Médias numériques au Maroc : le printemps émergent

Médias numériques au Maroc : le printemps émergent

Les RS au Maroc sont un phénomène qui semble subir les retombées de son succès. Ils suscitent en effet une question relative à l’usage, essentiellement politique, qui en est fait, dans la mesure où chaque camp essaie d’investir, d’utiliser et de manipuler cette virtualité pour impacter l’opinion publique. Les manœuvres des conservateurs favorables au pouvoir dominant, comme ceux des mouvements contestataires - ceux du 20 février notamment - sont l’une des illustrations manifestes de cette ambition politique.

On peut rappeler que la contestation politique au Maroc a largement puisé dans une image liée aux jeunes d’une part et à Facebook de l’autre. C’est cette image qui a fait à l’échelle internationale la e-réputation du mouvement marocain et de sa dynamique militante. Mais sur plus de 4 millions d’utilisateurs, est-il possible d’identifier avec exactitude qui sont les Facebookistes de l’opposition et combien ils sont ? La tâche ne semble pas facile !

Par ailleurs, on comptait déjà en 2009 plus de 8 950 cybercafés et, selon le Network Information Centre1, qui dirige le domaine« .ma », on comptait également 360 424 noms de domaines enregistrés en 2010.

Les RS au Maroc sont un phénomène de communication médiatique établi ; mais passés les moments euphoriques, il s’agit de mieux identifier ce monde, pour l’appréhender dans ses diverses expressions, comme acteur citoyen, agent politique, mais aussi comme opérateur économique, ressource humaine, client, usager ou consommateur...

Tout au long des deux dernières années, les études, les enquêtes et les rapports sont devenus plus fréquents, tout en demeurant plus ou moins crédibles. Néanmoins, ces documents ont ceci de salutaire qu’ils ne cessent de susciter des débats publics riches et diversifiés.

Selon une récente étude2, les Marocains vont d’abord sur Internet pour s’informer (75% des personnes interrogées vont sur le web pour rechercher une information) et pour se socialiser (pour consulter leurs emails ou pour se divertir, notamment télécharger des films). En revanche, même si 76% des personnes interrogées déclarent être présentes sur les réseaux sociaux et si 78% estiment que le web 2.0 a des vertus mobilisatrices, peu l’utilisent à des fins de mobilisation. Interrogés sur le Mouvement du 20 février, 41% déclarent avoir consulté l’appel à manifester. Mais 76% n’ont pas pris part aux manifestations du même mouvement suite à cet appel. Et 60% ne participent à aucun évènement annoncé via Facebook quelle que soit sa nature.

Une autre étude3 effectuée au mois de mai 2012 présente la physionomie des médias sociaux au Maroc dans le contexte des pays arabes du MENA.

Cette étude illustre la place du phénomène au Maroc dans son environnement régional. Il s’avère déjà que le Maroc représente 12% des utilisateurs Facebook du monde arabe.

De même la répartition par tranche d’âge des utilisateurs fait apparaître une population d’utilisateurs Facebook au Maroc particulièrement jeune. Avec Djibouti et le Yémen, et après la Palestine, le Maroc est le pays où la part de jeunes de moins de trente ans parmi les utilisateurs Facebook est la plus grande. Par ailleurs, avec un taux de pénétration de Twitter égal à 0,05% de la population marocaine, Twitter est quasiment absent du Royaume.

Pourtant 38% des utilisateurs Facebook au Maroc sont des femmes. Un ratio assez décevant si on le compare à Facebook monde. En effet,

61% des utilisateurs Facebook sont des femmes. Mais cela s’explique facilement par des facteurs économiques et culturels discriminatoires évidents. Il est déjà manifeste que la discrimination s’opère au niveau de l’accès à Internet. Les femmes marocaines sont moins connectées que les hommes.

Par ailleurs, le contexte culturel empêche souvent les femmes de s’investir dans les réseaux sociaux à cause des préjugés négatifs envers tout rapport avec des communautés hors du giron familial. Ces aspects sont en recul très rapide et vont devoir s’estomper au profit d’une situation genre plus équitable.

Les réseaux sociaux sont là pour durer

Quelles sont les caractéristiques liées à ces réseaux ? On constate déjà au Maroc une certaine demande des opérateurs et d’autres intervenants publics et privés par rapport à la veille dans ce domaine. Cela reflète un besoin émergent qui indique deux missions de facto : celle de devoir tenir compte du rôle de watchdog que jouent les médias sociaux numériques, ainsi que celle de la volonté d’influencer ces médias pour leur faire jouer les accompagnateurs dans les stratégies des entreprises. Un autre aspect de plus en plus présent relève de la e-réputation, c’est-à-dire de l’image que les opérateurs voudraient avoir sur la sphère numérique et les RS.

Les auteurs d’une étude récente4 avancent que le nombre des comptes au Maroc serait de 4 177 000, ce qui correspond globalement à un taux de pénétration au sein de la population globale du pays à 13,21% et représente par rapport à ceux qui sont connectés à l’internet un tauxde 40,6%.

La cartographie des médias sociaux en cours de réalisation par l’Open society Foundation a consacré pour sa part un rapport en 2011 sur la situation du Maroc. L’étude retient que le nombre de comptes selon les statistiques officielles 2009 était de 33% de la population connectée. La majorité d’entre eux se connecte surtout à des fins de distraction. À l’exception des streaming de contenu audio et vidéo, les contenus spécifiquement multimédia sont quasiment inexistants et l’interactivité est minimale.

Finalement, les indicateurs de toutes les études et tous lesrapports sur le sujet confortent la tendance à une croissance rapide des réseaux sociaux au Maroc et du nombre de leurs utilisateurs.

Les médias exclusivement en ligne sont très nombreux, parmi ceux qui proposent des forums, des interviews, des petites annonces de rencontres, des blogs, des vidéos, et la possibilité de partages des contenus par Twitter, Facebook, Flux RSS. On citera Menara.ma, Hespress.com, Goud.ma, Lakome.com, Hibapress.ma, Biladi.ma, Yabilady.com, et emarrakech.info, lesquels sont inventoriés chez Google par le fait de détenir plus de 2% du total des visiteurs au Maroc.

Mais les paradoxes ne sont pas rares dans le contexte marocain. Ainsi, Hespress, le premier journal en ligne, lancé en 2007, en tant que journal collaboratif (avec un lectorat de plus de 100 000 internautes par jour, dont plus de 60% vivant au Maroc, selon le rapport d’OSF) offre une illustration de ces paradoxes. Ce site en arabe dédié à l’information marocaine, dont la réputation est d’avoir un contenu produit par les utilisateurs, utilise en réalité, pour la plupart, des articles directement puisés dans les journaux traditionnels !

Selon le rapport d’OSF, les portails Internet qui proposent de l’actualité, tels que Google, Yahoo ou MSN, ont aussi une forte audience au Maroc.

MSN et Live.com (Microsoft), par exemple, atteignent respectivement 26.3% et 42.3% des internautes marocains, tandis que Yahoo.com et Yahoo.fr ont un taux d’audience de 17.9% et 7.6%.

Le rapport OSF a également relevé que la mise en ligne de vidéos sur des sites

Internet a joué un rôle dans le développement de l’information ; à l’aide des appareils photos ou caméras digitales de leur téléphone portable, des Marocains ont diffusé sur YouTube des reportages de première main sur les manifestations, les émeutes, la violence policière…

Les vidéos présentent des témoignages mis en forme par les utilisateurs eux-mêmes.

Le même rapport retient que 85,81% de la population avait déjà en 2009 un téléphone portable. Les technologies de téléphonie mobile interactive pourraient être selon ce rapport la clé du futur des médias sociaux et autres au Maroc.

Selon Alexa.com, les 10 sites les plus visités par les Marocains sont Google.co.ma, Facebook, YouTube, Windowslive, Google. com, Google.fr, Yahoo,MSN, Kooora.com et Wikipedia5.

Selon Google Ad Planner, les plateformes de blogs les plus utilisées au Maroc sont Skyrock. com et Maktoob.com, avec un taux de pénétration de 12,3% et de 10,2% de la population internaute. Le nombre de blogueurs actifs a été estimé à plus de 30 000.

Les RS et les Marocains se découvrent

Bref, en guise d’évaluation, les auteurs du rapport estiment que le manque de modérateurs de forums formés professionnellement limite la qualité et la quantité des débats qui pourraient générer des idées pour l’activisme numérique.

Ils constatent aussi que si la blogosphère marocaine est très dynamique, les blogs sont dominés par des sujets liés à la vie privée, où l’on discute de vie quotidienne plus que de politique.

Ils remarquent enfin que le courrier électronique est l’outil numérique le plus utilisé par les journalistes6. Il les aide à envoyer articles et photos en temps réel et à recevoir des retours immédiats de leur rédaction, ce qui fait que les articles sont publiés beaucoup plus rapidement que par le passé.

Ainsi, les médias numériques ont aussi élargi et amélioré l’espace d’expression publique des groupes minoritaires. Il serait, par exemple, difficile, voire impossible, pour les minorités sexuelles d’utiliser les médias traditionnels (journaux, magazines, radio ou télévision) pour défendre leur cause. La communication en ligne est la seule technologie dont ils disposent pour s’exprimer publiquement (exemple de Mithly -Comme moi-, magazine récemment créé, visant la communauté homosexuelle et édité en arabe par un groupe appelé Kifkif)

 

1. Network Information Centre, Statistiques, consultable en ligne http://http://www.nic.ma/statistiques.asp (consulté le 4 juin 2010).

2. Publiée par ESSACHESS – Journal of Communication, sous la plume d’Abderrahmane AMSIDDER, Fathallah

DAGHMI et Farid TOUMI.

3. L ’Arab Social Media Report est éditée par la Dubaï School of Government.

4. Marouane Harmach de www.sniper.ma.

5. http://www.alexa.com/topsites/countries/MA (consulté le 2 juin 2010).