La place des SI dans les entreprises marocaines

La place des SI dans les entreprises marocaines

De nos jours, la question de la relation directe qui existe entre le progrès et le développement d’une nation d’une part, et l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) d’autre part, ne se pose plus.  Les TIC sont partout. Elles font tellement partie aujourd’hui de notre quotidien que l’on risque d’en oublier la portée et l’ampleur des changements pour toutes les parties prenantes, entreprises, organisations, administrations publiques, etc.  

Eléments de contexte

Pour les entreprises, les TIC se situent au cœur des questions managériales tant sur le plan stratégique qu’organisationnel. Elles deviennent même une vraie arme de conquête des marchés locaux et mondiaux dans un contexte où la tendance à la globalisation a marqué de son empreinte tous les secteurs d’activités. Cette montée en puissance des TIC dans le fonctionnement des entreprises s’est construite progressivement, par poussées successives, sans plan cohérent, au gré des innovations techniques et des réussites commerciales. Leur usage s’est intégré de façon plus ou moins fluide, ajoutant au fil du temps de nouveaux outils aux pratiques traditionnelles de management. Or, il persiste un sentiment diffus sur l’ambiguïté des performances des TIC et, parfois, un scepticisme sur leur contribution réelle à la productivité. Il y a donc un paradoxe  entre l’omniprésence des TIC en entreprise et sa reconnaissance comme levier de performance économique et de transformation des processus organisationnels.

Le Maroc a adopté une stratégie «E-Maroc» qui ambitionnait d’accélérer son positionnement à l’échelle internationale et d’en faire une plateforme de TIC majeure à l’horizon 2010. Cette stratégie nationale et volontariste dédiée aux TIC avait comme devise le développement d’une économie de savoir. De plus, récemment, le gouvernement a lancé une stratégie nationale pour la société de l’information et l’économie numérique baptisée «Maroc Numeric 2013». Elle vise à faire des TI un vecteur de développement humain. Pour cela, quatre priorités ont été identifiées :

rendre accessible aux citoyens l’internet haut débit, rapprocher l’administration des besoins de l’usager à travers un ambitieux programme d’e-gouvernement, inciter à l’informatisation des PME-PMI1 et développer la filière locale des TIC, en favorisant l’émergence de pôles d’excellence.

La présence et la diffusion des TIC dans les entreprises marocaines, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites, ne se feront donc pas sans créer de nombreux problèmes aux managers et poser de délicates questions : qu’en est-il réellement de la pénétration des TIC dans les entreprises marocaines ? Quelles sont les applications utilisées ? Quelle est la perception des TIC ? Ont-elles un rôle stratégique ? Quels sont les effets sur l’organisation et les ressources humaines qui y ont recours ? Exigent-elles de nouvelles compétences ?

Objectifs de l’étude

Cette étude cible en priorité et pas exclusivement les grandes et moyennes entreprises assez structurées pour bénéficier des gains de productivité que leur procurent des investissements en TIC. 

Elle met l’accent sur les entreprises par fonctions (Comptabilités, Ressources Humaines, Contrôle de Gestion, Gestion de Production, Achat, Logistique, etc.) et par secteurs (Industrie, BTP, Activités Financières et Assurances, Télécom, etc.).  Les objectifs de l’enquête sont triples :

1. Déterminer la place des TIC dans les entreprises marocaines et susciter une meilleure prise de conscience de leur importance stratégique et de leur impact sur l’organisation et le management.

2. Connaître et saisir les disparités en matière de TI entre les entreprises selon les secteurs d’activités.

3. Analyser la réalité d’usage des TI dans la vie des entreprises marocaines et apprécier les transformations qu’elles engendrent.

Notre volonté est que cette étude constitue une source de données pour la communauté marocaine d’enseignants- chercheurs et de professionnels en SI et contribue à une meilleure lisibilité et visibilité des TIC dans les entreprises marocaines.

Méthodologie de l’enquête

Pour atteindre ces objectifs et répondre aux questions posées, un travail de précision des principales thématiques de notre enquête s’imposait. Nous avons invité plusieurs professionnels et experts marocains dans le domaine des SI afin de constituer le premier focus group qui a eu lieu le 24 août 2009. Cet échange a permis d’établir les principales bases du questionnaire que nous avons développé en cinq principales parties. La première porte sur la description du SI de l’entreprise. L’objectif est de décrire le SI et les principales applications informatiques installées et utilisées. La deuxième et la troisième partie évaluent le caractère stratégique et organisationnel des TIC. Enfin, les deux dernières parties précisent l’impact des TIC sur la flexibilité et les caractéristiques générales des entreprises répondantes.  

Pour avoir un retour significatif des entreprises marocaines, nous avons mobilisé plusieurs circuits. Tout d’abord, nous avons mobilisé les étudiants de HEM, niveau Master, afin d’évaluer la place des SI dans les entreprises où ils ont effectué leur stage. Nous avons eu 120 questionnaires exploitables. Ensuite, nous avons sollicité l’appui et le soutien de la CGEM pour compléter notre échantillon. A partir de mi-janvier, nous avons adressé le questionnaire à 2200 entreprises représentant les principaux secteurs d’activités de l’entreprise. Constatant un retour faible, nous avons relancé les entreprises par téléphone afin d’administrer le questionnaire face à face. Résultat : sur un échantillon de 2550 entreprises, nous avons reçu 299 réponses soit 11,57%. Précisons que les répondants étaient principalement des Directeurs des Systèmes d’Information (DSI) pour les Grandes Entreprises (GE) et des chefs d’entreprise ou représentants qui ont une connaissance de la politique SI de leurs entreprises pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME-PMI). L’administration du questionnaire a duré deux mois et demi du 15 janvier au 02 mars 2010. Toutes les réponses ont été codifiées et analysées dans le logiciel de traitement statistique SPSS.

Dans cet article, nous présenterons les résultats clefs de l’étude et discuterons les conclusions que nous avons pu tirer des données de l’enquête. Dans chaque partie, nous restituerons les données statistiques importantes suivies d’une analyse basée sur deux restitutions auprès de deux groupes d’experts dans le domaine des TIC, parmi lesquels des représentants des associations professionnelles en TIC à savoir APEBI et AUSIM. A titre d’éclairage, une série d’encadrés présente les outils et concepts utiles pour comprendre les concepts mobilisés. Une bibliographie permettant d’approfondir ces questions est également présentée à la fin de l’enquête.

Présentation de l’échantillon

L’échantillon est constitué par une majorité de PME-PMI (70%)  et une part non négligeable de GE (30%). Cela est assez proche de la réalité du tissu économique marocain qui demeure très majoritairement composé d’entreprises de petite taille. Cette étude reflète aussi la présence de «grosses PME-PMI» qui ont un lien avec les TIC. En termes de secteur d’activité économique, les entreprises interrogées se répartissent de la façon suivante :

Les entreprises participant à l’enquête appartiennent pour l’essentiel au secteur industriel (35%). Ce chiffre est très proche de la part de l’industrie dans le PIB et correspond à la structure de l’activité économique des entreprises marocaines. Ce fait explique sans nul doute certains résultats obtenus dans cette étude. Les autres secteurs sont : commerce et distribution (13%), transport (8%), et les derniers sont entre 4% et 7%.

Description du si des entreprises de notre échantillon

Quasiment toutes les entreprises (98% de notre échantillon) utilisent des ordinateurs et ce, quels que soient le secteur d’activité et la taille d’entreprise. Autre fait marquant, la majorité (96%) de notre échantillon dispose d’un SI.

L’abréviation SI recouvre un ensemble de significations dont le contour n’est pas véritablement précisé et dont l’utilisation abusive en diminue la portée exacte. En quoi consistent les SI ? Quel est leur rôle dans une entreprise ? Que doivent connaître les gestionnaires utilisateurs du fonctionnement et de la gestion des SI ? Pour éviter toute ambiguïté à ce sujet, nous avons défini très clairement, dans le cadre de cette enquête, le concept SI en nous appuyant sur la proposition de définition de Robert Reix (2000, p.75) dans son fameux ouvrage «Management des SI» qui reste LA référence sur le plan académique et professionnel francophone : «Un système d’information est un ensemble organisé de ressources : matériel, logiciel, personnel, données, procédures…. permettant d’acquérir, de traiter, stocker communiquer des informations (sous formes de données, textes, images, sons, ...) dans des organisations».

En se basant sur cette définition, les résultats de cette enquête montrent que la majorité (96%) de notre échantillon dispose d’un SI. Qu’est-ce que cela veut dire ? Soyons clairs, un SI n’est pas un système informatique, un ordinateur ou un logiciel. L’évolution incessante des offres sur le marché, conjuguée à un fort matraquage commercial et marketing de ces solutions par les éditeurs, ont déterminé en quelque sorte une représentation technique et complexe de la notion SI. Loin d’une vision élitiste, une entreprise dont les acteurs utilisent un ordinateur équipé d’un pack Office (ensemble d’applications bureautiques : word, excel, access, etc.) ou d’une application de type Sage capable de gérer la comptabilité et les relations avec les clients et fournisseur, est une entreprise qui a son propre SI informatisé. Certes, cela reste rudimentaire, voire basique, mais cet ensemble de ressources utilisé par les acteurs de l’entreprise remplit les fonctions minimales, mais suffisantes pour assurer le suivi de l’activité de l’entreprise. Bien évidement, les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines entreprises, principalement les grandes, ont les moyens pour mettre en place un SI informatisé de qualité et qui couvrent tous leurs besoins internes et externes de traitement de l’information. D’ailleurs, en regardant de près le niveau d’équipement des GE, on constate qu’elles sont mieux équipées que les PME-PMI. L’élément important concernant le concept SI ici est artefact TI et l’interaction avec l’acteur qui permet d’interpréter et de transformer les données. 

Bien que les entreprises de notre échantillon soient équipées d’un SI informatisé, une grande partie d’entre elles (74%) pensent réaliser un investissement en SI dans moins d’un an. Cet investissement viendra répondre à deux principaux besoins : la modernisation de leur SI et l’amélioration de la flexibilité de l’entreprise. Viennent ensuite des besoins managériaux et organisationnels.

Deux des principales raisons retenues par les entreprises confirment leur volonté, à travers un SI, d’engager une nouvelle conception de leur fonctionnement. Ainsi, atteindre des objectifs de flexibilité et de modernisation illustre bien cette volonté de changement par l’intermédiaire d’un projet SI. Par ailleurs, l’amélioration de l’accessibilité des informations et de la communication inter et intra-services souligne la logique de transversalité véhiculée par les SI et recherchée par les entreprises.

Positionnement de l’étude

 
Toutes les études qui ont été menées sur le sujet lors des trois dernières années parlent du degré d’usage des TIC par les entreprises marocaines et de leur importance en général comme levier de développement. Ces études étaient réalisées soit par des services et départements appartenant à l’État (ANRT, DEPTNT), soit par des associations professionnelles (APEBI, CGEM) représentant ainsi des intérêts spécifiques. Cette étude de terrain indépendante et assez approfondie est initiée par le
 
Centre d’Etudes Sociales, Economiques et Managériales (CESEM), centre de recherche de HEM, suite au 14ème colloque international de l’AIM (Association Information et Management) sur les Systèmes d’Information qui a été organisé par l’institut des Hautes Études de Management (HEM) et Reims Management School (RMS) à Marrakech du 10 au 12 juin 2009. Cette première étude du CESEM, appuyée en amont par la CGEM et en aval par l’APEBI, en appelle d’autres, plus ciblées et susceptibles de développer davantage des recherches menées de manière indépendante et pouvant répondre, parallèlement, aux attentes des professionnels. D’ailleurs, le lien établi avec l’APEBI, dans ce cadre, augure d’un développement des activités de recherche du CESEM dans ce sens.

Les applications effectivement déployées et utilisées

Lorsqu’on interroge les entreprises sur le contenu de leur investissement SI futur, presque la moitié de notre échantillon, PME-PMI et GE, s’oriente vers un ERP (Entreprise Ressources Planning). Ceci n’est pas surprenant si on connaît la place qu’occupe aujourd’hui cette application informatique dans les SI des entreprises. Précisons que toutes les grandes entreprises au niveau international sont équipées d’un ERP, voire de plusieurs. Les PME-PMI qui étaient une cible de seconde zone jusqu’au début des années 2000, sont devenues une cible prioritaire des éditeurs et constituent un des leviers de croissance de ce marché qui représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 39 milliards de dollars.

Un ERP est un Progiciel de Gestion Intégré (PGI) qui se compose de plusieurs modules pensés pour former un tout cohérent. Il promet l’intégration de toutes les données de l’entreprise autour d’un référentiel unique et homogène. L’entreprise n’a pas à développer des interfaces entre les modules. Grâce à sa base de données intégrée, l’ERP gère toutes les données de l’entreprise en temps réel. Les possibilités de paramétrage qu’il offre permettent aux entreprises de le configurer et de l’adapter à leurs modes de fonctionnement.

Les autres applications ciblées par les entreprises de notre échantillon sont de types CRM (Customer Relationship Management/Gestion de la Relation Client) et SCM (Supply Chain Management/Gestion de la Chaine Logistique) et outils collaboratifs. Ceci est une indication sur la volonté des entreprises de disposer d’un ensemble d’applicatifs qui couvrent à la fois les processus back et front office. Nous remarquons enfin que les applications décisionnelles et open source sont présentes, mais ne sont pas prioritaires. Mais qu’en est-il réellement des applications informatiques utilisées dans les entreprises de notre échantillon ?

Désormais, les TIC sont bien présentes. Comparés aux résultats de la dernière étude du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies réalisée en 2003 qui affiche que «59 % des entreprises déclarent utiliser les NTIC contre 43 % en 1999», les constats de cette étude confirment cette progression. L’ensemble des technologies dont nous avons cherché la présence et leur utilisation (ERP, CRM, SCM, E-procurement, EDI, SI collaboratifs, E-mail, outils décisionnels et open source) tend à transformer les processus traditionnels d’une entreprise en processus numérique dans la mesure où les informations supportant ces processus sont essentiellement véhiculées grâce au système informatique. La figure ci-contre précise les principales applications informatiques utilisées.

L’ERP, le cœur  battant des si ?

L’ERP est relativement plus souvent utilisé (63%). La messagerie électronique (48%), les outils collaboratifs de type intranet (40%) et le CRM (37%) suivent très loin derrière. Notons que la messagerie électronique et les outils collaboratifs sont davantage utilisés dans les GE que dans les PME-PMI. La taille et la complexité des activités et des processus expliquent cette nette différence. Faisons remarquer que les applications open source et décisionnelles ont du mal à percer dans le paysage applicatif des entreprises de notre échantillon.

Le phénomène ERP, qui a déferlé au milieu des années 90, a séduit plusieurs GE marocaines et s’installe dorénavant comme une composante fondamentale du SI de gestion de l’entreprise. Pour éviter le cauchemar des interfaces, les entreprises optent pour une intégration globale autour d’un ERP. Cherchant à savoir s’il y avait une différence par taille et secteur d’activités, nous remarquons que les ERP sont fortement utilisés par les GE dans les secteurs suivants : BTP, informatique et services immobiliers. Dans les PME-PMI, ce sont plutôt les secteurs de commerce et distribution, l’hôtellerie et l’informatique. Ces progiciels ont connu un succès mondial tout en suscitant de nombreuses critiques et réserves : «Trop complexes, trop coûteux, trop standards, trop longs à déployer». Malgré ces difficultés, la ruée des entreprises vers ces fameux ERP ne s’est pas arrêtée car, bien maîtrisés, ils apportent plusieurs avantages : l’ERP s’invite avec une approche orientée processus qui rompt avec le mode de fonctionnement traditionnel de l’entreprise et permet de rationnaliser les opérations, de réduire les coûts et d’améliorer la vision métier. L’existence d’un référentiel homogène, à la fois en termes de données et de règles de gestion, et partagé par tous les départements de l’entreprise pourrait faciliter la coopération entre les différents services et entraîner une communication transversale offrant ainsi un support potentiel d’amélioration des décisions de gestion. Enfin, les fonctionnalités de paramétrage apportent un niveau de flexibilité permettant aux entreprises de tester plusieurs configurations organisationnelles.

Cependant, un ERP est rarement déployé dans sa totalité. Les entreprises de notre échantillon ont opté principalement pour les modules de support. Nous trouvons ainsi dans le trio de tête, les modules de comptabilité (75%), de contrôle de gestion (65%) et de gestion commerciale (55%). Les modules financiers sont les plus fréquemment déployés. Vraisemblablement, les accords de libre-échange signés par le Maroc avec un bon nombre de pays (USA, Tunisie, Turquie, Égypte etc.) et les nouvelles réglementations ont créé l’opportunité d’un renouvellement des applications financières et obligé les entreprises marocaines à rattraper leur retard en termes d’intégration et d’appropriation des SI. Ce constat est le même dans d’autres pays tels que la France où les entreprises ont opté dans un premier temps pour les modules de support (Bidan et al., 2002). Les modules d’achats (47%), de gestion de production (40%) et de gestion des ressources humaines (38%) complètent le classement. Pris séparément, ces modules sont moins performants. Les performances du système global sont atteintes grâce à l’intégration des différents modules, d’où l’intérêt d’élargir le périmètre d’intégration et d’inclure les modules métier pour augmenter les niveaux de performance de l’ERP en place.

La spécificité des grandes entreprises réside dans le fait que les premiers déploiements ont concerné principalement les modules de support de type financier, comptabilité et contrôle de gestion, suivi par les modules commercial et achat.

Dans le cadre des PME-PMI, les modules implantés sont à la fois des modules de support et des modules stratégiques (modules de production, de logistique pour les entreprises de transport et du secteur industriel). Cette particularité s’explique en partie par le degré moins élevé de la complexité des problématiques organisationnelles à traiter dans le cadre des projets ERP des PME-PMI.

Comparée aux ERP, l’utilisation des applications CRM reste en retard et en phase d’émergence par rapport aux autres pays européens et nord-américains. Cet outil vient répondre tout d’abord à des besoins métiers à travers une gestion optimisée du portefeuille clients. L’idée fondamentale d’un CRM est d’accompagner l’entreprise dans l’individualisation et l’amélioration de la gestion de ses clients et plus généralement de ses canaux de distribution. Dans les GE, les secteurs télécom et activités financières et assurance sont plus utilisateurs du CRM que les secteurs transport et industriel. Cette faible pénétration du CRM vient du fait que ce type de pratiques n’est pas fortement formalisé et répandu dans toutes les entreprises.

Démocratisation de la messagerie électronique

La messagerie électronique est bien présente dans les pratiques SI. Alors que les entreprises disposent de moyens de communication de plus en plus diversifiés, la messagerie électronique s’est imposée pour devenir incontournable. Ce fait marquant peut s’expliquer par l’effort de généralisation et de démocratisation de ce média dans les entreprises marocaines. C’est un support écrit de communication, rapide et répondant à un réel besoin de coordination et de communication avec plusieurs acteurs internes et externes. L’utilisation croissante de la messagerie électronique témoigne de l’intérêt du média pour les entreprises et ses managers. Cependant, gare à l’abus. Tout en étant à l’origine d’une plus grande flexibilité, plusieurs études ont montré l’accentuation de la surcharge informationnelle montrant ainsi l’incapacité des salariés à traiter le nombre croissant de messages reçus. Ce fort usage peut être source d’inefficacité et de perte de temps et de productivité pour les managers.

Le développement du commerce électronique n’est pas pour demain !

Paradoxalement, alors qu’on attendait une forte présence des sites internet, seulement 70% des entreprises déclarent en avoir un -30% n’en disposent pas. Ce sont plutôt les PME-PMI qui sont moins enclines à en avoir, seulement 67% déclarent en disposer contre 78% dans les GE. Ce qui est surprenant, ce sont les 22% des GE qui n’en ont pas. L’analyse sectorielle nous montre que les activités de services telles que télécom, informatique, activités financière et assurances sont les mieux équipées en site internet.

Plus que l’accès à internet qui est à la fois présent dans les foyers et les entreprises, c’est l’examen des fonctionnalités disponibles dans les sites internet qui apporte un début de réponse.

Si presque trois quarts des entreprises déclarent avoir un site internet, ce dernier demeure, pour une large majorité d’entre elles et sans effet de taille, un site de présentation de l’entreprise, de son activité, de ses produits et de ses services. C’est ce que l’on appelle couramment des sites vitrines.

Le constat est donc celui d’un faible développement du commerce électronique puisque peu d’entreprises offrent la possibilité au client de passer une commande et de la suivre en ligne.

La progression de l’utilisation d’internet est beaucoup plus sensible dans la société selon l’ANRT (2009), mais sans infrastructure de sécurité suffisante et une généralisation des moyens de paiement en ligne, le site internet restera un vecteur d’information sans réel potentiel de développement de transaction en ligne. L’autre enjeu se situe dans les opérations de mise à jour qui ne sont pas toujours respectées.

 

Acteurs concernés par les TI au Maroc

APEBI est la Fédération des Technologies de l’Information, des Télécommunications et de l’Offshoring dont la mission est de favoriser l’émergence et le développement d’un secteur TIC fort, consolidé et créateur de richesses au Maroc. Cette instance professionnelle, créée en 1989, est représentative du secteur des TIC marocain pour servir les intérêts professionnels de ses membres.
 
AUSIM est l’Association des Utilisateurs des Systèmes d’Information au Maroc. Elle a pour but de contribuer à la promotion et au développement des systèmes d’information au Maroc.
 
CETIC est une association à but non lucratif présidée par l’APEBI et gérée par les différents intervenants en termes d’appui aux entreprises. Sur la base de sa conviction que les TIC sont un puissant levier pour développer le business de l’entreprise, le CETIC a comme objectifs la sensibilisation des entreprises marocaines aux usages et enjeux des TIC et la concrétisation de leurs projets en la matière. C’est aussi de promouvoir l’offre marocaine en lui permettant de s’adapter aux besoins des PME marocaines.
 
 - ANRT l’Agence Nationale de Réglementation des Télécoms est un établissement public mis en place en février 1998 dont la mission est d’assurer la régulation des télécommunications. Ses principales missions portent sur le suivi du développement des TIC, pour le compte de l’Etat ; contribuer à l’évolution du cadre législatif et réglementaire pour un développement harmonieux du secteur des télécom ; accompagner le développement du secteur par le biais de la formation et la promotion de la recherche.
 
- DEPTNT : le Département de la Poste des Télécommunications et des Nouvelles Technologies relève du Ministère de l’Industrie du Commerce et des Nouvelles Technologies. Il a pour mission le suivi de la mise en oeuvre de la stratégie du Gouvernement en matière de Poste, de Télécommunications et de Technologies de l’Information. De même qu’il est investi de la mission publique gouvernementale de tutelle sur les Etablissements qui opèrent dans le secteur.
 
- ASTEC est une structure associative destinée à représenter les entreprises membres de la Communauté du Technopark. Elle vise à dynamiser la promotion de l’offre des très petites entreprises (TPE) et PME afin de mieux mettre en valeur leurs offres auprès des donneurs d’ordre nationaux et internationaux dans le domaine des TIC.
 

Impact des TIC  sur la flexibilité  de l’entreprise

Nous avons cherché à savoir si les TIC induisent et contribuent à l’amélioration de la flexibilité de l’entreprise. Nous définissons la flexibilité de l’entreprise comme l’aptitude de cette dernière à répondre à des conditions nouvelles et à développer une capacité d’apprentissage en utilisant une information additionnelle.

La contribution des TIC à la flexibilité de l’entreprise est effective. Les résultats de notre enquête montrent que les TIC améliorent la capacité de réaction de l’entreprise (73%) dans la mesure où les managers ont accès à des informations plus détaillées et plus fiables par l’intermédiaire des tableaux de bord, des états généraux de reporting et des fonctionnalités de planification et de traçabilité. En effet, selon les répondants, les informations contenues dans leur SI sont plus accessibles (78%), plus lisibles (73%) et plus compréhensibles (73%).

Sur le plan opérationnel, nous constatons que les informations fournies par le SI de l’entreprise permettent aux utilisateurs de répondre facilement (69%), mais paradoxalement moins rapidement (31%) aux sollicitations internes et externes.

Lexique des principales applications

ERP : un progiciel modulaire, intégré et paramétrable promettant une intégration transparente de toutes les informations qui circulent dans l’entreprise, soit les informations concernant les finances, la comptabilité, les ressources humaines, la chaîne d’approvisionnement et la clientèle. Il garantit l’unicité de l’information et l’accès à celle-ci à partir de toutes les fonctions de l’entreprise et tout cela se fait presque en temps réel. L’entreprise n’a pas à développer des interfaces entre les modules. Avec un minimum d’information saisie, le système peut produire un maximum de valeur ajoutée. Principaux éditeurs ERP : SAP, Oracle, Sage, Microsoft Dynamics.
 
CRM : logiciel dont l’objectif est d’accompagner l’entreprise dans l’individualisation et l’amélioration de la gestion de ses clients. Les quatre principaux objectifs assignés aux outils de gestion de CRM : (1) augmenter la fidélité du client en fournissant un service de qualité, (2) améliorer l’efficacité du marketing, (3) permettre l’individualisation du service et du support client et enfin (4) optimiser l’efficacité et réduire les coûts de l’activité marketing. Principaux éditeurs ERP : SAP, Oracle, Salesforce, Microsoft Dynamics.
 
SCM : ensemble de logiciels permettant de gérer de façon optimale les aspects logistiques permettant d’assurer la fluidité et le contrôle des flux sur l’ensemble de la chaîne, depuis la planification des ressources jusqu’à la livraison des produits en passant par les prévisions, la conception et la fabrication. Objectif : accélérer le processus de livraison des clients en minimisant la valeur des stocks et de piloter la production par la demande. Principaux éditeurs SCM : SAP, Oracle.
 
E-Procurement : logiciels qui peuvent automatiser et fluidifier le processus d’approvisionnement d’une entreprise, en le gérant de bout en bout, depuis la formulation de l’expression du besoin jusqu’à la réception et la facturation. Principales fonctionnalités :
 
EDI : EDI (Electronic Data Interchange ou Echange de données informatisées) est un système qui utilise les réseaux de télécommunications pour l’échange automatique des données informatisées provenant d’utilisateurs de différents domaines, fondé sur des normes matérielles et logicielles.
 
Outils collaboratifs : un outil ou logiciel collaboratif en ligne qui permet de partager des fichiers de travail entre les acteurs de l’entreprise. Les supports partagés peuvent servir à différentes tâches : (1) organisation et suivi d’un planning (agenda partagé), (2) bases de connaissances (développement produits et services, enquêtes, études de marché), (3) forums électroniques. Principaux éditeurs : Google documents et agenda, SharePoint.
 
E mails : service géré par ordinateur fournissant aux utilisateurs habilités les fonctions de saisie, de distribution et de consultation différée de messages, notamment écrits, graphiques ou sonores.
 
 Logiciel décisionnel : logiciels qui permettent d’assurer le pilotage et le suivi des activités, en s’appuyant sur un ensemble d’indicateurs relatifs à la fois à l’efficacité et à l’efficience de l’organisation. Ils sont aussi connus sous les appellations «Informatique décisionnelle» ou «Business Intelligence». Principaux éditeurs : SAP Business Object, IBM Cognos, SAS, Microstrategy.
 
 Logiciel Open Source : logiciel libre d’accès dont le  code source autorise des modifications et peut être utilisé et redistribué sans restriction. Un logiciel OS n’est pas forcément gratuit. Mozilla Firefox, OpenOffice.org et VLC sont des exemples de logiciels libres célèbres.
 

Développements spécifiques : une facilité ou un frein ?

Une forte proportion des entreprises de notre échantillon ont opté pour des développements spécifiques (DS) pour répondre aux différents problèmes de gestion et faire face aux pressions de leur environnement interne et externe. Ainsi, 62% des entreprises interrogées ont opté pour des DS avec une tendance plus forte dans les GE (68%) que dans les PME-PMI (57%). Ces développements nécessitent à la fois des ressources et compétences externes et internes et sont dans tous les cas inévitables lorsqu’on sait que dans les meilleurs cas, un ERP par exemple ne peut pas couvrir à lui seul plus de 70% des besoins de gestion du SI d’une GE.

En regardant de près l’effet taille, on constate que les GE (63%) s’accordent pour expliquer que les développements spécifiques sont un frein à l’évolutivité et l’ouverture de leur SI, ce qui n’est pas le cas des PME-PMI (48%). Nous pouvons ainsi présenter les DS comme des outils alourdissant le SI et contribuant à la perte d’une cohérence informationnelle, mais contribuant toutefois à faciliter à court terme la lisibilité de l’application par les utilisateurs. Les entreprises intègrent les DS au sein de leur SI en admettant et en reconnaissant leur contribution négative à la flexibilité du SI dans sa globalité. Ce résultat confirme en partie les conclusions du rapport du CIGREF2 (1999) à savoir que les développements spécifiques engendrent non seulement des coûts et des retards importants dans les projets, mais annihilent la capacité à intégrer les nouvelles versions de l’éditeur (type ERP par exemple) et réduit l’intérêt de l’outil.

Sans ambiguïté, la pénétration des TIC en entreprises marocaines est faite. Mais la perception des TIC reste encore mitigée. Alors que 48% des entreprises considèrent les TIC comme une partie intégrante de la stratégie de l’entreprise, 33% la considèrent encore comme une boîte à outil voire un mal nécessaire (12%).

Ces perceptions nous donnent une indication sur le chemin qui reste à accomplir pour que les TIC prennent leur place stratégique dans le fonctionnement des entreprises. Précisons par ailleurs que la nature et la spécificité de certains secteurs d’activités pourraient éclairer davantage ces retours. Paradoxalement, le niveau de satisfaction des entreprises quant à l’usage des applications citées ci-dessus est important. 72% des PME-PMI sont satisfaites du niveau d’adaptation de ces applications à la réalisation des missions et des tâches des utilisateurs. Elles sont seulement 58% dans les GE. L’effet taille est significatif. Certes le processus d’informatisation est bien avancé dans les GE, mais la multiplication des applications, des procédures et des contraintes pourrait expliquer cette différence de satisfaction. En revanche, au niveau des PME-PMI, le périmètre d’intégration et d’utilisation des TIC est très restreint et surtout moins complexe.

Le caractère stratégique et organisationnel des TIC

Presque les trois quarts de notre échantillon (70%) affirment être en accord avec la proposition selon laquelle les TIC constituent un enjeu stratégique pour leur DG. Ce résultat peut étonner, mais traduit vraisemblablement, de notre point de vue, une vraie prise de conscience quant aux enjeux stratégiques des TIC. La perception de ce caractère stratégique s’inscrit à notre avis dans l’évolution que connaît l’économie marocaine et l’importance qu’accordent les acteurs économiques à ces questions. Est-ce que cette perception stratégique des TIC est variable selon la taille et les secteurs d’activités ? Paradoxalement, nous n’avons pas trouvé un effet taille. PME-PMI et GE sont conscientes du caractère stratégique des TIC et confirment à 74% que les applications informatiques utilisées sont cohérentes avec leurs orientations stratégiques. Même constat (77%) lorsqu’on s’interroge sur l’existence d’une vision organisationnelle cible lors de la mise en place des TIC. En revanche, en regardant les secteurs d’activités, nous constatons que la dimension stratégique des TIC est plus affirmée dans les secteurs : informatique (89%), Telecom (72%) et activités financières et assurance (70%). Dans ces secteurs, la place du service est plus importante que l’activité de production comparée au secteur industriel. Cela s’explique aussi par le fait que les activités de service sont plus influencées par la dématérialisation des relations.

Signalons que la question de l’âge des applications TIC (ERP ou autres) dans les entreprises n’était pas abordée.  Nous supposons que la pénétration des TIC dans les entreprises marocaines est assez récente expliquant ainsi ces constats. Rappelons aussi que l’alignement signifie la mise en adéquation des décisions relatives aux TIC par rapport à la stratégie globale de la firme (et inversement, par un principe de feedback), que l’entreprise soit fortement, moyennement ou faiblement dotée en TIC. Aligner stratégiquement le SI ne se résume pas à aligner une seule solution progicielle, mais une combinaison d’éléments : la stratégie de l’entreprise, la stratégie TIC, les processus organisationnels et métiers et l’infrastructure TIC.

Par ailleurs, bien que les TIC soient plus présentes dans les GE que les PME-PMI, ce sont ces dernières qui pensent que l’investissement en TIC est utile et apporte un avantage concurrentiel. Par exemple, 67% des PME du secteur télécom sont tout à fait d’accord que l’usage des TIC leur permet de répondre mieux et plus rapidement aux exigences des donneurs d’ordre.  En revanche, seulement 20% des GE du même secteur déclarent avoir un avantage concurrentiel.  En mai 2003, Nicholas Carr publie dans le prestigieux journal Harvard Business Review un article provocateur intitulé «IT Does’nt Matter» (la TI n’a pas d’importance), qui a suscité un vif débat dans les milieux académique et professionnel. La thèse de Carr est simple : dans la mesure où les TIC deviennent une commodité et véhiculent des normes et des processus standards, elles ne peuvent plus être considérées comme un facteur stratégique différentiateur et surtout elles ne peuvent plus procurer un avantage concurrentiel. Sans tomber dans une logique de déterminisme technologique où les TIC déterminent tout et expliquent sans équivoque les performances atteintes, précisons bien que ce ne sont pas les investissements en TIC en tant que tels qui sont la source de différenciation vis-à-vis de la concurrence ; ce sont plutôt le modèle économique de l’entreprise et le degré d’adéquation de ces outils par rapport aux processus de fonctionnement intra et inter-firmes. Le lien entre TIC et avantage concurrentiel n’est pas un lien direct, mais les perceptions des managers peuvent expliquer ces conclusions souvent rapides.

En termes de collaboration et de communication entre la DG et la DSI (ou service informatique) d’une part, et la DSI et les directions métiers d’autre part, les ponts existent, mais l’intensité de ces relations n’est pas précisée. Cette indication, à développer dans d’autres études, est très intéressante car elle sera révélatrice du rôle et de la place du DSI comme acteur participant ou pas à la définition des orientations stratégiques.

Réorganisation des processus et changements dans les fonctions

Les travaux sur la relation entre les TI et l’organisation n’ont pas cessé de louer le potentiel grandissant des TI dans le déclenchement des processus de changement organisationnel. Ce constat est vérifié dans le cadre de cette enquête. L’adoption des TIC a conduit plusieurs entreprises à changer profondément leurs processus et leur organisation du travail. Ils confirment  ainsi les conclusions des recherches qui considèrent les TI comme un complément ou un préalable indispensable à toute transformation organisationnelle. Ceci se vérifie lorsqu’on constate que plus de la moitié  (64%) des entreprises ont procédé à une redéfinition de leur processus dans le cadre d’un projet TIC. Seuls 22% des répondants ne l’ont pas fait. Autre point marquant et surprenant,  77% des entreprises, aussi bien les PME-PMI que les GE, ont au préalable défini une vision organisationnelle cible lors de la mise en place des projets TIC. Les entreprises qui s’y sont prises  assez tôt et qui ont défini une vision d’organisation cible avant même la mise en place d’une solution TIC,  évoluent, pour leur part, dans les secteurs des télécoms, des services hors informatique et de l’informatique. Cette réflexion préalable est un pré-requis vu les choix structurants imposés par les TIC, surtout les ERP, et l’importance des périmètres organisationnels concernés. 

Deux dimensions du changement ont été analysées : l’ampleur du changement organisationnel dans les différentes fonctions ayant mis en place des projets TIC et la forme de ce changement (centralisation versus décentralisation de la décision).

Nous  avons constaté un changement organisationnel important au sein des services financiers ayant mis en place un module de comptabilité et de contrôle de gestion (84% et 81%).

Lorsque les changements ont concerné la prise de décision, ils se sont orientés très nettement vers la centralisation de la fonction comptable (53%), alors que les efforts de décentralisation de la décision étaient très faibles (20%).

Même constat concernant les fonctions gestion commerciale (80%) et achat (75%), les changements étaient significatifs. Ils s’inscrivent souvent dans une démarche globale d’homogénéisation des processus et d’amélioration de la maîtrise des relations avec des partenaires (fournisseurs et clients).

La certitude est désormais acquise, les TIC remplissent les fonctions de coordination entre les services. Pour 78% des entreprises de notre échantillon, l’utilisation des TIC a permis une meilleure coordination entre les différents services. Cette recrudescence de coordination est accompagnée par davantage de contrôle (64%), de responsabilisation (63%) et d’autonomie (58%) pour les utilisateurs des TIC. Les caractéristiques d’intégration, de traçabilité et d’interdépendance des TIC pourraient expliquer ces constats. Cette relative autonomie peut découler aussi de la facilité et de la rapidité d’accès à l’information par les utilisateurs, ce qui explique l’amélioration de leur niveau de réactivité (62%) qui réduit leur degré de dépendance vis-à-vis des autres.

Ces constats pourraient susciter plus de controverses que de consensus, mais ils restent tout de même exacts lorsqu’il s’agit des TIC. Ces dernières ont eu des effets paradoxaux cristallisés par des aspects aussi bien positifs que négatifs sur l’organisation et le travail de ses acteurs. Plusieurs travaux ont montré par exemple qu’elles ont renforcé d’un côté la souplesse de fonctionnement de l’organisation en la décloisonnant et en créant plus de transversalité, et de l’autre renouvelé la rigidité en introduisant des procédures centralisées et standardisées. La variabilité des effets organisationnels des TIC dépend étroitement du contexte organisationnel et social dans lequel évoluent ces technologies, des marges de liberté, des ressources et des contraintes liées à la technologie elle-même. Les faits des cas d’entreprises suggèrent que les conditions organisationnelles sont essentielles à l’orientation du potentiel offert par les TIC qui sont avant tout des technologies d’organisation. Et la technologie en elle-même sans adaptation de l’ensemble de l’entreprise n’est garante d’aucun succès d’autant qu’elle évolue plus vite que l’aptitude des entreprises à les assimiler.

Retour d’expériences d’entreprises internationales

Dans le cas de l’entreprise Air France, l’adoption de règles de gestion communes autour d’une base de données partagée SAP (adoption par exemple d’un plan comptable commun, etc.) a permis de réduire les délais de production des états de gestion et financiers (passés de 20 j après la clôture à 2 j avec l’ERP). Résultat, les premiers bénéficiaires de cette situation sont essentiellement les Directions Générales qui arrivent maintenant à avoir un meilleur contrôle de l’activité et la possibilité de réaliser des comparaisons de performances entre les différentes unités et filiales. Les différents responsables disposent également d’un ensemble d’indicateurs communs permettant de gérer efficacement l’évolution de leur activité. Le contrôle de gestion passe d’un état de vérification et de comparaison de «chiffres» à un état d’analyse de business et de proposition de solutions organisationnelles. L’ensemble des transactions et des opérations se déverse in fine dans les modules comptables et financiers qui se trouvent au bout de la chaîne d’intégration.
 
Le groupe Arcelor s’est engagé dans la refonte de son SI pour se doter d’un outil moderne permettant de fédérer son fonctionnement au sein d’un même réseau et d’assurer une bonne cohérence entre les activités commerciale et production. Arcelor était un des premiers groupes à installer le module «Configurateur» de SAP. Appelé également «gestionnaire d’article», le module configurateur, constitué d’une masse de règles de trans-modification, de simplification, de traduction des unités, de lecture de tables, etc., joue le rôle d’interface entre les commerciaux et les personnes situées dans les usines chargées de la production. C’est un relais qui enrichit les informations du début à travers la traduction dans SAP, du langage client au langage commun et de ce dernier au langage propre à l’usine. Avec SAP, Arcelor arrive à préciser en amont la marge dégagée  par chaque commande et plus encore pour chaque article d’une commande (coût de revient, le quoi et le comment, mais également de création automatique d’un article GPAO sans intervention humaine). Dans ce sens, Arcelor a réalisé des gains de productivité, surtout dans le choix des sites de production.
 
DSL, une filiale de production du Groupement «Les Mousquetaires» spécialisée dans la production de produits traiteur surgelés et frais (Pizzas gel classiques et feu de bois, crêpes surgelées, sandwichs
 
Club frais), a opté pour l’ERP Adonix X3. Le périmètre organisationnel concerné par l’intégration de X3 touchait la totalité des processus de l’entreprise à l’exception de la partie maintenance. En matière de traçabilité et de contrôle qualité, X3 a apporté plus de rigueur et de visibilité. La gestion des stocks par lot est maintenant verrouillée avec X3. DSL n’avait pas une vision des matières qui arrivaient à péremption.
 
Les responsables ont maintenant une vision plus juste des matières consommées. Les états sont édités deux semaines avant la fin de date de péremption. Plusieurs opérations sont traitées en temps réel telles que les entrées de stocks de matières premières, les sorties de produits finis et le contrôle qualité.
 
Attention, ces ERP provoquent des changements, mais ne débouchent pas toujours sur les effets escomptés. Certaines entreprises ont eu, par exemple, la désagréable surprise de constater la mauvaise qualité des données saisies, la sous-utilisation des fonctionnalités de l’ERP, la baisse de productivité de leurs employés et/ou une mauvaise appropriation des logiques processus. Leur implantation, semée d’embûches, nécessite des mises à plat des processus, des suivis de reconstructions organisationnelles, des formations, etc. L’atteinte de ces performances est conditionnée par la maîtrise de plusieurs facteurs organisationnel et technique.
 

Open source : statut d’option ou axe stratégique ?

Le monde OS n’est pas encore compris par toutes les entreprises. Il demeure en effet trop souvent synonyme de prises de risque. La méfiance vis-à-vis de la culture OS et le manque de maturité des besoins, voire même une offre mal adaptée aux besoins locaux, sont autant de contraintes freinant une pénétration assidue de ces outils dans les entreprises marocaines. Présenté comme une alternative aux applications propriétaires, l’OS présente des caractéristiques et des fonctionnalités qui s’adaptent aux contraintes financières et économiques d’une grande majorité de nos PME-PMI. Plusieurs enquêtes ont montré la maturité de l’offre applicative en OS de type ERP (TinyERP, Compiere et OpenERP disposent déjà d’une reconnaissance internationale), CRM et décisionnelle qui ne cesse d’augmenter sa part de marché, même si elle est encore petite. Le monde applicatif OS n’est donc pas un épouvantail agité par quelques développeurs, mais bien une vague de fond dont il est important de prendre conscience et de s’y intéresser. Actuellement, des acteurs tels que l’Ausim et la CGEM ont un rôle important d’éducation et de sensibilisation des dirigeants et des acteurs SI dans les PME-PMI pour faire passer l’OS d’un statut d’option à celui d’axe stratégique du SI. Le modèle OS ne constitue pas un mirage à la pérennité douteuse. Qu’on le veuille ou non, il est en marche et n’est pas prêt de s’arrêter. Il est potentiellement capable de remettre en question le modèle économique classique des éditeurs propriétaires.
 

SI et les compétences exigées

Le développement des TIC dans les entreprises confère à cette question une importance et une acuité croissante. En effet, les TIC peuvent avoir des effets ambivalents d’intégration ou d’exclusion des utilisateurs qui ne s’adaptent pas au changement et sont moins enclins à intégrer les TIC dans leur travail au quotidien.

Dans cette enquête, nous avons essayé de distinguer les nouvelles compétences exigées pour l’utilisation des TIC à la fois pour les managers et les utilisateurs. Le passage à un nouveau système exige une évolution de profils et l’acquisition de nouvelles compétences. Cependant, les compétences exigées sont différentes selon le profil des acteurs. Par exemple, pour les managers certaines compétences spécifiques telles que les capacités de traitement de l’information (85%), de prise de décision (81%) et de prise d’initiative (70%) semblent être importantes et doivent être renforcées.

Plusieurs études ont montré que les TIC impactent de façon spécifique certains types d’activités, en particulier celles liées au traitement de l’information, à la prise de décision ou à la communication. Par conséquent, les managers intermédiaires ont vu leurs activités profondément modifiées du fait de l’intégration des TIC (ERP, CRM, outils collaboratifs, e-mail). Les TIC impliquent en effet pour de nombreux cadres de faire évoluer leurs tâches managériales surtout les activités de traitement de l’information (rechercher, classer et trier l’information, partager et diffuser l’information) et les modes de prise de décision (être capable de déceler les erreurs, d’interpréter les informations fournies par les SI, de prendre des décisions rapidement, d’appliquer les procédures ou non, etc.).

Pour les utilisateurs, c’est une autre série de compétences qui apparaît comme importantes. Ce sont plutôt des compétences d’adaptation aux nouvelles conditions de travail (73%), de traitement de l’information (70%) et de réactivité (68%) qui sont les plus citées.

Ceci nous paraît logique car l’informatisation des entreprises a profondément modifié la façon de travailler des salariés. Ces derniers doivent dans un premier temps s’adapter aux nouvelles règles et pratiques de gestion tout en apprenant à maîtriser les nouveaux outils et les données qui en découlent. La réactivité s’explique en partie par l’existence des systèmes intégrés de type ERP qui exigent une disponibilité rapide des données en temps réel afin de traiter les différents processus de l’entreprise. Précisons enfin que les salariés ont davantage pointé le besoin de nouvelles compétences en termes de rigueur. Cette exigence n’est pas anodine quand on sait que les niveaux de formalisation et d’interdépendances sont de plus en plus importants avec les TIC. En revanche, comme on peut le constater,

la nécessité d’être créatif est globalement moins ressentie par les utilisateurs et les managers. Elle a tendance à s’effacer au profit de la rigueur et de plus de procédures.

Ces différents résultats sur les compétences exigées dans un environnement TIC soulignent l’importance des dispositifs d’accompagnement en termes de formation et d’apprentissage des utilisateurs dans un environnement TIC en évolution permanente. Cependant, les solutions ne peuvent se limiter à un aspect strictement individuel, elles doivent aussi intégrer une véritable réflexion collective sur les modes d’organisation. L’avènement des centres de compétences SI comme structure d’appui et d’accompagnement dans le paysage professionnel est une piste sérieuse que les entreprises marocaines doivent étudier pour faire face aux défis futurs : ceux de la connaissance et de la compétence.

Pourquoi les projets ratent leurs objectifs ?

Les projets TIC, beaucoup en sont satisfaits, d’autres moins, et certains en cauchemardent encore. L’étude menée par IBM en 2008 auprès de 1 500 responsables de la conduite du changement dans 15 pays, révèle que 60% des projets TIC menés par une entreprise n’aboutissent pas aux résultats escomptés. Un constat qui confirme celui énoncé par d’autres études, académique et professionnelle, qui ont mis en évidence les facteurs critiques à gérer pour assurer la réussite d’un projet TIC. Selon le cabinet d’études Gartner (2009), les écueils à l’origine de ces échecs sont multiples ; mais on peut retenir une liste non exhaustive de facteurs critiques :
 
Attention, ces facteurs ne sont pas concentrés en une seule étape, ils sont identifiés à différentes phases par lesquelles passent les TIC. Ces facteurs n’agissent pas toujours simultanément dans la mesure où ils interviennent à des périodes différentes.
 

Conclusion

Cette étude est une contribution à une meilleure compréhension de la dynamique des TIC et son rapport à l’organisation. Elle nous a permis de donner une photographie et un état des lieux sur la place qu’occupent les TIC au sein des entreprises marocaines. Les résultats contribuent ainsi à préciser le degré de pénétration des TIC et d’évaluer leur usage et impact stratégique et organisationnel. Cette étude met clairement en évidence la progression du degré d’informatisation des entreprises marocaines. Comparée aux chiffres publiés en 1999 par le ministère du Commerce et de l’Industrie qui montraient un taux de pénétration des TIC de 43%, cette étude affiche un taux beaucoup plus réconfortant de 96%. Cette généralisation des TIC reste tout de même marquée par des niveaux de disparités fonctionnels et par secteur d’activité. Leur présence semble néanmoins perdurer. Mais, cela ne doit pas pour autant cacher les grandes difficultés et contraintes à manager.

Tout au long de cette étude, la question de mise en œuvre des TIC dans les entreprises et de son impact est apparue centrale pour les acteurs des entreprises, d’autant qu’il n’existe pas de chiffres et de retour d’expérience suffisamment complet des entreprises utilisatrices de ce type de technologies. Sans chercher à donner des outils prédictifs ou fournir une méthodologie d’intervention à vocation universelle, ce qui serait un exercice hasardeux dans des contextes différents et de plus en plus volatiles, notre travail a le mérite de fournir aux dirigeants, managers et acteurs participants à des projets TIC, un certain nombre d’éléments d’analyse utiles et les moyens d’améliorer leurs interventions et actions futures au sein de leurs organisations.

Il convient par ailleurs de mentionner certaines limites inhérentes à toute étude quantitative. Tout d’abord, les données collectées par questionnaire relèvent des déclarations des entreprises et peuvent être biaisées par différents facteurs liés à la perception des problématiques traitées et à la nature du secteur et contexte spécifique du répondant.  Ensuite, bien que le nombre d’entreprises dans notre échantillon soit réduit (299), nous pouvons le considérer suffisant car le terrain est difficilement accessible. Nous avons essayé de couvrir un champ assez large de secteurs d’activités avec des entreprises principalement privées de tailles différentes. Enfin, d’après les restitutions des deux focus groupe, l’étude aurait été plus exhaustive si, en plus d’une analyse du caractère stratégique et organisationnel et de l’impact des TIC sur la flexibilité des entreprises, nous avions abordé la question de la gouvernance des SI et l’utilisation des standards CobiT dans le cadre de la mise en conformité vis-à-vis de Sarbanes Oxley. 

La question de mise en œuvre des TIC dans les entreprises et de son impact est donc loin d’être épuisée. Elle appelle des approfondissements sur différents points car elle représente inéluctablement un intérêt certain pour les managers et les chercheurs en raison du développement de ces outils et de leur adoption par un nombre croissant d’entreprises marocaines.