que ceux qui sont à la fois artiste et entrepreneur anticipent une croissance à moyen terme dans 62% des cas. Dans ces deux dernières catégories, la part des incertains (réponse : je ne sais pas) est quasi nulle.

L’innovation est au cœur des préoccupations de tous, probablement parce qu’elle ouvrira des opportunités de croissance future. Interrogés sur la nature de leurs innovations, les entrepreneurs culturels déclarent innover d’abord par les produits (82%), puis dans une moindre mesure (67%) par les modes de production, de gestion ou de distribution. Créatifs et conciliateurs se retrouvent dans le même panier puisque tous innovent d’abord par les produits et les modes de production, et ce dans leur immense majorité (respectivement 89% et 96% d’entre eux). Les marchands, en revanche, innovent d’abord dans les modes de distribution puis dans les modes de gestion, qui sont les domaines auxquels ils attachent plus d’importance, étant par définition beaucoup moins concernés par la création.

Support de l’innovation, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont jugées indispensables par 80% des répondants. Conformément aux innovations mises en avant, les NTIC sont d’abord utilisées dans le domaine de la production pour ceux qui innovent dans les produits et les modes de production ; les autres les utilisent d’abord dans la distribution et l’organisation de l’activité. Bien sûr, internet et les technologies mobiles figurent au premier plan.

Pour finir, nous avons souhaité interpeller les entrepreneurs culturels marocains sur l’impact de la professionnalisation sur la créativité. En cela, notre objectif est de se positionner de nouveau par rapport au mouvement des indépendants britanniques qui se déclarent «market-driven» et qui considèrent que créer et gérer son entreprise n’affecte pas la créativité. Pour commencer, 97% affirment que se professionnaliser ne nuit pas à la créativité ; business et création ne sont donc pas incompatibles. Pourtant, seuls les conciliateurs considèrent, comme nous l’avons dit précédemment, que cette professionnalisation permet d’accélérer la créativité.  Pour les autres types d’entrepreneurs, se professionnaliser n’a pas d’impact sur la créativité, soit probablement parce que la créativité est jugée secondaire, soit parce qu’elle est considérée comme ne pouvant être que le travail d’un «pur» artiste.

Si les entrepreneurs de la culture présentent de multiples visages, ils n’en sont pas moins des entrepreneurs comme les autres, des hommes et des femmes cherchant à mener un projet à terme dans un domaine qui leur tient à cœur. Si la prise de risque est importante, elle n’explique pas à elle seule le faible nombre d’intervenants dans le secteur. La tendance à la professionnalisation permettra peut-être à l’avenir de concrétiser des projets laissés jusqu’alors dans les cartons.  Encore faut-il que ces entrepreneurs arrivent à élargir le marché, et trouvent des «consommateurs culturels» prêts à payer le prix de la diversité et de la création.

NOTICE MÉTHODOLOGIQUE

En nous appuyant sur un récent rapport de la Commission Européenne (Jeretic, 2009), nous avons retenu les domaines suivants : musique, cinéma et audiovisuel, spectacles vivants, arts visuels et diffusion et évènements culturels. Nous nous positionnons ainsi dans le concept d’ «industrie créative» (Flew, 2002) qui élargit la notion d’industrie culturelle à des domaines tels que le cinéma ou les agrégateurs de spectacle… Pour chacun de ces domaines, nous avons essayé d’inclure toutes les organisations participant d’une manière ou d’une autre à la chaîne de valeur des industries culturelles. A ce titre sont incluses les organisations productives, de distribution, de communication, de postproduction, de diffusion, de financement…

L’absence de statistiques officielles relatives au secteur des industries créatives a compliqué significativement le travail préparatoire et nous a obligés à effectuer tout d’abord un recensement de la population.


Nous avons identifié au cours de cette phase 369 acteurs de l’industrie créative en excluant, afin de conserver une relative homogénéité de la population étudiée, les établissements publics. En effet, leurs dirigeants s’apparentent plus à des administrateurs qu’à des entrepreneurs culturels, et de ce fait nécessitent un questionnement différent. L’échantillon a été construit selon la méthode des quotas afin de respecter la composition de la population globale, et se compose comme suit :

Le questionnaire composé de 49 questions fermées a été administré par téléphone auprès de 175 entreprises. 11 questionnaires étaient incomplets, ce sont donc les 164 questionnaires restants qui nous ont permis de présenter ces résultats. L’analyse des réponses a été faite en utilisant le logiciel statistique SPSS.
Les données ont été testées deux à deux grâce à différents tests statistiques (Khi², V de Cramer, coefficient Phi) qui nous ont permis de tester l’indépendance (ou non) de variables qualitatives. Les variables ont été considérées positivement corrélées en deçà d’une marge d’erreur de 5%.