La carrière africaine de la Peugeot 404

La carrière africaine de la Peugeot 404

Aujourd’hui encore, cinquante ans après leur lancement, les Peugeot 404 circulent régulièrement dans les rues de Cotonou. Une bonne partie du transport de marchandises dans la capitale économique du Bénin est en effet réalisée à l’aide de la version utilitaire de cette voiture. Cela peut surprendre car ce modèle a cessé d’être construit à la fin des années 1970, même si la production a encore été prolongée de dix ans sur le continent africain. Plus étonnant encore, leur état général est souvent très bon. Il faut dire qu’une fois arrivées à Cotonou, elles sont entièrement révisées par d’habiles mécaniciens capables de remettre sur les routes des voitures n’ayant souvent plus été utilisées pendant des années et de leur redonner leur fonction première de camionnette bâchée. Mais comment ces voitures continuent-elles d’arriver sur le marché béninois ?

Dès les années 1980, une importante filière d’exportation de véhicules d’occasion prend place entre l’Europe et l’Afrique. Des bateaux quittent régulièrement les principaux ports européens avec à leurs bords un nombre sans cesse croissant de véhicules. Cette filière a connu plusieurs évolutions. Certaines places marchandes, autrefois incontournables, sont aujourd’hui moins présentes. C’est par exemple le cas de Marseille ou de divers ports africains ayant décliné suite à une législation plus stricte concernant l’âge maximal des véhicules pouvant entrer sur le territoire national. D’autres places marchandes sont par contre devenues centrales. C’est le cas de Bruxelles qui rassemble, aujourd’hui, des véhicules en provenance de toute l’Europe, pour ensuite les expédier via le port d’Anvers. C’est le cas également de Cotonou qui reçoit près de 1000 voitures chaque jour, avant de les redistribuer dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. En effet, la très grande majorité de ces voitures sont destinées au Nigéria - le poumon économique de la région - même si, pour des raisons fiscales, une bonne partie transite d’abord par le Niger. Sur les mille voitures, seule une petite cinquantaine reste au Bénin et, avec un peu de chance, parmi celles-là une ou deux seront des Peugeot 404. Ce modèle reste en effet très recherché. Il faut dire qu’il allie à la fois une robustesse hors norme et une mécanique relativement simple, même s’il s’agit déjà d’un moteur à injection. Ces qualités sont associées à la Peugeot 404 depuis la mise en circulation de ce modèle. Elles ont été popularisées par les nombreuses victoires que cette voiture remporta dans différents prix au cours des années 1960. Notamment les quatre victoires au East African Safari Rally dont les 6000 km de pistes viennent à bout des voitures les plus résistantes. Ces mêmes qualités sont des atouts essentiels pour le transport de marchandises dans un pays comme le Bénin. En effet, le mauvais état général du réseau routier impose l’usage d’une voiture extrêmement résistante. Cependant, cela ne permet pas d’éviter toutes les pannes. C’est pourquoi une mécanique simple, sans aucune électronique, est un avantage. Le chauffeur ou un des petits réparateurs installés le long des routes pourront faire face à la plupart des avanies rencontrées.

Avant d’être lancée sur la route, la Peugeot 404 qui arrive à Cotonou est minutieusement remise en état. La voiture est quasiment entièrement démontée. Chaque pièce est nettoyée et vérifiée. Un important marché de pièces d’occasion permet également de remplacer les phares ou autres accessoires en trop mauvais état. Le câblage électrique est régulièrement refait à neuf. Surtout, une structure est reconstruite sur la benne arrière afin de pouvoir placer une bâche. Cela permet de transporter une quantité importante de marchandises dans de relativement bonnes conditions de protection et de sécurité. Pour finir, la peinture beige, distinctive des transporteurs de Cotonou, est appliquée sur la voiture.

Dans les immenses parcs de vente de véhicules d’occasion qui occupent toute la périphérie de Cotonou, les Peugeot 404 ont quand même un petit air désuet. Il faut dire que la course acharnée pour mettre la main sur les modèles utilitaires encore en circulation oblige les importateurs de voitures à aller chercher de plus en plus loin. Certains démarchent même dans les petits villages de la France agricole en espérant qu’une vieille 404 soit encore remisée dans une grange. Plus important, un nombre croissant de gros pick-up, de 4x4, parfois même de Hummer viennent côtoyer ces Peugeot 404 dans les parcs de vente. Il s’agit de véhicules de haut standing, souvent relativement récents et en très bon état, équipés de la climatisation et de toutes les options. Ces véhicules, d’un tout autre ordre de prix, sont destinés à une élite nigériane profitant de la manne pétrolière. Ils proviennent directement des Etats-Unis, et c’est là également une tendance nouvelle. Totalement absent il y a dix ans encore du commerce de véhicules d’occasion en Afrique, un tiers des véhicules qui arrivent aujourd’hui à Cotonou viennent des Etats-Unis. Il faut dire que le marché de la voiture d’occasion y est particulièrement bien développé et que les prix sont souvent plus attractifs qu’en Europe. Et puis, les Etats-Unis ont choisi d’adopter une position assez libérale en matière d’octroi de business visa pour les importateurs de véhicules d’occasion africains désireux de venir investir leur capital dans le pays. Cela contraste radicalement avec l’Europe qui continue de distribuer ses visas Schengen au compte-gouttes, selon des critères peu transparents. Même pour les importateurs de véhicules faisant l’aller-retour pour raisons professionnelles depuis des années.

À l’heure actuelle, il semble peu probable que l’Europe choisisse de reconnaître pleinement l’apport économique du commerce de véhicules d’occasion et change sa politique d’octroi des visas en accord. L’influence des Etats-Unis continuera donc de se faire croissante dans les années à venir. Cependant, même si elles sont de plus en plus noyées au milieu de grosses voitures destinées à la réexportation vers les pays voisins, une place continuera à exister pour les Peugeot 404 dont la version utilitaire remplit parfaitement une niche sur le marché béninois.