La dynamique de l'industrie automobile turque

La dynamique de l'industrie automobile turque

C’est à partir des années 1950-1960 que l’industrie turque se développe en prenant appui à la fois sur les activités industrielles qui gravitent autour de la sidérurgie - laquelle entraîne dans son sillage l’essor et le développement, entre autres, des industries mécaniques, de la chimie lourde et des matières plastiques -, et sur la formation et l’évolution de conglomérats turcs (Sadanci, Koç, Zorlu, Dogus…) qui vont élargir leur portefeuille d’activités en y intégrant la production d’équipements automobiles ainsi que l’assemblage de véhicules particuliers et utilitaires.

C’est dans ce contexte que, vers 1954, l’industrie automobile turque voit le jour grâce au montage de véhicules militaires et, ensuite, à l’assemblage de véhicules industriels. La création en 1966 de la société Otosan1, puis Tofas au début des années 1970, s’inscrit dans le cadre d’un «dirigisme subtil» orchestré par l’Etat qui met en place un partenariat entre les industriels et les milieux financiers afin de drainer l’épargne vers des secteurs ciblés. Dans la foulée, un système d’autorisation administrative de production ouvre aux entreprises privées, y compris étrangères, la possibilité de pénétrer quelques secteurs, mais dans certaines limites, comme c’est le cas de la production sous licence de modèles de Fiat et Renault au courant des années 1970. La signature, en 1996, d’un accord de libre-échange avec l’UE va donner un nouveau souffle à l’industrie automobile turque dans la mesure où ce pays va bénéficier du redéploiement des constructeurs et équipementiers européens et américains vers l’est du Vieux Continent. Par mimétisme, des acteurs asiatiques leur emboîtent le pas, comme c’est le cas de Toyota. L’ouverture qui s’ensuit se fera de concert entre les acteurs précités, le temps de laisser aux conglomérats turcs assez de marge de manœuvre pour se recentrer sur les métiers dans lesquels ils sont compétitifs, de cibler les transferts de technologie et de donner un coup de pouce à la consolidation du tissu industriel composé principalement de PME.

L’accès aux licences a permis ainsi à différents acteurs locaux de nouer des joint-ventures avec des acteurs étrangers2. Aussi, l’une des particularités de l’industrie automobile turque est que le partenariat préexistant avec les groupes financiers et industriels locaux a été maintenu au sein de structures de joint-ventures dans lesquelles les groupes internationaux détiennent une faible majorité3. Il s’agit donc d’un contrôle affaibli qui permet aux acteurs locaux de bénéficier de transferts de technologie.

Cette ouverture a autorisé également l’implantation d’équipementiers internationaux (Delphi, Lear, Lucas, Bosch, Valeo, etc.) dont les activités productives se répartissent comme suit : systèmes de freinage, systèmes complets de motorisation, pièces plastiques, accumulateurs… La production de ces équipementiers irrigue pour l’essentiel les usines locales (filière intégrée) et est en partie exportée vers l’UE. Cette forte intégration de la filière automobile en Turquie se concrétise au plan géographique par une forte polarisation des acteurs autour :

d’une part, de la ville de Bursa (Fiat, Renault, Peugeot) ; d’autre part à l’est d’Istanbul, sur les bords du Golfe d’Izmit (Ford, Toyota, Honda, Hyundai). Quant à la ville de Gebze, elle est en train de prendre de l’importance grâce à la dynamique institutionnelle déclenchée par l’Association turque des équipementiers et la mise en place d’une nouvelle zone industrielle, baptisée TOBS, dédiée aux activités productives liées à l’automobile.

Le dynamisme de l’industrie automobile turque se mesure à l‘aune de l’évolution du marché domestique et de l’ampleur des exportations. D’une part, le marché turc enregistre une croissance de la demande relativement soutenue d’une population encore sous-équipée : au milieu de la dernière décennie, on estimait un taux de motorisation proche de 85 véhicules pour mille habitants. Ce marché dépassait à l’époque ceux de la Hollande et de la Belgique avec plus de 700 000 immatriculations de véhicules neufs. Mais, cette croissance tendancielle reste sensible à la conjoncture et son corollaire, à savoir de fortes fluctuations conjoncturelles4.

Bref, on estime actuellement que les capacités des usines localisées en Turquie dépassent un million d’unités, dont une partie est réservée aux exportations.

D’autre part, les données statistiques montrent suffisamment que les exportations concernent en premier chef les produits assemblés (voitures particulières et utilitaires) : 73,5% de l’ensemble des exportations en 2009. Celles qui concernent les composants arrivent donc en second rang : 10,8% pour le câblage pour la même année. Globalement, les exportations des véhicules particuliers et utilitaires visent un premier temps quelques pays de l’UE (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Espagne)5. A cet égard, il faut souligner une spécificité des activités d’assemblage turques, en ce sens que les usines localisées en Turquie possèdent l’exclusivité de la production de certains modèles destinés à l’Europe. Il s’agit, par exemple, de tricorps et/ou break de modèles bicorps largement diffusés dans l’UE (Megane Break, Megane II, Clio III…). Par la suite, le spectre des exportations s’est élargi en s’attaquant à des marchés plus diversifiés aimantés par une demande en phase d’équipements automobile allant du Moyen-Orient au Maroc sans omettre de nouveaux pays adhérents à l’UE et la Russie. Depuis quelques années, on assiste également à une multiplication des modèles6.

Au total, avec presque 500 000 salariés, plus de 1 000 entreprises, 31 zones industrielles spécialisées, l’industrie automobile turque affiche un dynamisme sans précédent au point que ce pays est devenu un centre de production à vocation internationale. De par sa situation géographique et les potentialités qu‘elle recèle, la Turquie est devenue ainsi au fil du temps un acteur très actif. Certes, il ne faut pas grossir le trait. L’industrie automobile turque n’est pas à l’abri de bémols. En outre, les crises de 2001 et de 2008 ont fortement perturbé les activités industrielles dédiées à cette industrie ainsi que les exportations. En 2009, ces dernières ont chuté de 32,6%. Cependant, quelques indices montrent que l’industrie automobile turque «tient la route» comme l’atteste, par exemple, l’annonce de la production de la Renault Fluence électrique, à partir de la mi-2011, à Bursa.

 

1 Laquelle a mis sur le marché une marque turque baptisée Anadol. Cependant le lancement de ce véhicule s’était soldé par un échec

2 Les joint-ventures sont frappés par le sceau de «gagnant-gagnant». D’un côté, l’un des partenaires bénéficie de transferts de technologie, d’innovations organisationnelles et managériales… D’un autre côté, l’autre partenaire se familiarise dans des délais rapides avec l’environnement local en accédant aux ressources financières nécessaires, aux circuits de distribution… Ce type de partenariat permet aussi de partager des risques inhérents aux investissements irrécouvrables

3 Au milieu de la dernière décennie, Renault détenait 51% dans Oyak-Renault, 42% pour Ford chez Otosan, 41,5% pour Fiat dans Tofas

4 En 1993, il se vendait déjà plus de 440 000 voitures particulières, chiffre laminé par les récessions de 1994 et de 1998. La reprise en 2000

(467 000 unités vendues) a été suivie par une chute de 80% au cours des deux années suivantes (90 000 unités vendues en 2002), suivi d’un retour à l’étiage de 450 000 unités en 2004, soit une multiplication par cinq. En 2005, la production totale avoisinait 880 500 unités, contre 870 000 en 2009

5 Ces échanges ont été multipliés par 20 entre 1993 et 2003

6 Oyak-Renault : Mégane Sedan, Clio Symbol Sedan… ; Tofas-Fiat : Doblo, Palio Ambea… ; Otosan-Ford : Transit, Transit Connect