Partenariat OCP/ONCF : continuité et discontinuité

Partenariat OCP/ONCF : continuité et discontinuité

Depuis l’annonce par OCP de son projet « pipeline », en vue de consolider son leadership sur le marché mondial des phosphates, l’ONCF, opérateur exclusif du transport des phosphates, fait grise mine. Les hypothèses se multiplient quant à la continuité ou discontinuité du partenariat OCP/ONCF. Certains évoquent un contrat mutuellement profitable pour la période 2014-2024, d’autres une rupture. ONCF se montre optimiste mais fataliste, OCP moins rassurante mais solidaire.

OCP : la quête du leadership

Le Maroc dispose d’environ 80% des réserves mondiales de phosphates. Il se place aujourd’hui au troisième rang mondial en termes de production (derrière la Chine et les États-Unis). En 2011, la production du phosphate a avoisiné les 28 millions de tonnes, la moitié est exportée à l’état brut, l’autre moitié est transformée en acide phosphorique et en engrais. Derrière cette réalisation, le Groupe OCP, qui détient depuis sa création en 1920 le monopole d’État pour l’exploitation des phosphates.

Avec près de 20 000 employés, répartis principalement sur les sites miniers de Khouribga, Youssoufia, Benguerir et Boucraâ, et les complexes chimiques de Safi et de Jorf Lasfar, le Groupe OCP couvre l’ensemble des opérations de la chaîne de valeur du phosphate et de ses produits dérivés. L’activité du groupe consiste en l’extraction du phosphate, sa valorisation et sa commercialisation. En 2011, le résultat net du Groupe a presque doublé, passant de 8,8 milliards de dirhams à 16,3 milliards de dirhams. À l’origine de cette performance une hausse moyenne des cours de 23,6%, mais aussi (et surtout) une stratégie qui se concentre sur trois volets : cost leadership, leadership produit, et flexibilité industrielle. OCP ne compte pas en rester là, l’ambition du Groupe est beaucoup plus grande. OCP prévoit de doubler sa capacité de production annuelle de phosphates d’ici à 2017 et tripler sa production d’engrais d’ici à 2020. OCP sera alors, et de loin, le LEADER mondial sur le marché des phosphates et de ses dérivés.

Pipeline : clé de voûte du cost leadership

Pour OCP, la stratégie de domination par les coûts qu’il a mis en œuvre passe essentiellement par une réduction des coûts du transport. Les voies ferrées, jusqu’ici utilisées par OCP, ne permettent pas de réaliser cet objectif. En effet, le coût de transport par train varie entre 7 à 8 dollars la tonne. Ce coût reste trop élevé comparé à d’autres modes de transport, plus adaptés à cette filière, tel que le pipeline. Dans le cas d’OCP, le coût de transport par pipeline reviendra sept à huit fois moins cher que le train, soit un dollar la tonne. Le coût de production serait alors 40% moins cher. Ce mode de transport, déjà adopté par la Chine, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud et le Brésil, s’est montré moins couteux, plus fiable et plus durable. Il permet aussi bien une réduction des coûts qu’une rationalisation de la consommation d’eau et de l’énergie ou encore une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il a fallu attendre jusqu’en 2008, pour que OCP puisse enfin lancer son projet de pipeline. À cette date, un long chemin de transformation a été déjà parcouru par l’entreprise et il était temps de passer à la vitesse supérieure. En effet, depuis l’arrivée de Mostafa Terrab en 2006, plusieurs transformations ont eu lieu : refonte de la politique commerciale, relance de l’investissement industriel, normalisation financière, statutaire et juridique, modernisation des modes de gestion. Le passage de la voie ferrée vers le pipeline s’inscrit dans ce même registre de transformation et constitue un autre projet symbolique du changement.

Ce projet porte sur la construction de deux pipelines. Le premier reliera Khouribga à Jorf Lasfar (235 km), le second reliera Youssoufiya et Safi (175 km). L’appel d’offres a été lancé en février 2010. Le marché a été attribué à la société Tekfen Construction and Installation Co.Inc. Le premier pipeline, dont la capacité est de 40 millions de tonnes par an, serait très probablement opérationnel en avril 2013. Il permettra une baisse des coûts de transport de 80% et une réduction des émissions de gaz à effet de serre estimées à 720 000 tonnes de CO2/an.

Si du côté de OCP on se réjouit de l’avancement de construction des pipelines, c’est plutôt le doute et le dégrisement du côté de l’ONCF (Office National des Chemins de fer), l’opérateur exclusif du transport des phosphates.

Vers une dissolution du partenariat OCP/ONCF ?

Depuis sa création en 1963, l’Office National des Chemins de fer (ONCF), entreprise publique sous la tutelle du ministère du Transport, détient le monopole de transport de la roche phosphatée des mines vers les complexes chimiques et les ports. Sa mission consiste à servir l’industrie du phosphate et à accompagner son développement. À ce jour, le transport des phosphates représente 75% de l’activité fret et 50% du chiffre d’affaires total de l’ONCF. En 2011, le trafic des phosphates assuré par l’ONCF a dépassé la barre des 28 millions de tonnes, 11,7 millions de tonnes ont été transportés sur l’axe Khouribga-Jorf Lasfar et 9,7 millions de tonnes sur l’axe Safi, soit des hausses respectives de 17% et de 4% par rapport à l’année 2010. Le chiffre d’affaires réalisé par l’ONCF sur l’activité des phosphates est de 1,71 milliard de DH, soit presque la moitié du chiffre d’affaires global qui s’élève à 3,6 milliards de dirhams.

Les relations commerciales ONCF/OCP sont régies par des conventions qui arrêtent entre autres les engagements des deux parties, les modalités de transport et le tarif de base. Jusqu’en 1994, ONCF appliquait des tarifs faibles pour soutenir l’industrie des phosphates. Depuis, une nouvelle tarification a été instaurée. Elle a été indexée selon une formule comprenant plusieurs indices tels que l’indice public de l’énergie, l’indice public du gasoil, l’indice de salaire, etc. Le coût de transport de la roche phosphatée varie aujourd’hui entre 7 et 8 dollars la tonne.

Si l’OCP ne renouvelle son contrat avec l’ONCF, qui prendra fin en 2014, le manque à gagner du côté de l’ONCF serait de l’ordre de 1,71 milliard de dirhams. Le déséquilibre financier de l’ONCF serait assuré. Mais cette hypothèse est loin d’être validée, pour le moment.

L’ONCF, optimiste, a déclaré poursuivre une stratégie d’optimisation et d’accompagnement du Groupe OCP. L’ONCF avance trois arguments : (1) le transport de phosphate par pipeline est un complément du transport par rail. Il estime que ce dernier ne pourra pas à lui seul prendre en charge toute la production supplémentaire prévue par l’OCP ; (2) le transport des phosphates par voie de pipeline concerne uniquement le phosphate humide, tandis que le phosphaté séché, dont la production est appelée à doubler, continuera d’être transportée par rail ; (3) le projet de pipeline ne couvre pas toute la trajectoire de transport des phosphates.

L’ONCF avance donc l’hypothèse de la continuité. OCP resterait alors le principal partenaire de l’ONCF. OCP, lui, se veut moins rassurant. À ce jour, l’hypothèse de la discontinuité n’est pas encore évoquée mais l’ONCF, selon l’OCP, devrait anticiper correctement la mise en service des pipelines.