Trésor: le directeur est une femme

Trésor: le directeur est une femme

Le parcours de Faouzia Zaaboul débute à Tanger où elle suit ses études au lycée français et grandit dans un environnement confiant envers les femmes : «Mes parents nous ont poussés, mon frère comme moi, à poursuivre des études et à être indépendants», témoigne-t-elle. Son bac philo en poche, elle obtient sa licence en Sciences économiques en 1980, puis, alors qu’elle travaille au ministère de l’Habitat, elle obtient en 1983 et 1984 les deux certificats d’études supérieures qui lui permettent aujourd’hui de préparer un MBA. Alors qu’elle rêve de philosophie et d’écriture, des amis l’incitent à passer le concours de l’Inspection Générale des Finances. C’est à l’époque un domaine très masculin, avec au maximum une femme par promotion1; une présence féminine qui suscite des réactions de surprise, en particulier lors des déplacements en province. En 1990, après deux années de formation et un concours de sortie, elle est affectée à la Direction du Trésor comme cadre à la division des crédits.

Au Trésor, elle trouve enfin un environnement de travail qui lui convient, «une direction aux problématiques en perpétuel renouvellement et moins de formalisme». Ses initiatives personnelles encouragées par sa direction et ses compétences lui permettent de gravir tous les échelons et de connaître ainsi tous les secteurs. Pourtant, elle souffre à chaque changement : «Les premiers mois s’apparentent plus à du bizutage, il faut beaucoup lire, apprendre avant de pouvoir devenir réellement opérationnel et c’est précisément là où il faut à nouveau changer !».  Le changement le plus difficile a lieu en 1994. Chef de service des financements bilatéraux depuis six ans, elle est mutée au même grade, sans promotion, au nouveau service du développement des instruments financiers. Elle démarre sans bureau ni collègues, dans un domaine nouveau pour elle et ce, à la veille des réformes des marchés des capitaux. Comme à l’accoutumée, elle se documente et lit beaucoup. «Lors de mes voyages à Paris, alors que les autres achetaient des vêtements, j’achetais des livres», se rappelle-t-elle. Sa capacité à relever ce challenge la propulse dix-huit mois plus tard à la direction de la division des marchés de capitaux où elle va rester huit ans. En 2007, nouveau «revirement à 90°» et nouveau métier : elle est nommée adjoint du directeur du Trésor au pôle macro-économique.  Si, alors qu’elle est  «paumée pendant six mois», elle vit cette nomination «non pas comme une promotion mais comme une punition», sa ténacité et sa volonté d’apprendre et de comprendre lui permettent une nouvelle fois de s’adapter.

En juin 2010, elle est nommée directeur du Trésor. «Il a fallu beaucoup de courage pour me nommer à ce poste», commente-t-elle sobrement. Cette déclaration, si elle a de quoi surprendre, reflète pourtant bien sa réaction.

De fait, le poste de directeur du Trésor est toujours pourvu en interne car il nécessite une veille quotidienne et une familiarité immédiate avec les enjeux et les problématiques. Mais jusqu’alors, ce poste avait toujours été occupé par des hommes. Cette nomination a lieu en même temps qu’une dizaine d’autres. Si le contexte pouvait lui être favorable2, elle n’apparait pourtant pas comme une nomination «alibi». «J’étais parmi les mieux placés en termes d’ancienneté et d’expérience. Ce qui n’était pas normal, c’est que j’étais une femme», analyse-t-elle. Cette nomination en surprend plus d’un. Et ce d’autant plus que mi-2010, le Trésor prépare une sortie déterminante sur les marchés internationaux par l’émission d’un emprunt obligataire… dans un contexte de crise financière internationale. Pour réussir cette sortie, dès sa première semaine, Faouzia Zaaboul réorganise sa direction. Elle crée tout d’abord un pôle «dette» regroupant les différents services de dettes pour arbitrer et  veiller quotidiennement sur les marchés financiers internationaux. Une fenêtre de sortie est identifiée fin septembre 2010, et un emprunt d’un milliard d’euros est émis. En parallèle et

tambour battant, elle change le fonctionnement interne de sa direction. Elle crée un pôle systèmes d’information pour intégrer les applications utilisées dans les différents services, qui fonctionnaient toutes de manière autonome, et pour piloter la nouvelle stratégie de financement mise en œuvre aujourd’hui. Mais le mode de management change aussi, devenant moins patriarcal et plus consensuel, un trait commun à de nombreuses dirigeantes. Comme elle déclare «ne pas supporter la hiérarchie tatillonne», Faouzia Zaaboul délègue énormément. Mais délégation et partage ne signifient pas laxisme, et elle se déclare «intransigeante sur le reporting, le réel problème en amont comme en aval  [étant] le défaut d’information».

Même si son père serait «surpris de la découvrir fonctionnaire aujourd’hui», elle a suivi ses enseignements et protégé son indépendance. Bien qu’elle ne soit membre d’aucun réseau féminin, elle contribue à sa manière à l’évolution «lente mais positive de la situation des femmes au travail», convaincue que le plus important est d’être au niveau. Elle cherche à «rendre visibles certaines compétences détenues par des femmes et qui restent trop souvent dans l’ombre». Mais elle reste fidèle à la règle qui a présidé toute sa carrière : «Pour la promotion, homme ou femme, c’est une question de compétences».

 

1 Les résultats du concours 2010 sont : 4 femmes sur les 11 candidats admis

2 Contexte incitant à la promotion des femmes tel que le programme 2011-2014 de promotion de la participation des femmes à la vie économique