Le judaïsme en Méditerranée entre nostalgie et lucidité

Le judaïsme en Méditerranée entre nostalgie et lucidité

Auteur : Leila Sebbar

Trente quatre récits, trente quatre enfants juifs méditerranéens racontent leurs histoires en terre musulmane.Le judaïsme en Méditerranée entre nostalgie et lucidité

Si certains auteurs sont connus, d’autres le sont moins. Mais il ne s’agit pas dans ce recueil de  notoriété mais seulement de mise à nue des souvenirs. Il est question des seules vérités inconstatables : celles de l’enfance. On y retrouve de la nostalgie, de l’incompréhension souvent mais de la lucidité aussi. Cet ensemble de textes raconte des expériences individuelles et prend racine dans l’Histoire.

Parcourant le bassin méditerranéen, de la Turquie jusqu’au en occident musulman, Leila Sebbar l’auteure franco-algérienne a recueilli ces récits. L’écrivaine ne semble toujours pas guérie de ses propres blessures. L’auteure de, Une enfance d'ailleursUne enfance algérienneUne enfance d'outremerUne enfance corse et Enfances tunisiennes continue d’explorer cet univers de la première lecture du monde, les premiers émois.   

En faisant appel à des souvenirs d’enfance, elle réveille de vieux démons : ceux de l’exile, de la guerre, du communautarisme. Mais aussi les joies de l’insouciance, du partage et de la liberté.

Pour Lucette Heller- Goldenberg la marrakchi sa naissance au Maroc l’a sauvé de la folie des hommes. Dès les premières pages elle livre son sentiment « Je suis née en 1942 à Marrakech. Le lieu de ma naissance m’a protégé. Si j’étais venue au monde en Europe, j’aurais peut être fini comme ma grand mère Lisa Goldenberg-Goldensweig, à Auschwitz ». Autre témoin de ce Maroc où il fait bon vivre, André d’Azoulay qui raconte Essaouira dans les années 50 lorsque juifs et musulmans fêtaient la mimouna sans  faire fi des appartenances religieuses des uns et des autres.

L’historien Benjamin Stora, quant à lui, reste très lucide en évoquant ses souvenirs d’enfance dans son texte intitulé, Le hammam et après… « Quoi qu’en dise - avertit l’auteur- A Constantine comme ailleurs, c’est la séparation communautaire, presque étanche, qui prévalait (...) je n’ai aucun souvenir d’un Musulman à notre table, ni d’un Juif à celle d’une famille musulmane. Il n’y avait guère d’échange dans la sphère privée. Et guère de mixité à l’école publique Diderot ».

L’auteur et historien bat en brèche les récits nostalgiques que la mémoire constantinoise voulut sauvegarder de cette totale harmonie entre Juifs et Musulmans.

Pas d’illusions pour Stora qui déjà enfant regardait le monde avec lucidité.

 

La langue comme ascension sociale

Dans ces récits de l’enfance, la langue ou les langues reviennent comme un leitmotiv. La langue sépare et rassemble parfois. Le français est vécu comme langue du colonisateur pour certains et langue d’émancipation pour les autres. Les autres ce sont les Juifs d’Algérie ou du Maroc. Pour l’Algéroise Joëlle Bahloul, le français était « la langue qu’il nous fallait parfaitement maîtriser pour témoigner de notre entière appartenance à la nation française. L’arabe ou le judéo-arabe était la langue de nos grands parents, la langue du passé que nos parents voulaient oublier et ne désiraient pas nous transmettre. Le français était celle de notre réussite obligé. Mon père avait concentré cette équation historique sur ma performance en dictée ».

Mais il ne faut pas perdre de vue que le statut des Juifs algériens était différent de celui des autres pays. De tout temps, les Juifs vécurent en tant que dhimmis ou protégés en terre musulmane. En Algérie ils devinrent citoyens français à partir de 1870 grâce au décret Crémieux, ce qui n’était pas le cas au Maroc et en Tunisie.

Ce fut le premier clivage communautaire ce qui a donné lieu par ailleurs, à l’insurrection de 1871.

En Tunisie, le contexte était différent mais le poids de la langue française semble le même.

« Ainsi suis-je né à la langue française dans l’oubli programmé de l’arabe » raconte Hubert Haddad dans un très beau texte intitulé : D’ailes et d’empruntes dont il serait regrettable de ne pas citer quelques passages «  La clé du vent, le vent la perd. Il n’y a pas d’identité bien ancré ; on naît chrétien juif ou musulman comme l’eau du ciel dans le fleuve ou la mer. La seule image qui demeure pour moi, c’est la silhouette du djebel Boukorine à travers les vapeurs bleues du golf de Carthage si semblable au Vésuve dans la baie de Naples. L’enfance est un volcan qui peu à peu vous recouvre de cendres tremblées de l’oubli », résume admirablement l’auteur.

C’est un monde bien plus ouvert que nous propose Rita Rachel Cohen dans son récit  Jo et Rita. Dans un style très fluide, très à l’égyptienne entrecoupé de mots en arabe et en hébreu, de sandwichs aux fèves, de pates d’abricot et de chants des gitanes au bord du Nil... l’Egypte des années 50, c’est aussi un pays polyglotte. Alexandrie en fut l’expression vivante. On pouvait y parler plusieurs langues dans la même phrase. « Lorsque mon père recevait à la maison, alors c’était les blagues, la poésie en égyptien, le raffinement en français, le dessous des langues en petit comité et à petite dose en araméen avec un zeste libano-syrien, un mot turc. Au téléphone avec ses collègues de bureau, il parlait parfois anglais ». De la diversité culturelle comme on en rêve aujourd’hui !

D’Istanbul à Alger, de Constantine à Casablanca, d’Alexandrie à Monastir les récits se croisent, déplacent les lignes, convergent et s’éloignent. Chaque histoire est unique mais elles portent toutes les blessures de l’exil et une époque tourmentée par les guerres.

Ces textes furent publiés pour la première fois chez Bleu Autour, un petit éditeur d'Auvergne et réédité au Maroc grâce aux éditions La Croisée des chemins.

Des récits contraires, comme l’histoire tourmentée du siècle dernier.  A découvrir.  

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah

 

Une enfance juive en méditerranée musulmane

Textes inédits recueillis par Leila Sebbar

Editions : La croisée des chemins

100 DH

365 pages