A quoi reconnait-on un leader dans nos organisations ?

A quoi reconnait-on un leader dans nos organisations ?

Les conditions économiques internationales et les défis auxquels doivent faire face les économies émergentes ou en voie d’émergence, comme le Maroc, posent une multitude de questions sur le développement du leadership marocain d’aujourd’hui et de demain. Le leadership est une réponse déterminante aux enjeux auxquels doivent faire face les managers et les leaders des organisations socio-économiques et/ou sociopolitiques de ce siècle. Dans un monde en voie de libéralisation où les références institutionnelles s’affaiblissent au profit du devenir des individus et des communautés, il est crucial de mener une réflexion sur les conditions de développement du leadership dans notre pays. Le leadership est au cœur des discussions managériales et académiques (en particulier anglo-saxonnes) depuis les années 1950 et il est associé à plusieurs théories, modèles et principes d’action. C’est de ce constat que découle notre volonté de susciter un débat, que nous souhaitons fructueux, autour de la question du leadership dans les organisations publiques et privées marocaines.

Alors que nombre de travaux de recherche sur le leadership partent de l’hypothèse que les dirigeants des entreprises performantes sont de vrais leaders et se fixent pour objectif de les étudier, nous nous intéressons dans la présente étude aux managers dont le leadership est reconnu par une majorité de leurs collaborateurs (ou suiveurs). De ce fait, l’objectif que nous nous assignons dans cette étude est de déterminer les conditions qui permettent la reconnaissance de leaders dans les organisations marocaines ? Quatre situations différentes se profilent :

  • Celle du manager, désigné par sa hiérarchie pour occuper une position de commandement. C’est le leader statutaire. Il occupe une position de leader grâce à son statut mais n’est pas reconnu par ses collaborateurs comme tel. Il bénéficie d’une autorité formelle.
  • Celle du leader statutaire dont le leadership est reconnu par ses collaborateurs. Il bénéficie d’une autorité formelle et d’influence.
  • Celle du leader qui ne possède aucune position de commandement mais est reconnu par ses pairs. Il bénéficie d’une autorité d’influence uniquement.
  • Celle des collaborateurs qui ne jouissent d’aucune autorité.

Reconnaissance du leadership du manager

Certaines études rencontrées dans la littérature du leadership, comme l’étude de Jim Collins1, s’intéressent exclusivement aux managers identifiés comme leaders. Cette méthode est décriée par Phil Rosenzweig2 qui prévient du danger de se focaliser sur les leaders sans les comparer aux managers non-leaders. En effet, il serait impossible de garantir que les caractéristiques des leaders soient absentes chez les non-leaders. Pour éviter le biais de ce que Rosenzweig appelle l’effet Halo, nous décidons très tôt dans le projet d’étudier tous les managers et de comparer les leaders reconnus à ceux dont le leadership n’est pas reconnu par leurs collaborateurs. La figure ci-dessus indique que 58% des collaborateurs interrogés reconnaissent le leadership de leur manager direct, un chiffre qui nous semble insuffisant au vu de l’ambition affichée du Royaume de développer son économie et concurrencer les organisations étrangères sur le marché local et international. À l’inverse, seuls 42% des managers sont reconnus en tant que leaders par une majorité de leurs collaborateurs (voir Tableau).

Des leaders rassurants

L’analyse des réponses des managers aux questions quantitatives et démographiques révèle que les leaders reconnus sont plus rassurants pour les collaborateurs du fait qu’ils se distinguent clairement des leaders non reconnus, par l’ancienneté, la confiance en l’avenir de l’organisation, la satisfaction de leur performance personnelle et l’attitude calme (opposée à celle méfiante ou pressée).

Trois types de collaborateurs

L’analyse des réponses des collaborateurs aux questions quantitatives nous permet, quant à elle, de construire une taxonomie des collaborateurs basée sur leur satisfaction vis-à-vis de leurs managers et leurs organisations respectifs (Tableau 3). Notamment, le groupe des « frustrés » semble servir de tampon face à l’insatisfaction des collaborateurs vis-à-vis de l’organisation, grâce au leadership de leurs supérieurs. Ainsi, ces organisations qui présentent vraisemblablement des défauts d’ordre structurel semblent devoir la fidélité relative de leurs collaborateurs à la qualité de leadership en leur sein. Cela peut montrer l’importance accrue de l’aspect relationnel au sein des organisations comparé à la dimension institutionnelle.

Nous ne décelons pas de différence notable dans la perception et la pratique du leadership selon :

  • L’exercice dans le public ou le privé
  • La taille de l’organisation
  • La ville de l’organisation

En revanche, il est clairement établi que le leadership féminin (moins fréquent que le masculin) est associé à une meilleure formation et davantage de satisfaction de la part du collaborateur.

Le lien entre leadership et l’ordre de naissance

Un grand nombre de leaders reconnus (80%) sont les aînés de leur famille. Alors que seulement 33% des leaders non reconnus sont des aînés. En effet, toute une littérature dédiée à la relation entre primogéniture et leadership politique confirme cette thèse3.

Résultats qualitatifs

Les entretiens ont été traités à l’aide du logiciel d’analyse de données qualitatives, Nvivo, afin d’explorer le texte collecté et identifier des relations significatives entre les variables de l’étude.

Le leader idéal

Lorsque l’on pose la question aux managers : « Quel portrait dressez-vous d’un leader idéal ? », ils listent dans l’ordre le fait de (1) Encourager le travail d’équipe, (2) Être respectueux de ses collaborateurs, (3) Être compétent dans son travail et (4) Pratiquer un management participatif.

Lorsque l’on pose la question aux collaborateurs :« Quel portrait dressez-vous d’un leader idéal ? », ils listent dans l’ordre le fait de : (1) Encourager le travail d’équipe, (2) Pratiquer un management participatif (3) Avoir le sens de l’écoute, (4) Être compétent dans son travail, (5) Être respectueux de ses collaborateurs et (6) Être bon communicateur. Notons que le management participatif est plus prioritaire pour les collaborateurs et que de nouveaux éléments, ignorés par les managers, s’ajoutent à la liste notamment le sens de l’écoute et le sens de la communication.

Le leader reconnu

Lorsque l’on demande aux collaborateurs qui reconnaissent le leadership de leur manager, de lister ses qualités, ils privilégient dans l’ordre : (1) Le respect des collaborateurs, (2) La dimension éthique/morale du sérieux qui est en même temps liée au travail et à l’honnêteté, (3) Les qualités humaines (compréhension, confiance, serviabilité)… et (4) Les qualités professionnelles et la compétence.

Au niveau des défauts du leader, les collaborateurs déplorent les attentes surdimensionnées et la pression trop forte pour plus de performance, source importante de stress dans l’équipe.

Le leader non reconnu

Il est qualifié par les collaborateurs de technocratique, plus centré sur la gestion de projet que la gestion d’équipe. Il manque de confiance en lui et dans l’équipe, ce qui a pour conséquence de ne pas faire participer ses collaborateurs dans les prises de décision. Il a du mal à s’imposer dans l’équipe mais aussi par rapport aux acteurs intra-organisationnels tels que les supérieurs hiérarchiques et les autres collègues et aux acteurs extra-organisationnels tels que les clients et les fournisseurs.

Le développement du leadership des collaborateurs

Seuls 14% des managers affirment la mise en place d’un système formel de développement des compétences de leadership au sein de leurs organisations respectives basé sur des formations et des séances de coaching. Les autres managers déclarent pour la plupart développer ces compétences de manière informelle à travers les réunions, la responsabilisation, les activités team building, etc.

La dimension familiale du leadership

Plusieurs collaborateurs font l’éloge du climat de famille créé au sein de l’entreprise : « Nous sommes comme une famille. Je ne peux pas travailler ailleurs. Je me sens très à l’aise. » ou « Mon supérieur considère ses subordonnées comme ses sœurs. » Cela corrobore la persistance d’un système de leadership communautaire et paternaliste étroitement lié aux spécificités de la culture marocaine.

Discussion et synthèse

Dans le contexte de mondialisation et de concurrence accrue, les organisations doivent affronter un monde de plus en plus instable. En interne, elles doivent également apprendre à s’adapter aux nouvelles générations de salariés. Ceux que nous avons pris l’habitude d’appeler les suiveurs rejettent aujourd’hui ce statut et ne veulent plus être désignés par le mot « subordonné » mais plutôt par le mot « collaborateur ». Ils revendiquent des relations marquées par plus de respect de la part de leurs dirigeants capables de recréer le cadre familial avec des relations de confiance et de partage. Nous notons au passage que les revendications des collaborateurs ne couvrent pas la dimension écologique et sociale traitée dans la littérature et qui concerne spécifiquement les organisations occidentales.

Au Maroc, et dans le secteur du service, les leaders sont appelés à développer davantage leurs compétences communicationnelles, ces dernières étant peu abordées par les écoles et les universités marocaines. Ces organisations ayant pour ambition d’être à la hauteur de la concurrence internationale ne peuvent compter uniquement sur le hasard pour voir se développer de manière informelle des leaders capables de porter les projets et les ambitions de l’organisation. Elles doivent nécessairement développer des processus formels destinés à développer chez tous les salariés un leadership efficace et dans l’idéal reconnu par tous.

 

 

  1. “Collins (Jim), Good to Great: Why Some Companies Make the Leap... And Others Don’t, HarperCollins, 2001”.
  2. Rosenzweig (Phil), The Halo effect, Free Press, 2007.
  3. Andeweg (Rudy B.) et Van Den Berg (Steef B.), Linking Birth Order to Political Leadership: The Impact of Parents or Sibling Interaction? Leiden University, Netherlands, 2003.
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