Pinier Arnaud
Arnaud est consultant en organisation et management depuis 10 ans. Connector OUISHARE Maroc, Arnaud est un acteur de l’économie collaborative, convaincu du pouvoir de la foule pour résoudre des problèmes globaux. Il est co fondateur de Radiomarais, première radio web commerciale de Paris. C...
Voir l'auteur ...Partager et collaborer pour entreprendre l’émergence d’un nouveau paradigme
Depuis la crise de 2008, une nouvelle vague d’entrepreneurs et d’initiatives a submergé les États-Unis, puis très rapidement l’Europe : celle de l’économie du partage et de l’économie collaborative. Portée haut et fière par ses fleurons, les célèbres « licornes » (Uber, Airbnb), elle a permis le développement d’une nouvelle économie alternative, fondée sur un paradigme de la propriété et des échanges, qui diffère sensiblement de l’approche néoclassique et de la réalité du capitalisme vivant :
- Une économie est collaborative quand les individus qui la composent et la définissent ont des intérêts tels qu’ils choisissent systématiquement, comme dans le célèbre cas du dilemme du prisonnier, la solution de coopération.
- Dans une économie de partage, l’exclusivité associée à la notion de droit de propriété est remise en question au profit d’une conception des biens et savoirs qui est ouverte et commune (on pourrait parler d’un communisme 2.0).
Parmi les nombreuses activités qui ont émergé, nous porterons une attention plus particulière au coworking qui change la façon de travailler, et au crowdfunding qui change la façon de se financer. Nous tenterons de comprendre pourquoi ces « alternatives » constituent aujourd’hui une solution crédible, empruntée par les jeunes marocains pour répondre aux déficiences actuelles du pays dans l’accompagnement et l’aide au développement de l’emploi et de l’économie, notamment par l’entrepreneuriat.
Ainsi par la vertu de la collaboration et du partage
Coworking et crowdfunding offrent de nouvelles « façons de faire », et présentent de très nombreux points communs dans ces nouveaux paradigmes (notamment dans leur ambition d’être des leviers à l’entreprenariat marocain), dont :
• Frugalité : les nouveaux modèles ont pour principe commun la minimisation des ressources matérielles et financières consommées dans la production de leur activité, et ont de plus en plus recours au DIY1 et à l’upclycling2. Dans le cas du coworking, l’entrepreneur peut partager l’investissement et les coûts récurrents du local, et profite de services complémentaires. Dans le crowdfunding, les techniques et moyens de communication d’une campagne permettent de s’exonérer de toutes les charges liées à la communication, tout en s’assurant un financement.
• Écologie : le principe de réduction des ressources consommées dans la production a un impact positif sur l’environnement. L’émergence de nouveaux modèles de financement transactionnels plus justes et équitables permet un financement écologique, sans impact durable sur le compte de résultat ou le compte de capital de l’entreprise.
• Socialités : ces nouveaux dispositifs de travail ou de financement offrent un terrain favorable (pour la définition même de leur principe de réalisation) à l’émergence de nouveaux liens sociaux, de nouvelles sociabilités, à la construction de nouvelles dynamiques collectives, et répondent aux aspirations des nouvelles générations.
Les nouveaux modèles de financement collaboratif ou les nouvelles conceptions des espaces de travail permettent de lever des freins traditionnels à un développement « populaire » de l’entrepreneuriat :
• L’émergence de plateformes de crowdfunding permet désormais de s’affranchir de cette barrière à l’entrée du financement dès lors qu’un porteur de projet a un projet viable et une implication personnelle suffisante pour atteindre ses objectifs. Airmote, startup marocaine innovante, a mis au point une télécommande intelligente pour smartphones. Elle a lancé sa campagne de crowdfunding sur le modèle de la prévente. Dans ce modèle, un porteur de projet vend aujourd’hui son produit, mais ne le livre qu’après avoir collecté tous les fonds qui lui ont permis de produire ce produit. Dans cet exemple, la startup a pu collecter en prévente plus de 240 000 dirhams et bénéficier ainsi de fonds en avance de phase. Seule avance nécessaire dans ce modèle, les fonds pour la production du prototype support de la campagne de communication.
Héberger une startup à son lancement est souvent très compliqué et nécessite des garanties importantes, de la trésorerie, un investissement pour l’installation. Le premier avantage des espaces coworking, c’est qu’ils permettent aux entrepreneurs de s’exonérer de ces charges d’installation au lancement d’un projet, et réduire donc le budget initial du projet. À Rabat, des espaces de coworking comme Dare Space (programme réalisé par MCISE) proposent des solutions d’espace de travail pour le mois à 1100 dirhams. Ces tarifs peuvent baisser de manière significative si le porteur de projet contribue à faire vivre l’espace (formation, participation à des programmes,...) De plus, la facturation dépend du temps passé par l’entrepreneur. À titre de comparaison, pour un espace similaire, les pépinières d’entreprise proposent des tarifs startup à 1000 dirhams par mois pendant les deux premières années d’existence, après les tarifs doublent. Dans ce scénario, l’entrepreneur n’a pas de flexibilité, il s’engage sur un bail locatif standard et doit également payer une caution, des assurances. Quant à l’option qui consisterait à louer un espace à usage bureau, même en partageant l’espace dans une logique de colocation, le tarif minimum tourne autour de 2000 dirhams par mois, et oblige les entreprises à faire des avances de trésorerie pour la caution, les frais d’agence et d’installation. On voit donc ici que le coworking permet de réduire de près de 50% les coûts d’installation d’une startup par rapport aux alternatives actuelles, tout en offrant par ailleurs de nombreuses opportunités de synergie et de développement.
En 2016, au Maroc, ces activités sont encore embryonnaires. En effet, en 2015, le marché du crowdfunding au Maroc représente 4,5 millions de dirhams contre 3 millions en 2014. Seules deux plateformes sont installées juridiquement au Maroc et deux autres opèrent de l’étranger. Au delà, les porteurs de projet marocains utilisent majoritairement des plateformes de crowdfunding à dimension internationales basées en France ou aux États-Unis.
Les espaces de coworking se développent progressivement. Début 2016, Rabat en compte quatre répartis sur l’ensemble du territoire de la ville, qui sont tous issus d’initiatives locales. Casablanca en compte environ dix qui se polarisent dans la majorité sur deux zones d’activité : le centre-ville et le quartier des affaires. Parmi ces espaces de coworking, il est important de noter que tous proposent des programmes d’animation et de formation, et que certains d’entre eux ont également développé des programmes d’incubation et d’accélération (dans une moindre mesure, certains proposent des solutions de financement). Une grande majorité de ces espaces dépendent de soutiens institutionnels pour se financer.
Une réelle alternative ?
La première question posée par l’émergence de ces nouvelles initiatives collaboratives de la multitude est : « En quoi doivent-elles répondre aux déficiences des fonctions qui relèvent traditionnellement de l’État ? ». L’entrepreneuriat est une des réponses actuelles aux déficiences du système scolaire marocain dans le primaire et le secondaire. Par l’autonomisation des trajectoires individuelles, les jeunes prennent en main leur destin en se lançant dans l’entrepreneuriat.
Les nouveaux modèles de financement collaboratif, n’ayant pas encore atteint leur maturité, se développent dans des univers peu régulés dans lesquels il n’existe pas encore ou très peu de mécanismes de sauvegarde et de maîtrise des éventuelles crises qui pourraient survenir. Les pistes offertes par les nouvelles technologies, notamment le blockchain3, offrent déjà des réponses partielles à ces nouveaux enjeux et ces nouveaux risques. Il en reste encore sans doute beaucoup. Mais, une des conditions du développement de ces nouvelles activités est la maîtrise des risques, une sécurisation et une normalisation des transactions.
Nous disposons de moins de dix ans de recul d’historique sur ces activités. Néanmoins, certaines mutations apparaissent déjà en matière de régime salarial et de conditions de travail. À l’exemple de Uber (célèbre société de transport de personnes), ce qu’on appelle l’ubérisation est en réalité une précarisation du statut des travailleurs. En effet, dans ce nouveau modèle, le risque initialement porté par l’employeur de l’entreprise (de l’aléa d’activité) s’engageant à payer un salaire est désormais reporté sur le salarié en le faisant devenir indépendant tout en maintenant une relation commerciale privilégiée ; le risque du salaire est donc porté par le salarié devenu indépendant.
Par ailleurs, les business models de l’économie collaborative sont encore à améliorer pour assurer une pérennité à ces dispositifs. La question de la taille du marché local ou régional marocain pourrait aussi être posée. Un des principaux défis pour la pérennisation de ces dispositifs serait la création d’une relation de confiance continue, transposable, transférable et catalysatrice d’activités entre les opérateurs et les utilisateurs des plateformes.
Grande tendance depuis 2013, l’entrepreneuriat version startup répond à de nombreux défis au Maroc. L’État commence à assister le développement de l’entrepreneuriat, y voyant non seulement un élément de réponse à la problématique du chômage des jeunes, mais également un enjeu d’avenir en lien avec l’innovation.
Coworking et crowdfunding offrent désormais de multiples opportunités aux jeunes entrepreneurs qui n’ont pas ou peu de moyens en leur offrant des leviers de développement. Par certains aspects, ces nouvelles activités pourraient être assimilées à du service public, tant leur offre de service est non rivale et non exclusive, et contribue effectivement au développement de l’entrepreneuriat.
Notes
1. Do it yourself (DIY) est une appellation, dont la traduction littérale en français serait « Faites-le par vous-même », qui désigne à la fois : certains musiciens ou mouvements culturels ; des activités visant à créer des objets de la vie courante, des objets technologiques ou des objets artistiques, généralement de façon artisanale. Pour en savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/Do_it_yourself
2. L’upcycling est une tendance de l’économie circulaire qui consiste à lutter contre l’obsolescence programmée en transformant des déchets en produits de bien meilleure qualité, auxquels l’on a même ajouté une certaine plus-value. Pour en savoir plus, voici une communauté d’upcyclers : http://www.upcyclethat.com/
Une chaîne de blocs (en anglais le blockchain) est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Pour en savoir plus : https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blo