Liste de défis pour demain

Liste de défis pour demain

Auteur : Driss Guerraoui

Dans un essai-programme plutôt flou, l’économiste Driss Guerraoui énumère les défis qu’affronte la société marocaine.

 

« Les sociétés et les économies du XXIème siècle connaissent des mutations notoires aux niveaux institutionnel, environnemental, social, économique et culturel », annonce d’emblée l’économiste Driss Guerraoui. Secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental (CESE), il se livre dans cet essai à un inventaire desdites mutations et se propose d’éclairer la question du développement économique et social. La liste est vertigineuse : problème de l’emploi, de la société de rente, de la corruption, de la spéculation ; enjeux économiques avec la difficulté de maîtriser la complexité de l’économie mondiale, de gérer la rareté des ressources, de gérer l’insécurité, de partager les richesses de façon plus équitable et de transformer la gouvernance économique, notamment au sein de l’entreprise, en privilégiant de grands contrats sociaux et en renforçant la protection sociale ; enjeux environnementaux, avec la nécessité de s’orienter vers une économie verte, produisant mieux et plus durable ; enjeux culturels, pour mettre la culture au service de la création de richesse ; la régionalisation, le renforcement de la citoyenneté, la gouvernance des villes ; le défi du numérique dans la production des valeurs et de l’identité ; les questions de sécurité ; les questions migratoires ; les relations avec les voisins, avec le rôle du Maroc en Afrique, l’harmonisation de la législation économique entre le Maroc et l’Union européenne et les relations avec la France… Dans ce vaste ensemble, plusieurs points reviennent, à commencer par la question de la formation et de la crise de l’école et de l’université. Driss Guerraoui propose une rupture avec l’état de fait existant défini par l’économie de rente, un développement porté surtout par l’État, centralisé et centré sur de grands projets, sans concertation et avec peu de considération pour l’environnement et les facteurs culturels, dans une logique sécuritaire et tendant à instrumentaliser la société civile. Il aspire à un modèle fondé sur « la suprématie de la loi, l’égalité des chances, la concurrence loyale et la rationalité productive », une gouvernance responsable et participative, renforçant le rôle des régions, avec un développement durable, appuyé sur une base élargie incluant les TPE, dans le respect des droits humains, « prenant appui sur la valorisation du patrimoine culturel et faisant de la culture à la fois un droit et un levier de développement », et avec une société civile indépendante, véritable contre-pouvoir et force de proposition.

Le discours de Driss Guerraoui reste très classique en terme de doctrine économique et ne remet pas en cause le néolibéralisme ambiant. À propos de l’emploi, il estime qu’il faut « préparer nos jeunes à cette dure réalité qui attend nos économies, à savoir que le modèle économique actuel sera de plus en plus dans une situation d’impossibilité objective de réaliser conjointement la croissance et le plein emploi. » On regrettera qu’il n’explique pas en quoi cette impossibilité est « objective », voire inéluctable, et surtout qu’il ne tienne pas compte des nombreux mouvements dans le monde qui proposent de nouveaux modèles économiques destinés justement à éviter cette situation… Driss Guerraoui est favorable à plus de flexibilité du travail. S’il insiste sur les défis de la formation tout au long de la vie et à plusieurs activités, c’est que pour lui « l’emploi salarié que nos sociétés ont connu tout au long du XIXe et du XXe siècle semble céder le pas à des emplois de plus en plus atypiques (travail saisonnier, travail occasionnel, emploi à contrat déterminé, télétravail, travail à domicile, entreprises virtuelles et auto-emploi) ». Pas un mot sur le fait que ces emplois « atypiques » sont la conséquence des pressions néolibérales pour démanteler le droit du travail et la protection des salariés. « Les systèmes de formation les plus efficaces sont aujourd’hui ceux qui développent des formations fondées sur une flexibilité négociée et concertée, ainsi que sur des modes appropriés de mobilité géographique et sectorielle », ajoute-t-il, sans un mot sur les conséquences humaines et sociales de la mobilité imposée…

 

Problème de méthode

 

Et surtout, ce livre pose un véritable problème de méthode, probablement dû au fait que Driss Guerraoui s’est appuyé, sans les relier de façon convaincante, sur ses chroniques parues dans la presse. D’abord, le sujet est à peine délimité et remis dans son contexte. Le titre annonce une réflexion globale, tandis que la démonstration porte dans l’ensemble sur le Maroc, sans que l’articulation entre ce qui se passe au Maroc et ce qui se passe dans le monde soit clairement démontrée. Le développement du livre se fait par ailleurs sur le mode de l’inventaire, donc de la succession de points. On passe donc par exemple, au sein du chapitre sur les enjeux économiques futurs, d’« Entreprendre en milieu rural » à un sous-chapitre sur le rôle de l’État, de la banque et de la PME où il est question de l’expérience des pays d’Amérique du nord, à un autre sous-chapitre sur « le chômage des jeunes en Méditerranée ». L’ensemble est donc insuffisamment problématisé et argumenté. Plutôt qu’une vision, il expose des trames de programmes à peine ébauchées, tant chaque point est brièvement survolé. Il n’y a pas un paragraphe en effet où l’on ne se demande « lequel ? », « comment ? », « pourquoi ? », « avec quels moyens ? », « dans quels délais ? », tant le propos est général. Driss Guerraoui abuse des listes et des énumérations au détriment de la démonstration, ce qui rend la lecture pénible. Quant à la conclusion, elle est annoncée dès la fin de l’introduction, et on en appréciera l’intérêt : « Notre conclusion principale est que la réalisation d’un équilibre entre la croissance économique, l’équité sociale, la durabilité du développement et la gouvernance démocratique de nos économies et de nos sociétés au XXIe siècle constitue une urgence. Car, si rien n’est fait maintenant, il sera trop tard d’agir demain. » Bref, comme dit le dicton, qui trop embrasse mal étreint…

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Économies et sociétés du XXIème siècle, réflexions et défis majeurs

Driss Guerraoui

La Croisée des chemins, 208 p., 75 DH