La malédiction du coltan

La malédiction du coltan

Dans l’est du Congo, pour le malheur des habitants du Kivu, le colombo tantalite, ou coltan, se trouve presque à fleur de sol ;  il ne faut pas creuser très profondément pour ramener au jour une sorte de poussière grise qui peut être enfouie dans des sacs et aisément transportée, en avion ou dans des jeeps militaires. Or le coltan est un minerai réputé bon conducteur de chaleur qui entre dans la composition du matériel électronique, en particulier les ordinateurs et les téléphones portables. Si ce minerai existe aussi dans d’autres régions que l’Afrique, au Canada, en Australie, son extraction y est plus difficile et donc plus coûteuse.

Quand la demande mondiale de coltan explosa à la fin des années 90, plusieurs armées qui s’affrontaient en République Démocratique du Congo1 confisquèrent ces ressources mais aussi celles en «terres rares2» - contenant du niobium, du lithium et autres matières précieuses -… pour financer la guerre !

Des groupes armés, rebelles hutus ou combattants congolais, des militaires de l’armée régulière, s’emparèrent de parcelles de terre, y ouvrirent des mines et contraignirent les populations civiles à travailler pour eux.

En de nombreux endroits en effet, l’insécurité avait contraint les paysans à fuir leurs villages, et les familles se retrouvaient sans ressources. Ailleurs, les hommes en armes avaient pris le contrôle du terrain et pouvaient obliger les civils à travailler pour eux. Dans d’autres cas encore, des jeunes sans travail et sans possibilité d’études s’étaient mis à creuser, et à vendre…

Durant des années, cette région dépourvue de routes, de moyens de communication, fut le lieu d’un trafic aérien incessant, où des petits porteurs, venus des pays voisins, Rwanda, Ouganda et même Kenya,  se posaient sur des pistes de brousse, embarquant des sacs de poussière grise et déposant des armes ou des produits de consommation qui servaient de rémunération aux creuseurs.

Comment mettre  fin à une guerre qui s’autofinance ?

Bien après la signature des accords de paix de 2002 entre le Rwanda, l’Ouganda et le Congo, bien après le retrait officiel des troupes étrangères, la violence a continué à sévir dans le Nord et le Sud Kivu, les divers groupes armés continuant à trouver, sur place, les moyens de financer leurs opérations. Les comptoirs d’achat de minerais, installés à Goma, Bukavu et dans d’autres localités frontalières du Rwanda et de l’Ouganda reconnaissaient, sans trop de peine, une pratique consistant à «préfinancer» l’achat du minerai : les intermédiaires recevaient une certaine somme en guise d’avance, à charge pour eux d’organiser à leur gré la production… Est-il besoin de préciser que ces «préfinancements»  étaient aussi une manière de subventionner, même involontairement, des opérations militaires ? Après la signature des accords de paix, après les élections de 2006 qui auraient dû ramener la sécurité, le gouvernement de Kinshasa s’efforça de ramener le calme au Kivu et envoya ses meilleures troupes. Mais les opérations militaires s’enlisèrent car les officiers succombaient eux aussi aux attraits du commerce : les avions militaires qui regagnaient Kinshasa étaient chargés de sacs de coltan, des officiers se rendaient maîtres de certaines parcelles ou concluaient des accords commerciaux avec les groupes armés qu’ils étaient censés combattre. Même les casques bleus onusiens,  qui avaient pour mandat de protéger les civils, succombèrent aux tentations : il arriva que des véhicules blancs de l’ONU soient trouvés alourdis de minerais ! Durant des années, ces cargaisons, licites ou le plus souvent clandestines, prirent la destination du Rwanda, qui avait fort opportunément construit une usine de raffinage à proximité de la frontière congolaise. Et si le succès économique du Rwanda suscite aujourd’hui l’admiration générale, il n’est pas excessif d’affirmer que l’«accumulation primitive» de ressources, qui permit la relance de ce pays ruiné au sortir du génocide, est due, en grande part, aux apports du Congo voisin…

Mais des Congolais bénéficièrent eux aussi des malheurs du Kivu :  la corruption ambiante suscita des «opérations retour» où des officiers, au lieu de distribuer la solde de leurs  hommes, en détournaient une large partie ; somme renvoyée à Kinshasa, ou utilisée à des fins personnelles pour se construire de belles maisons au bord du lac Kivu, louées ensuite à grands frais à des ONG ou des agences onusiennes…

Au début de l’engouement international pour le coltan, seuls les spécialistes s’avisèrent de l’existence de ce minerai précieux et du lien entre son exploitation et l’un des conflits les plus meurtriers de la planète. Avec le temps cependant, les dénonciations s’amplifièrent, l’opinion internationale finit par s’émouvoir, sommant les politiques de prendre les mesures. C’est ainsi que, durant l’été 2011, une loi fut promulguée aux Etats-Unis, sous l’impulsion des sénateurs Dodd et Frank : elle exige que les sociétés importatrices de minerai originaire du Congo ou des neuf pays voisins soient en mesure de produire des certificats attestant de conditions d’exploitation régulières et légales. Pour beaucoup de sociétés américaines ayant pignon sur rue et peu désireuses de faire l’objet de critiques, voire de boycott, cette loi entraîna une désaffection pure et simple à l’encontre des minerais congolais et, sur le terrain,  la paralysie du secteur. Un désastre économique pour la région, amplifié encore par la décision du président Kabila qui, durant plusieurs mois, décida de geler tout le commerce de minerais dans le Nord et le Sud Kivu, bloquant les stocks existants et interdisant toute nouvelle exploitation… Le chef de l’Etat voulait tirer la situation au clair et retirer du terrain les plus compromises de ses troupes.

La décision d’interdire la commercialisation fut finalement levée car, à quelques mois des élections, cette mesure s’avérait extrêmement impopulaire tout en entraînant des effets non désirés : de nombreux artisans creuseurs, désormais privés de ressources, avaient pris les armes, rejoignant les groupes armés ou recourant au banditisme !

Actuellement, le pouvoir s’efforce à la fois de contrôler les militaires et de collaborer avec le secteur minier, qui met en place des processus d’identification des minerais et surtout accorde des autorisations d’accès aux carrés miniers. A terme, il est certain que le pouvoir congolais souhaite mettre fin à l’exploitation sauvage de ses ressources et invitera de grandes sociétés à mettre sur pied des unités d’exploitation industrielle, renvoyant les civils à d’autres activités, comme l’agriculture qui était jadis la première ressource de cette région très riche.

Mais il faudra du temps pour que s’effacent les effets meurtriers du boom du coltan…