Mustapha Omrane
Mustapha Omrane est actuellement maître de conférences en socio-démographie à l’Université de Khemis-Miliana (Algérie) et chercheur associé au centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD, Algérie). Ses recherches portent sur les problématiques de popul...
Voir l'auteur ...Les jeunes algériens : Leur situation et leur avenir
L'emploi : principale préoccupation des jeunes
Les jeunes algériens, à l’instar de leurs pairs dans la région MENA, sont fortement touchés par le chômage. En Algérie, le taux de chômage a atteint 11,2% en 2015 ; il est beaucoup plus élevé chez les jeunes de la tranche d’âge 16-24 ans (29,9%) et parmi les diplômés de l’enseignement supérieur : 21,4% en 2010 et 14,1% en 2015 (Office national des statistiques, 2014 et 2015). Sur le terrain, l’amorce d’un entretien avec les jeunes d’Alger, comme ceux de Djelfa, amène systématiquement les jeunes à soulever la question de l’emploi. De manière unanime, les jeunes dénoncent le manque de transparence et le piston qui, selon eux, caractérisent les processus de recrutement, comme le montre cette déclaration : « En tant que jeunes, nous sommes convaincus que, pour travailler, il faut corrompre. La vie est difficile, il y a la marginalisation, le diplôme ne sert à rien car l’administration fonctionne avec la corruption et le piston. C’est cela qui fait que les jeunes ne font pas des études et, lorsqu’ils voient leur frère, leur voisin ou un pair diplômé au chômage, ils sont convaincus de l’idée qu’il vaut mieux quitter l’école et aller travailler, plutôt que de rester vingt ans à l’école, souffrir et ne rien gagner ». Les jeunes apparaissent déçus du fait que le diplôme, vu comme un moyen d’accès au monde du travail, ne leur garantit pas pour autant un poste d’emploi stable. Les jeunes évoquent de nombreux cas d’autres jeunes ayant fait des études, parfois universitaires, mais restés au chômage. Cela provoque chez eux le sentiment d’être marginalisés, et pousse certains à regretter d’avoir suivi des études supérieures qui ne leur ont pas facilité l’accès à un emploi stable.
La revendication d’une école de qualité
En Algérie, la scolarisation reste une valeur très ancrée socialement. Aux yeux des jeunes, l’école est une institution sacrée, considérée comme une voie vers la réussite sociale. Mais, les jeunes critiquent le système scolaire. Ils considèrent toutefois que les enseignants sont mal formés et que la méthode d’enseignement actuelle n’aide pas les élèves à assimiler. La qualité de l’enseignement est spontanément – mais fermement – soulevée par les jeunes. Face à cette situation, le rôle de l’État est très attendu, plus particulièrement dans les zones enclavées. Dans ces milieux, les besoins exprimés concernent aussi la disponibilité des enseignants des langues étrangères et le transport scolaire, dont l’absence affecte les enfants des familles défavorisées. À cela s’ajoute la capacité économique des familles à assumer les besoins matériels des élèves pour la poursuite de leurs études. Le facteur économique est clairement apparu dans le processus de socialisation parmi ces jeunes issus de milieux modestes. Certains jeunes, lorsqu’ils sont scolarisés, s’estiment être une charge pour leurs parents, et prennent eux-mêmes la décision d’interrompre leur scolarisation.
Face aux défaillances, telles que perçues par les jeunes, au niveau de l’école mais également à l’échelle de la famille, la mosquée semble jouir d’une forte acceptation sociale et son rôle éducatif est très demandé et valorisé, notamment en milieu rural.
Les critiques à l’égard de l’école reflètent les aspirations, les attentes et les convictions des jeunes quant à la place de cette institution du savoir et de l’éducation dans la société. En même temps, ces opinions récoltées auprès des jeunes sur l’école nécessitent une réflexion plus globale sur la perception de la société sur le système éducatif, en dépit de nombreuses réformes engagées par le gouvernement depuis deux décennies.
Le besoin d’être écouté
Dans une perspective de développement local, le rapport entre les autorités et les citoyens est un aspect fondamental. Nous avons abordé cette question avec les jeunes pour savoir s’ils sont écoutés par les responsables locaux. Les réactions traduisent l’absence de communication entre l’administration et les citoyens : « Notre voix n’est pas écoutée, on n’a pas de responsables qui viennent nous voir. Ici, si notre voix était écoutée, ils auraient tout changé, les jeunes seraient au travail ». Lors d’un focus-group qui a regroupé de nombreux intervenants dans le domaine de la jeunesse, les participants se sont accordés à affirmer qu’il y a un très grand problème de communication à tous les niveaux, que ce soit dans la société algérienne dans son ensemble, ou bien entre les autorités et la société, en particulier les jeunes. Les intervenants ont assuré que « le jeune ne s’est pas marginalisé tout seul, on l’a aidé à se marginaliser dans la mesure où on ne l’a pas pris en considération. C’est-à-dire on fait des programmes pour les jeunes, mais on ne les associe jamais dans l’élaboration de ces programmes pour savoir ce qu’ils veulent réellement. Est-ce que le jeune adhère à ce qu’on lui propose ? Cette exclusion est provoquée par le manque de considération, ce qui le pousse à se marginaliser lui-même ». Le travail de terrain a montré qu’il existe une forte demande de communication et de dialogue au sein de la jeunesse algérienne, mais cette demande n’est pas satisfaite.
Sur la base des affirmations recueillies, on peut affirmer que les canaux traditionnels de la communication ne favorisent pas le dialogue avec les jeunes. En vérité, les jeunes communiquent entre eux, de manière horizontale. Alors que le non-dialogue est réel verticalement, entre les adultes et les jeunes, entre les autorités et les jeunes, etc.
Les perspectives telles que perçues par les jeunes
En réponse à notre question sur les projets à venir, les déclarations étaient marquées par le pessimisme et l’absence de perspectives. Les jeunes semblent être découragés par leurs pairs qui subissent le chômage. De toute évidence, il s’agit de la plus grande crainte à laquelle les jeunes font face dans leurs parcours. Une crainte nourrie par les multiples cas de chômage dans leur entourage, en particulier ceux de longue durée. Les jeunes chômeurs, avec le temps, voient leurs chances de trouver un travail s’amenuiser et cela les pousse au pessimisme. Cet état d’esprit est tout à fait compréhensible lorsqu’on sait que les objectifs, maintes fois annoncés par les jeunes eux-mêmes, sont tributaires de l’emploi recherché. En effet, après le travail, d’autres projets peuvent être entrepris : il s’agit principalement du mariage, de l’accès au logement et l’achat d’une voiture. Avec le travail, c’est la quête de l’autonomie qui est recherchée, tant sur le plan économique (disposer de son propre revenu) que sur le plan social (devenir responsable et libre dans ses décisions). La place de l’emploi dans la vie des jeunes revêt une importance capitale, et conditionne l’intégration sociale des jeunes dans la société et même leur équilibre psychologique.
Il faut souligner ici que la majorité des jeunes évoquent leur intention de trouver un travail, de préférence dans le secteur public. Très peu parmi eux déclarent vouloir créer leur propre projet professionnel, en dépit de nombreux mécanismes mis en place par le gouvernement algérien, essentiellement en direction des jeunes, pour encourager la création d’entreprise.
Lorsque « les portes sont fermées », pour reprendre l’expression des jeunes, le projet migratoire peut être envisagé sérieusement. Les habitants des grands centres urbains comme ceux d’Alger sont attirés par l’émigration internationale, alors que ceux des wilayas de l’intérieur, tel qu’observé à Djelfa, sont davantage portés sur la migration interne. Pour les uns comme pour les autres, c’est une question de tradition sociale et surtout de réseau sur le lieu de destination. En tout cas, la migration est considérée en derniers recours, ce qui explique, pour certains, la tentative d’entreprendre cette aventure dans l’illégalité
Notes
- Ce document de travail est fondé sur des données qualitatives recueillies auprès des jeunes algériens durant l’année 2015. La collecte des informations a été menée dans deux wilayas du pays dans le cadre du projet SAHWA. L’une se situant à l’intérieur du pays (Djelfa) et est caractérisée par des indicateurs socio-économiques en deçà du niveau national. Tandis que la seconde (wilaya d’Alger) présente de meilleurs indicateurs de développement en raison de l’existence de plus d’infrastructures et d’opportunités. Il ne s’agit pas d’une analyse comparative entre les deux localités, mais de tenter de dresser un panorama sur la logique des jeunes dans des contextes différents.
Références
- Office national des statistiques (2014, avril). Activité, emploi & chômage, n°671. www.ons.dz
- Office national des statistiques (2015, septembre). Activité, emploi & chômage, n°726. www.ons.dz