Synthèse de l’étude de la CGEM: L’informel d’après le patronat marocain

Synthèse de l’étude de la CGEM: L’informel d’après le patronat marocain

Auteur : CGEM

Le  rapport de la CGEM  sur l’économie informelle  coïncidait  initialement avec un programme de coopération  internationale .Celui- ci mettait en relation d’une part le patronat et les syndicats danois, d’autre part  la CGEM et les quatre syndicats marocains les plus représentatifs (UMT-UNTM-CDT-UGTM). Les résultats devaient être rendus publics simultanément dès la fin 2016,  et ambitionnaient d’être le point de départ d’une plateforme nationale  sur la question très importante et particulièrement sensible  de l’économie informelle au Maroc,  impliquant tous les partenaires sociaux,  dans le cadre du dialogue social.

L’informel, au-delà des  rituels

 Par souci d’équilibre la question de l’informel avait  été placée dans ce programme en étroite relation avec l’impératif du travail décent,  référence désormais incontournable  pour  le BIT et la communauté internationale,  dans le traitement de l’économie informelle.  Ce Choix  est assez compliqué  dans le cas marocain, car avec des  préoccupations divergentes au niveau des principales parties  y a-t-il potentiellement la possibilité d’un terrain  pour une quelconque convergence ? Aujourd’hui,  le pays affronte un paradoxe, les centrales syndicales marocaines mettent en exergue la détérioration réelle et continue des conditions et relations de travail au Maroc  dans le secteur organisé. Le patronat marocain pour sa part estime que « des fleurons de l’industrie marocaine disparaissent du paysage, faute de rentabilité et de compétitivité ou à cause de la concurrence déloyale et consécutive de l’informel ». Autre Fait inquiétant sous jacent, «  de plus en plus d’entreprises  glissent du secteur formel vers l’informel ».Avec ces deux préoccupations théoriquement différentes, il fallait trouver des points de rencontre pour rendre possible un dialogue et des négociations. Cela n(a pas eu lieu. Par contre, le défi  lancé par ce programme de coopération a eu peut être pour conséquence de réussir  une meilleure conscience des enjeux du travail et de l’entreprise au Maroc pour les deux principaux acteurs du monde salarial.

Les syndicats ont présenté leur étude réalisée par une équipe d’experts marocains  dès l’été 2016 ; la CGEM a présenté la sienne un an après séparément  .Rendue publique en automne 2017, elle comporte les principaux éléments rapportés dans cette synthèse. Elle a été  menée suite à un appel à manifestation d’Intérêt auquel  sept  cabinets de Conseil ont soumissionné. Le Cabinet Roland Berger fut sélectionné pour sa réalisation sous la supervision d’un comité de pilotage représentant les principaux secteurs de la CGEM et ses Commissions concernées par l’informel.

Révélations partielles de l’étude

L’étude s’est déroulée en trois phases. Dans un premier temps, elle s’est penchée sur la caractérisation du secteur informel et ses impacts sur la compétitivité des entreprises marocaines. Dans un deuxième temps, un benchmark a été mené avec des pays ayant suivi une stratégie réussie d'intégration du secteur informel.

Enfin, la dernière phase de l’étude consistait à proposer des mesures et solutions concrètes et applicables pour accompagner et intégrer les acteurs du secteur informel. Ces propositions de mesures ont été partagées avec les principales parties prenantes : HCP, Direction Générale des Impôts, Administration des Douanes et Impôts Indirects, Bank Al Maghrib, le Ministère de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Economie Numérique et le Ministère de l’Intérieur

Le document rendu public  par la CGEM s’intéresse en réalité à la seule question de l’impact du secteur informel sur la compétitivité des entreprises relevant de l’économie organisée,  et donc déjà dès la question  de la définition se trouve en porte à faux par rapport à définition du HCP ou de l’OIT.

L’étude affirme  avoir fondé ses conclusions sur des entretiens impliquant toutes les parties prenantes dont notamment «une  Enquête terrain ciblée auprès de plus de 100 acteurs de l'Informel, positionnés sur différents maillons de la chaîne de valeur et issus de différents secteurs (Commerce, Textile, Cuir, Agro-alimentaire, BTP, Transports et Logistiques, Equipements électroniques, Réparation Automobile, …) »

L’étude évoque ensuite l’économie informelle comme étant la manifestation de trois cercles de production différents : activités exercées par des UPI réalisant une production marchande hors du secteur primaire, activités productives qui génèrent des biens et des services interdits par la loi ou ne bénéficiant pas d’autorisations requises (contrebande, contrefaçon, ..), Activités productives et légales mais délibérément soustraites à la loi (travail au noir, sous facturation, ..)

Une juteuse recette fiscale ratée par l’Etat !

Cette économie constituerait selon les auteurs de l’étude à un manque à gagner pour la recette fiscale de 30 milliards de dirhams, d’une valeur ajoutée de 140 MMDH, correspondant à  un PIB de 170 MMDH soit 21% du PIB national hors secteur primaire.

En termes d’importations  elle correspondrait à 40 MMDH d’importations soit 10 % environ du volume global des importations marocaines sur l’année 2014.

L’économie informelle impacte le secteur du commerce et de réparation constituant 63% de ses activités, plus de la moitié du secteur textile et cuir (54%) ; quasiment le tiers des activités du BTP et des transports le quart des activités industrielles de l’agroalimentaire,…

Côté emploi, le total des populations occupées en 2014 était de 10 632 000 , la répartition des actifs occupés hors secteur primaire fait qu’ils étaient 6 432 000 actifs  dont 2.659 000 dans l’informel  soit 41% du total des occupés. Si l’on croit cette analyse, cette masse de travailleurs se répartit entre 90 % travaillant dans des unités de productions informelles, 8% travaille dans le noir (emploi non déclaré par les employeurs) et 2% ont des activités de contrebande.

Autre caractéristique, les emplois liés aux Unités de Production Informelles sont salariés à 17% seulement en moyenne le reste c’est soit du travail non rémunéré ou de l’auto emploi.

Mais le rapport tend à vouloir surtout mobiliser l’Etat  lui décrivant  l’ampleur des recettes auxquelles il renonce en termes de manque à gagner. Il s’agit de pas moins de 34 milliards deDH  ainsi que de  4 milliards de cotisations sociales potentielles, dont  28 milliards de TVA , 4 milliards d’IS et 2 milliards de droits de douanes..Ceci représentait au cours de la même année 2014, la bagatelle de 16% de la recette effective réalisée par l’Etat auprès des contribuables.

 

Le gap de compétitivité prix des produits et services

 L’analyse présente aussi ce qu’elle a qualifié de « gap de compétitivité prix » entre secteur organisé et économie informelle et ce,  autour de quatre grilles de diagnostic : celle des UPI avec 40 pts de différence, de la contrebande avec 20pts, la sous facturation à l’import 15 pts  et la non déclaration des salariés avec 7 pts.

On retiendra dans cette analyse l’impact négatif de l’économie informelle sur le développement de l'économie formelle dans son ensemble, un fait tout à fait authentique et inquiétant pour les opérateurs  à travers  les effets catastrophiques sur l’évolution de structure du tissu industriel et sur la taille critique difficilement atteignable limitant l'amélioration de la productivité.

Il s’agit aussi « d’une perte de rentabilité limitant l'investissement, l'innovation et la capacité des acteurs de l'économie formelle à s’adresser de nouveaux marchés ».

Le benchmark de cette étude a pris le Chili et la Turquie comme référence de bonnes pratiques  à travers les différents états de l’informel, on peut citer à ce propos pour les UPI chiliennes la décision importante d'offres financières appropriées accompagnant la transition vers le formel, l’allégement de la fiscalité sur l'emploi (réduction de la part patronale aux cotisations sociales pour un CDI , un Plan anti-corruption dans les administrations publiques. Le résultat aura été la réduction en 10 ans de 10% de cette économie dans le pays. Pour la Turquie on notera l’instauration d’un régime de Subventions pour la création d'entreprise ; la réduction du taux de TVA dans plusieurs secteurs d'activités, le renforcement du système d'audit des entreprises et un plan national de lutte contre la corruption. Le résultat en Turquie aura été la réduction de 20 % de cette économie au profit d’une meilleure organisation de l’économie et une nette amélioration de la productivité et de la compétitivité des produits dans ce pays.

Remettre la question de la flexibilité sur le tapis

Une troisième grille de mesures fut introduite dans ce benchmark en vue de réintroduire un rêve très cher aux promoteurs de la CGEM, celui de remettre sur le tapis la question de la flexibilité de l’emploi, cette grille présente des exemples telle l’introduction du contrat de travail saisonnier comme alternative à l'emploi informel (Bulgarie), la flexibilisation du contrat de travail (Slovaquie)….

On peut relever dans ces deux cas l’élaboration d’une grande politique dans  trois directions, une solution courageuse envers  problème du financement des petites et moyennes entreprises et de l’auto emploi, une lutte conséquente contre les formes de corruption notamment au niveau de l’administration publique, et le développement des pratiques de coordination et d’audit à travers les différents niveaux .

La logique adoptée par le comité de pilotage de cette étude a donné lieu à la proposition d’un plan d’action pour traiter la question de l’économie informelle , s'articulant  autour de 4 chantiers prioritaires et 2 leviers transverses ; concernant les premiers , on retiendra l’appel à l’allégement de la fiscalité sur le travail et les outils de production, la simplification de  la TVA, l’accompagnement des UPI vers le Formel à travers un appui à l'accès au marché et le renforcement de leurs capacités et l’établissement de référentiels en matière de prix ou de prestations en coordination avec les professionnels.

Pour la partie des leviers transverses on relèvera l’accent mis sur la formation à travers le e-Learning ; la mise à disposition d’outils comptables simplifiés et la digitalisation et la numérisation des services publics.