Entretien avec Mohammed Amine El Hajhouj, Éco-Cité Zenata : un modèle pour l’Afrique ?

Entretien avec Mohammed Amine El Hajhouj, Éco-Cité Zenata : un modèle pour l’Afrique ?

Première expérience du genre au Maroc, « Zenata, ville de tous les élans » se propose de construire un référentiel permettant de normaliser un modèle d’Éco-Cité adaptable aux pays en développement, notamment en Afrique. En quoi consiste ce nouveau modèle ? Quels en sont les fondamentaux et les facteurs clés de succès ? Que pouvons-nous tirer comme learnings et best practices de cette expérience ? Voici l’éclairage apporté par M. Mohammed Amine El Hajhouj, DG de la Société d’Aménagement de Zenata (SAZ).

Qu’est-ce qu’une Éco-Cité et quels sont les enjeux de l’Éco-Cité de Zenata ?

« Une Éco-Cité est une ville éco-responsable qui préserve et met en valeur l’environnement, contribue à l’amélioration de la qualité de vie et offre un cadre propice au développement économique. La ville éco-responsable est une ville citoyenne, accueillante et à l’écoute, ouverte sur le monde. » (Marchand, 2012)1. Disons, pour simplifier, qu’une éco-cité est une ville qui place l’Homme au cœur de la réflexion en tenant compte de son contexte urbain et démographique, de sa situation géographique et de son histoire. C’est une ville qui conjugue, dans une réflexion dynamique, les aspects sociaux, économiques et environnementaux. Elle est donc source d’enjeux multiples.

L’Éco-Cité Zenata est le plus grand projet d’aménagement du Groupe CDG, et parmi les plus importants du Maroc tant par sa taille que par la dimension temporelle de sa construction. Les enjeux liés à cette première Éco-Cité trouvent leur origine dans la forte croissance démographique qu’a connue le Maroc ces trente dernières années, et qui s’est faite au profit d’une urbanisation progressive. Avec près de 26 millions d’habitants en ville, il était important de répondre aux besoins d’amélioration des conditions économiques et de la qualité de vie des citoyens par l’aménagement d’espaces urbains durables. L’Éco-Cité Zenata s’inscrit dans cette dynamique, avec pour vision de contribuer à hisser la capitale économique et sa région au rang de grande métropole mondiale, tout en résorbant les déséquilibres socio-économiques entre l’Est et l’Ouest du Grand Casablanca et en favorisant la mixité sociale et spatiale à travers la création d’emplois à forte valeur ajoutée pour la région et pour le pays. Ce projet d’envergure sera présenté lors de la COP22 en novembre prochain, l’occasion pour nous de partager cette vision et de promouvoir l’Éco-Cité Zenata, via l’animation de plusieurs conférences et ateliers.

La réussite d’un tel projet est tributaire de l’intégration des communautés locales ; quelle est la stratégie adoptée par la SAZ à ce niveau ?

Nous ne partons pas d’un territoire vierge puisque Zenata recense aujourd’hui plus de 8000 ménages bidonvillois et 245 industries qui représentent un enjeu social et économique essentiel pour l’Éco-Cité Zenata. Ces habitants se sentent profondément Zenati. Il était donc primordial de les inclure dès le départ dans la réflexion autour de la construction de l’Éco-Cité. Dès le lancement de ce projet, en 2008, l’ensemble des populations et industries du territoire ont été intégrées dans un programme inclusif de réinstallation in situ, élaboré en collaboration avec les autorités locales. Nous avons organisé des consultations directes lors de journées portes ouvertes et de réunions d’information destinées à consulter les populations locales, présenter le projet et sensibiliser sur son impact environnemental. L’écoute, loin de toute manipulation partisane, est la clé de la réussite ; il faut donc savoir s’adresser aux populations concernées, parler leur propre langage en mettant en avant leur culture et leurs valeurs. Nous avons tenu à la présence d’observateurs indépendants de l’Union européenne afin d’assurer la transparence de ce processus.

Ces efforts se sont traduits en 2014 par le relogement in situ des premières familles bidonvilloises dans un quartier inauguré par SM le Roi Mohamed VI en 2013, et la proposition d’une deuxième option dès 2014. Les industries, elles, ont été relocalisées dans une nouvelle zone industrielle subventionnée à 70% et spécifiquement dimensionnée pour accueillir les activités existantes et leur évolution, en pérennisant près de 4 000 emplois grâce à l’amélioration de leur compétitivité rendue possible par la grande accessibilité à une infrastructure de qualité (voiries, électricité, assainissement, etc.). Toutes ces mesures ont été formalisées dans le cadre du Plan d’Action de Réinstallation (PAR) qui est un plan social d’envergure élaboré en collaboration avec l’Agence française de développement (AFD) et la Banque européenne d’investissement (BEI) en tant que bailleurs de fonds du projet. Le plan social important qui accompagne ce projet nous permet de monitorer et de suivre toutes les actions pour contenir l’impact de ce plan de réinstallation sur les populations et d’améliorer leurs conditions de vie, tel que le programme d’aide à la formation des habitants bidonvillois, qui représente une passerelle pour eux vers l’employabilité. La conception de l’Éco-Cité Zenata repose donc sur une approche inclusive et participative, qui place l’humain au centre de la réflexion de manière équilibrée, autant sur le plan économique, que social et environnemental. Sans inclusion sociale et l’appropriation du projet par les populations concernées, c’est l’échec assuré.

Quelle est la place de l’environnement dans le cadre de cette démarche ?

Dans le contexte actuel, les villes ont la responsabilité d’apporter une réponse, aussi bien aux défis socio-économiques qu’aux mutations climatiques. Le respect de l’environnement et de la biodiversité est automatique, comme apprendre à marcher à un enfant. L’Éco-Cité Zenata a donc adopté une démarche d’éco-conception permettant de réduire ou limiter les impacts environnementaux tout au long de son cycle de vie et favoriser son développement socio-économique à travers la création de valeur. La ville est un modèle innovant combinant les techniques de conception avant-gardistes durables à celles inspirées des principes des médinas marocaines traditionnelles et de l’architecture arabo-andalouse qui, sans aller dans le kitch, représentent une construction plus durable. Il faut contextualiser, en mettant à profit les atouts naturels du territoire et en puisant les principes les plus appropriés au contexte africain.

Cette démarche vertueuse repose sur l’implication et la mobilisation de toutes les parties prenantes et s’appuie sur des études stratégiques, urbanistiques, environnementales et techniques qui ont contribué à l’élaboration d’un Plan d’aménagement répondant au mieux aux enjeux socio-économiques et environnementaux de la région. En raison des échelles spatiales et temporelles importantes de l’Éco-Cité Zenata, la réflexion sur la conception et le développement des villes est donc primordial. L’échelle temps est importante pour l’incubation d’un projet urbain d’une telle envergure. Une réflexion de sept à huit ans est nécessaire pour mettre sur les rails un projet urbain qui s’étale sur plus de 300 hectares, d’où l’intérêt de l’adoption du plan d’aménagement sectoriel de 800 ha brut/1 830 ha correspondant à la Première Zone de Développement. On ne bâtit pas une ville comme on bâtit un quartier, sinon l’histoire pourrait nous en vouloir !

Sur quel modèle de développement s’appuie la création de valeur au sein de l’Éco-Cité Zenata?

L’Éco-Cité Zenata est une ville de service et n’a pas de vocation industrielle, même si la ville a relocalisé in situ les industries déjà présentes sur place afin de renforcer le vivier d’emploi. Le modèle de développement de cette première Éco-Cité est basé sur la création de valeur et de richesse à travers la création d’un écosystème fondé sur l’innovation, la connectivité et l’émulation entre trois acteurs majeurs : l’Université, à travers la formation et la recherche ; les autorités publiques ; les entreprises – aussi bien grandes entreprises que startups. La convergence de ces facteurs positionne le numérique au cœur de l’inclusion sociale et sera à l’origine d’une création d’emplois à forte valeur ajoutée. On vise un ratio de développement durable d’un emploi pour trois habitants. Ce modèle de création de valeur s’appuie sur des locomotives de développement : le pôle retail qui a déjà été activé, le pôle santé et le pôle éducation autour d’un campus universitaire international, ainsi que le pôle logistique permettant, à terme, de créer 100 000 emplois pour 300 000 habitants, soit un ratio de développement durable d’un emploi pour trois habitants.

La démarche d’écoconception est aujourd’hui cristallisée dans un référentiel Éco-Cité intégrée, qui a pour objectifs de définir les normes et les principes fondateurs de l’Éco-Cité. Il constitue un cadre de référence pour le pilotage de la ville à travers des indicateurs et des ratios durables. Ce faisant, il permet de créer des schémas de non-retour et de s’assurer que le projet est en bonne voie. Ce référentiel issu de la collaboration avec des experts nationaux et internationaux, s’inspire du benchmark des meilleures normes et pratiques internationales de développement durable ; ce qui en fait un modèle duplicable aux pays du Sud et place d’emblée l’Éco-Cité de Zenata comme un acteur pionnier pour le développement d’un nouveau modèle d’aménagement urbain adapté aux besoins de la région. En octobre 2015, la SAZ a signé un Memorandum of Understanding avec un organisme de certification HQE « Cerway » pour co-créer un nouveau label : HQE Éco-cité. Basé principalement sur le Référentiel Éco-Cité, ce label servirait de modèle de certification pour les projets d’aménagement territoriaux nationaux et internationaux, notamment en Afrique.

Quels sont les villes et projets urbains durables qui vous ont le plus inspirés ?

L’expérience des cinquante dernières années en termes de planification et de gestion des projets d’aménagement urbain de grande envergure nous apporte autant d’exemples de réussite que d’échecs, dont on peut tirer des enseignements tout en restant attachés à la contextualisation. Conseillés par des experts nationaux et internationaux, nous nous sommes attachés au benchmark de divers pays principalement d’Asie et d’Amérique latine. Ces pays émergents ont réussi à transcender leurs handicaps, tel que l’Inde qui a su faire de sa pauvreté un gage de réussite, notamment sur le plan de la santé, avec la création de cités médicales avant-gardistes. Aujourd’hui, ils ont une avancée technologique considérable sur des disciplines de pointe comme la cardiologie. Le Brésil réalise des avancées impressionnantes en matière d’inclusion sociale dans certains quartiers où les élus s’intéressent de manière réelle aux citoyens, et cela peut aller jusqu’au vote du budget annuel. Une autre expérience inspirante est celle de la Corée du Sud qui s’est hissée au rang des nations les plus innovantes, notamment en matière de connectivité et de smart city. Cela ne se fait pas sans erreur : ils n’ont pas peur de construire et de démolir ; essayer, quitte à se tromper. Il ne faut pas être intimidé ou avoir peur non plus de s’inspirer des exemples de pays plus développés. On ne fera pas tout, mais on ne peut pas passer à côté de ce qu’on peut apprendre de ces expériences. Alors que ce soit Chandigarh, Brasilia, Séoul ou Stockholm, le benchmark s’est articulé autour de trois axes : l’inclusion sociale, l’innovation et l’environnement.

Pourquoi doter l’Éco-Cité Zenata d’une identité territoriale distinctive ?

Nous avions l’ambition de doter l’Éco-Cité Zenata d’une forte identité visuelle territoriale et c’est le pentagone qui a été choisi pour représenter la ville. Cette figure géométrique représente tout d’abord la cellule première de la société : l’habitat. Il est aussi le signe référent de la ruche : l’alvéole rappelle la vocation collective du projet, mais évoque aussi une stricte organisation, sans omettre la dimension écologique. Enfin, le pentagone reprend également le sigle de l’étoile chérifienne, une façon de rendre hommage au pays, en rappelant la dimension citoyenne et patriotique de l’un des projets les plus ambitieux du Royaume. Cette identité visuelle est doublée d’une signature forte, chargée de sens : « Zenata, ville de tous les élans », choisie pour souligner cet élan vital qui traverse l’une des premières Éco-Cités d’Afrique.

Nous avons lancé la première campagne de communication grand public en mai 2016, alliant réseaux sociaux, affichage, presse écrite et électronique, autour de messages forts portant sur l’avenir, le bien-être, la connectivité, le partage, l’émotion et le développement de la notion d’appartenance. Le point fort de cette campagne réside également dans le recrutement d’un vivier d’ambassadeurs de la ville appartenant à différentes catégories sociales afin d’apporter des témoignages spontanés, sur le modèle de la ville qui répondrait au mieux à leurs besoins diversifiés. Cette campagne de communication a eu des retombées extraordinaires comme l’attestent les statistiques. En effet, notre message a été bien accueilli auprès des différentes parties prenantes et a permis de promouvoir l’identité territoriale de notre ville.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès d’une Éco-cité ?

Tout d’abord, on ne construit pas sur une opportunité foncière, il faut éviter à tout prix le phénomène de cités-dortoirs. Il est donc important d’adopter une démarche d’éco-conception intégrée et inclusive, axée sur le développement humain et économique, en harmonie avec l’environnement, rendue possible par l’innovation. L’adhésion des parties prenantes est indispensable, d’où le rôle de la concertation à toutes les étapes ainsi que de la communication et la création d’une forte identité territoriale. La direction d’un tel projet apporte chaque jour son lot de surprises, de difficultés liées à la législation urbaine ou au financement d’un projet de cette envergure. Il est donc important d’être animé par la passion et une certaine fibre sociale. Ce sont d’ailleurs des qualités que je cherche chez tous mes collaborateurs, il faut que cela soit inscrit dans leur ADN. Ce sont les premiers ambassadeurs de la ville, je compte sur eux pour promouvoir l’Éco-Cité Zenata dans leur entourage et transmettre leur passion

 

Note

1.     Manrot (2012). Ministère des Affaires municipales, Régions et Occupation du Territoire, en ligne : http://www.mamrot.gouv.qc.ca