Budget : Les institutions et les incertitudes

Budget : Les institutions et les incertitudes

Ce qui s’est passé dans le monde depuis 2008 pour faire face à la crise financière, devenue économique et globale par la suite, est riche en enseignements. Les Américains et les Européens n’ont pas agi de la même façon et n’ont pas eu recours aux mêmes instruments de politique économique, les différences entre les institutions étaient déterminantes dans les choix qui ont été faits çà et là et des résultats de ces choix. Si les USA ont pu utiliser la politique monétaire (Quantitative Easy) pour soutenir leur système bancaire et redynamiser le marché financier de façon simultanée avec l’utilisation des instruments de la politique budgétaire, renouant ainsi avec leur tradition keynésienne − et le Royaume-Uni a agi de la même façon ou presque, profitant de sa non-appartenance à la politique monétaire européenne commune et de la flexibilité de ses institutions −, les pays européens membres de la zone euro, quant à eux,  se sont trouvés face au mur des limites institutionnelles imposées par la politique monétaire commune gérée en toute indépendance par la Banque Centrale Européenne (BCE).

Enseignements extérieurs sur le couple monétaire-budgétaire

Cette situation de décentralisation de la politique budgétaire et de centralisation de la politique monétaire a rendu les deux politiques contradictoires au point de produire un blocage de la politique économique et de la rendre inefficace, sachant que les choix budgétaires sont keynésiens et que la politique monétaire est foncièrement monétariste. Ce blocage a amené au passage ce que l’on sait de la crise bancaire et financière entraînant la crise des dettes souveraines qui a limité, en fin de compte, la possibilité d’utiliser les instruments de la politique budgétaire, principalement le levier des dépenses en vue de soutenir la demande1. Les avertissements lancés par P. Kugman et J. Stieglitz, et d’autres économistes de renommée internationale, n’ont été entendu que tardivement et de façon partielle par Mario Draghi, directeur de la BCE, qui a finalement accepté le refinancement des dettes souveraines de la Grèce et des autres pays de l’Europe en difficulté, malgré la résistance « idéologique » de la Banque centrale allemande et du FMI qui a reconnu ses erreurs.

Au Maroc, qui est à un stade de développement différent et ne disposant pas de rente extractive rapportant des recettes en devises à la hauteur de ses besoins, la politique budgétaire reste l’instrument principal pour mener une politique économique ; l’utilisation des instruments de la politique monétaire est limitée par des entrées insuffisantes de devises et les déficits extérieurs qui imposent une gestion prudente de la politique monétaire pour maintenir le taux de change de la monnaie nationale et contenir l’inflation.

L’utilisation de la politique budgétaire se heurte non seulement à l’ obstacle des limites de la politique monétaire, accentuées par les nouveaux statuts de la BKAM (Bank Al Maghrib) similaires à ceux du BCE, mais aussi à celui des recettes budgétaires qui n’évoluent pas de façon à avoir une visibilité à court et moyen termes permettant de programmer ou planifier sur la base de données pertinentes des choix crédibles et exécutables.  Les facteurs, tels que la volatilité et la vulnérabilité de la croissance et son exposition de façon continue aux chocs endogènes et exogènes (mettent à mal le discours exagéré sur sa résilience), l’ampleur du secteur informel et de la fraude fiscale, les dépenses fiscales qui sont en fait des rentes sans contrepartie dans la plupart des cas2, les transferts au secteur public qui subventionnent la mauvaise gestion et le gaspillage, la corruption et le népotisme… limitent la possibilité de compter sur les stabilisateurs automatiques.

Politique discrétionnaire et logique pluriannuelle

C’est cette réalité qui impose une politique discrétionnaire non seulement en période de crise de l’économie domestique ou mondiale mais également en période de croissance. L’instrument budgétaire doit agir non seulement pour effectuer les réglages conjoncturels mais aussi pour permettre de créer les richesses, favoriser le développement économique et social et permettre aux structures de l’économie d’évoluer vers une vraie résilience face aux chocs répétitifs. S’il est connu que les mesures budgétaires ne produisent pas leurs effets immédiatement (ce qui a constitué un argument des monétaristes contre toute intervention de l’État), leur utilisation dans un pays en retard ne doit pas se limiter à des objectifs de réglage conjoncturel parce que cette utilisation peut mener à un moindre activisme budgétaire et se révéler sans efficacité. L’inefficience accompagne aussi ces lacunes, du fait de la difficulté de ciblage, en plus du risque d’irréversibilité, surtout si l’on part du fait que l’économie marocaine est dominée par les rentes (sachant que les rentiers sont prêts à capturer et à détourner les décisions de politique économique) et que toute tentative de relance de la demande finit par creuser les déficits extérieurs à cause de la faible compétitivité des produits marocains.

Toute politique budgétaire discrétionnaire dans un pays comme le Maroc doit, pour que son activisme ne soit pas neutralisé ou faible, prendre en considération non seulement l’élément temporel mais également les liens à tisser entre l’action conjoncturelle et les réformes structurelles, et s’inscrire dans un horizon temporel qui dépasse les limites du budget annuel, sans pour autant négliger son rôle. Ce passage du court au moyen terme, et même le long terme, pour inscrire la politique budgétaire dans un processus de mise à niveau de l’économie et de répondre aux besoins des populations en revenus et en services publics, c’est-à-dire, dans une optique de réformes structurelles et de stratégie d’émergence, incite à introduire des réformes institutionnelles profondes. Une programmation budgétaire pluriannuelle est plus adaptée qu’un budget annuel, pour mener une politique discrétionnaire visant à mettre en œuvre un programme de réformes structurelles en l’absence de plan de développement économique.

Cette programmation permet non seulement de disposer d’objectifs clairs et de visibilité pour les gestionnaires pour pouvoir étaler leurs programmes et actions en tenant compte de l’horizon temporel, mais aussi de revoir la copie et d’introduire les changements indispensables, au temps opportun pour aller de l’avant et réussir tout en respectant les règles de transparence. Ce genre de programmation est le plus adapté à une coordination qui vise à s’assurer de la convergence et la complémentarité des programmes sectoriels et les actions qui en découlent, mais également à l’évaluation et au contrôle démocratique pratiqué par le parlement. De plus, le cadre institutionnel en vigueur n’est pas adapté pour une telle politique, la loi organique de la loi de finances de 1998 est conçue, comme sa précédente la loi organique des finances de 1972, pour une politique budgétaire annuelle se limitant à des objectifs à court terme ;pire, à une consommation des budgets sans se soucier des résultats.

Les faibles maillons de la coordination

Le passage d’une gestion basée sur la consommation des budgets alloués aux différentes administrations à une gestion axée sur les résultats depuis 2002 est resté au stade de l’expérimentation sans aller vers les réformes institutionnelles et réglementaires indispensables pour le cadrer. Les cadres de dépenses à moyen terme (CDMT) et (CDMT agrégé) figurent parmi les nouveautés introduites dans le cadre de cette gestion. Cette programmation budgétaire pluriannuelle et glissante, qui conserve à la loi de finances son caractère impératif, ne peut pas réussir si les administrations ou les ministères ne disposent pas de programmes stratégiques et si la concentration administrative n’est pas effective. Mais plus encore, le gouvernement ne dispose pas d’une vision et d’un cadre institutionnel approprié pour coordonner la politique budgétaire.

Ce qui a manqué jusqu’à présent, ce sont des programmes stratégiques bien ficelés, avec des objectifs clairs, quantifiables et aptes à être insérés dans une programmation budgétaire pluriannuelle. Ce qui a manqué également relève de la réforme institutionnelle et réglementaire, tant attendue. La refonte de la loi organique de la loi des finances a tardé à arriver à son terme pour donner aux pratiques en vigueur la légitimité indispensable et les rendre obligatoires. Ce retard, ajouté à celui de la mise en place d’une loi sur la déconcentration, a laissé un vide qui n’a pas facilité l’opérationnalisation à tous les niveaux de la logique de la gestion axée sur les résultats. Il n’a pas permis non plus de coordonner la politique budgétaire de façon à finir avec les îlots ministériels et administratifs et permettre une convergence des politiques publiques et de les réguler.

La coordination budgétaire, malgré l’introduction d’une certaine flexibilité et l’annulation de l’ex-CED, reste traditionnelle dans l’ensemble. La faiblesse de la primature, héritée par le chef du gouvernement après la révision constitutionnelle, est un élément déterminant de l’état de la coordination budgétaire, ou plutôt de sa faiblesse, car le chef du gouvernement, comme le Premier ministre auparavant, a la responsabilité première dans l’élaboration et la coordination de la politique budgétaire, qui représente le principal instrument pour l’action gouvernementale. Cette faiblesse, qui pose un problème institutionnel et politique, explique beaucoup de blocages actuels au niveau budgétaire et à d’autres niveaux. L’arbitrage du chef du gouvernement au moment de la préparation des projets des lois de finance n’est qu’une formalité de la coordination budgétaire, déterminée plutôt par le ministère des Finances, ce qui constitue un aspect très réducteur de la coordination.

L’activisme budgétaire faible, reflété par l’impact réduit des budgets alloués à l’investissement ces dernières années sur la croissance, et le déficit budgétaire qui ne cesse de s’aggraver,  les performances de certaines stratégies sectorielles ou sociales qui ont bénéficié de subventions budgétaires (telles le Plan Maroc Vert, Émergence ou l’INDH), prouvent que la coordination de la politique budgétaire reste en deçà de ce qui doit être fait pour de meilleurs résultats. Ni l’administration, ni les individus n’ont réagi de façon à permettre à l’économie marocaine de s’insérer dans les changements en cours dans un monde en constante mutation.

 

Les drames grecs, espagnols et italiens trouvant leur explication en grande partie dans cette impossibilité d’utiliser, simultanément, les instruments la politique budgétaire et de la politique monétaire, et donc de ne pas pouvoir mener une politique contra-cyclique keynésienne.

À commencer par la grande agriculture qui ne paie aucun denier à l’État depuis 1984 et les avantages octroyés aux promoteurs immobiliers, les subventions qui sont octroyées à ceux qui bénéficient des avantages fiscaux et non ceux destinés à la subvention de quelques produits de première nécessité.