Des acteurs autonomes à l'ombre du prince

Des acteurs autonomes à l'ombre du prince

Après la libéralisation amorcée dans les années 80, on a eu l’impression que le Maroc engageait une rupture avec le régime néo-patrimonial qui le caractérisait auparavant et dont le fonctionnement était centré sur un modèle d’allocation des ressources, entièrement contrôlé par le pouvoir politique qui l’utilisait comme moyen de s’assurer des appuis, en distribuant des prébendes.

Aujourd’hui, après plusieurs années de mise en œuvre de ces réformes, les avis restent partagés. Pour plusieurs observateurs de la réalité marocaine, le pays demeure  caractérisé par «des marchés intérieurs peu concurrentiels, à tendance rentière, mais aussi des acteurs capitalistes fragiles, très dépendants des ressources et de la protection apportées par les acteurs publics. Ils ne forment pas au Maroc une force sociale autonome, assise sur des ressources et une légitimité propres, capable d’entrer dans un dialogue réglé avec l’Etat, «de puissance à puissance», sur les enjeux de taxation, de régulation des marchés ou, plus généralement de développement. Il n’y a dans ce pays ni capitaines d’industrie, ni prolétaires, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de riches et pas d’exploités, ou que l’appât du gain soit méconnu. C’est la règle du jeu social et institutionnel dans laquelle s’exprime cet appétit qui fait toute la différence ».

En somme, pour ces observateurs,  les logiques des acteurs apparaissent comme discursives plutôt que comme rationnelles, calculs insérés dans les structures politiques, économiques et sociales qu’ils configurent eux-mêmes. Conclusion, l’Etat en tant que structure institutionnelle et administrative, mais aussi comme centre de décision, demeure primordial en amont et en aval de la compréhension. Loin de satisfaire tout le monde, cette explication suscite des réactions nuancées, voire contradictoires. Notre propos ici est d’alimenter le débat par quelques réflexions à partir d’une analyse globale sur la prise de décision et de ses mécanismes à partir d’une analyse sectorielle.

Ambivalence des ambitions et des structures

Bien qu’ayant opté pour une économie de marché dès le début des années 1960, l’Etat marocain est resté omniprésent dans la vie économique. Outre ses prérogatives classiques (prélèvement de l’impôt, mise en place d’infrastructures, émission et gestion de la monnaie), l’Etat jouait le rôle de premier entrepreneur du pays, du premier employeur et de premier banquier. Cette omniprésence du pouvoir dans l’économie traduisait sa vocation à encadrer l’ensemble des segments de la société et, par conséquent, à présider au processus de prise de décision. Mais la règle du jeu implicite, selon laquelle un Etat interventionniste garantit par ses dépenses un taux de croissance satisfaisant et mène une politique clientéliste généreuse, ne pouvait plus être opérante en période de crise. Aussi, la généralisation du clientélisme d’Etat débouche, inéluctablement, dans le contexte de pénurie de ressources, comme cela était le cas du Maroc de la décennie 1990, sur une surcharge des demandes et une crise de légitimité de l’Etat. D’autre part, l’ouverture au marché mondial et la libéralisation économique engagée par le pouvoir ont, en partie, remis en cause le fonctionnement du système donnant lieu à des comportements et des pratiques d’un type nouveau, où l’affirmation d’acteurs sociaux et économiques autonomes devient nécessaire.

Dans ce contexte, des brèches ont été ouvertes et ont permis à de nouveaux acteurs de s’affirmer et de participer à la prise de décision économique. C’est dans ce cadre,  par exemple, que les entrepreneurs ont émergé en tant qu’acteurs de la vie économique et parties prenantes de la décision. Ayant vécu à l’ombre de l’Etat (marocanisation, privatisation…), ils avaient du mal à se donner une autonomie et une légitimité qui en auraient fait des partenaires à part entière de la vie publique. Toutefois, depuis le début de la décennie 90, ils ont essayé de sortir de leur discrétion pour faire entendre leur voix et occuper une place dans le paysage social. C’est l’époque où l’on entendait dire : «Le secteur privé national doit être l’acteur principal de ce changement. L’entreprise comme moteur du développement et espace principal de la vie sociale doit être repensée pour devenir un instrument de développement national et d’épanouissement de la vie individuelle». Que reste-il de ce discours ?

Aujourd’hui, on peut dire que le Maroc se trouve dans une période transitoire dans laquelle deux logiques se font concurrence : la logique traditionnelle qui puise ses racines dans l’organisation héritée du passé et qui s’exprime à travers une administration puissante qui a beaucoup à promettre et beaucoup à donner, et une logique moderne dont le fondement se trouve dans la séparation des pouvoirs, la transparence et le respect des règles du jeu. Cette ambivalence et cette dualité traversent tout le système politique et imprègnent fortement la marche de l’Etat, au point où le système de gouvernance, comme les structures politiques, requièrent en permanence une double lecture.

De ce fait, le dialogue entre acteurs privés et publics est faible. Le processus de décision est arbitré et contrôlé nettement de l’intérieur de l’Etat par l’institution monarchique. En fait, toute décision qui comporte une dimension stratégique ou un risque politique, comme cela a été le cas pour Tanger-Med, le projet Bouregreg, l’INDH, les décisions fiscales majeures, l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, les monopoles injustifiés… (Lire le texte d’Aboudrar), reste  concentrée  entre les mains  du souverain.  En d’autres termes, le pouvoir royal reste l’arbitre en dernière instance d’une quantité énorme de projets individuels ou collectifs. «Ainsi, on retrouve au sommet de l’Etat le constat d’une informalité de la règle du jeu et d’une résistance au droit déjà relevées à la base de la pyramide sociale, mais avec des effets différents»1. Cependant, on ne peut pas parler d’un maître des horloges qui maîtrise tout et qui décide de tout. La libéralisation de l’économie, l’ouverture au marché mondial et les réformes  structurelles menées par l’Etat, depuis quelques décennies, ont fait émerger des acteurs contrôlant des ressources appréciables et disposant d’une influence  locale et sectorielle.

C’est autour de ces questions que nous entendons orienter cette intervention, partant de l’hypothèse selon laquelle, si les évolutions récentes accroissent la probabilité de l’autonomie des acteurs, cette probabilité n’est ni automatique, ni générale. La question qui est constamment présente, en creux, dans plusieurs analyses est la suivante: comment l’Etat marocain a-t-il rendu endogènes les changements et quelle est la part d’autonomie dont disposent les acteurs économiques ? Dans ce contexte, la prise de décision revêt souvent les formes suivantes :

Décisions de souveraineté, d’arbitrage et de consensus

La lecture de décisions économiques majeures prises durant les deux dernières décennies montrent que le pouvoir central au Maroc oscille entre quatre modes de décision, dépendant de la nature du sujet, du risque encouru et d’autres paramètres non énoncés.

Les décisions de souveraineté

Outre les domaines de la sécurité, de la justice et de la religion, classiquement dits «de souveraineté», le rôle central du roi peut se vérifier dans des problèmes qui supposent un fort engagement et une grande détermination. A titre d’exemple on peut citer le programme d’ajustement structurel, dont la gestion a été assurée par le roi.

Dans l’ensemble, le processus de décision a connu les étapes suivantes :

- La première consiste à préparer l’opinion par un discours dans lequel le chef de l’Etat expose le problème. Dans ce premier discours, le roi recourt à la dramatisation et fait appel à la responsabilité du citoyen, tout en promettant une issue heureuse. Ce discours est relayé par celui du Premier ministre et des ministres concernés par cette décision.

- La seconde étape consiste à obtenir l’adhésion des différents acteurs économiques en soumettant les réformes à leur appréciation. L’objectif, généralement recherché à ce niveau est l’obtention du consensus.

- La troisième étape est l’exécution de la décision : cette étape peut donner lieu à une opposition ou des conflits qui génèrent des coûts sociaux parfois très élevés (les émeutes, les grèves…). Dès lors, l’intervention du chef de l’Etat, à travers les media, peut s’avérer nécessaire, étant donné l’importance de l’enjeu et le risque qui l’accompagne.

En définitive, dans toute action ayant un impact politique ou stratégique, comme cela a été  le cas du programme d’ajustement structurel, la décision reste concentrée entre les mains du chef de l’Etat, qui dispose de grands pouvoirs, pour agir avec fermeté et détermination, et qui dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour bien gérer le risque.

C’est également dans cette catégorie de décision qu’on peut classer l’accord d’association avec l’Europe et celui de libre-échange avec les Etats-Unis. Dans les deux cas, la décision a été prise rapidement par le roi. C’est lui qui a lancé les négociations avec les deux partenaires et c’est lui qui a décidé en dernier recours. Le Parlement n’a été saisi qu’une fois les négociations terminées et l’accord entre les deux parties conclu. Pour ce qui est de la société civile, son intervention s’est faite surtout à travers la Confédération générale des entreprises marocaines, qui a pu donner son avis en faisant  partie de la délégation qui a négocié.

Les décisions d’arbitrage

Chaque fois que l’opposition entre partis, syndicats ou groupes de pression est très forte, ou encore chaque fois que l’opinion publique se trouve très divisée sur une question donnée, le roi met en avant son pouvoir d’arbitrage. Il en fait usage, également, chaque fois que le consensus est impossible. Ce fut le cas, notamment de la privatisation. Cette réforme a, dès le départ, déchainé des passions et des intérêts. Le fait qu’une partie du patrimoine national doive être transférée du secteur public au secteur privé constitue en soi un enjeu majeur pour l’avenir du pays. Ce sont les partis politiques et les syndicats qui sont intervenus massivement dans le débat. Par ailleurs, tous ceux qui prospèrent à l’ombre de l’Etat et pour qui les entreprises publiques constituent des «vaches à traire», vont se mobiliser pour s’opposer à l’apparition de cette réforme, ce qui a fait dire à Hassan II : «We will face strong resistance, we thus have to act with tact and softness, but without complexes» (Maghreb Selection, 552, 19/4/1989). De ce fait, le processus suivi s’est déroulé de la manière suivante : le pouvoir central a donné le ton. Dans un discours largement médiatisé, le roi a situé l’intérêt de la réforme et la procédure à suivre pour la réaliser. Après ce discours, la voie était ouverte au travail technique mené par les experts et les spécialistes, une étape destinée à évaluer le patrimoine public et à rassurer l’opinion sur la suite à donner au patrimoine national.

Cette étape a aussi pour objectif de clarifier le jeu et de faciliter la tâche du Parlement. C’est alors qu’interviennent les différents partis et les différents groupes de pression qui cherchent, à travers des amendements et des propositions de loi, à infléchir la réforme dans le sens souhaité par eux. C’est également le moment où les dirigeants d’entreprises publiques et les responsables de l’administration, en général, interviennent. Le débat devient intense, chacun, campe au début sur ses positions. C’est alors que le roi intervient pour arbitrer. En général, sa décision est plus proche du travail des experts.

Dans le même ordre d’idées, on peut situer le débat sur la création de zone de libre-échange arabe. Les réserves exprimées par certains groupes de pression notamment l’Association marocaine des industries textiles (AMITH) est significative de ce point de vue. Sous prétexte que certains pays arabes usent de barrières non tarifaires, on a cherché à retarder la mise en application de l’accord arabe de libre-échange et la limitation des tarifs douaniers de 40%.

Toujours dans le même domaine, même si l’accord relatif à la création d’une zone méditerranéenne de libre-échange entre le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie a été signé au mois de juin 2001, son application a suscité des résistances. Certes l’attitude positive d’autres secteurs comme l’agro-alimentaire, l’électricité et la chimie, ont permis au pouvoir d’arbitrage de s’exercer. De ce fait, l’accord a pu connaître un début d’application.

Les décisions de consensus

La nature du régime politique marocain, son évolution au cours des dernières années, le prédisposent dans certains cas à chercher le consensus. D’abord, parce que c’est un régime qui repose sur l’équilibre entre les différentes composantes de la société. Ensuite, parce qu’il cherche à renforcer sa légitimité historique, contestée pendant les trois décennies (1960, 1970  et 1980), par une légitimité démocratique. Enfin, parce qu’il veut minimiser certains coûts sociaux, voire politiques. Dans ce cadre, certaines décisions sont soumises à l’approbation des partis, des syndicats, voire même  de certaines associations.

Ce type de décision vise à réduire l’opposition à une décision qui risque de se heurter à un refus ou un rejet de la part d’un acteur de la vie sociale et politique. En général, c’est une décision qui touche une partie importante de la population ou des groupes organisés structurés, capables de s’opposer à son application. A titre d’exemple, le code du travail. Comme l’a bien montré Zakaria Aboueddahab dans son intervention, «Le processus d’élaboration du code du travail au Maroc», entre la première tentative d’élaboration du nouveau code du travail en 1979 et son adoption le 23 juin 2003, il s’est écoulé plus de 20 ans. Certes, le nouveau code n’a été réellement mis en circulation qu’au début de 1990 mais, l’hésitation du pouvoir central montre son souci d’obtenir l’adhésion et d’éviter l’affrontement. Il a fallu passer par un pacte social entre différents acteurs de la vie économique, une amélioration sensible des salaires et par quelques concessions de forme, avant d’arriver à un accord. Il faut sans doute ajouter que le lien entre certains partis et les syndicats n’a pas facilité la tâche.

En réalité, les grandes réformes de l’économie et de la société subissent toujours le même sort, sauf quand il y a urgence et pas d’alternative possible. Autrement, l’itinéraire procédural est long et souvent jalonné de rebondissements.

Les décisions d’orientations stratégiques et organisationnelles

Dans cette catégorie de décision, on peut mettre l’élaboration du plan et même la réforme du régime des douanes. La nature de ces sujets, en même temps que leur côté technique, suppose l’intervention d’organismes spécialisés qui disposent de connaissances et d’un savoir-faire. L’élaboration du plan, ainsi que la réforme de la douane, restent peu accessibles à la compréhension de plusieurs acteurs, même s’ils ont participé à leur élaboration. Certes, dans le cas des douanes, les associations des exportateurs ont eu leur mot à dire et elles ont exercé quelques pressions. En plus, le processus a été facilité par le fait que le Maroc s’est ouvert davantage sur le marché mondial et, que les procédures douanières gênent fortement les exportations marocaines. Mais dans l’ensemble, le problème est resté circonscrit et maîtrisé. Les quelques critiques qui ont pu naître, n’ont pas dépassé le cadre de la réunion. En général, l’itinéraire de telles décisions est simple. Il débute par les directives du roi et se termine par le vote du Parlement.

A la lumière de ces données, on voit bien que la prise de décision dans un pays où l’Exécutif est bicéphale, où le roi règne et gouverne, reste le fait du monarque. Peut-on en dire autant, dans tous les domaines de la vie économique et sociale ? Comment s’exerce l’autonomie des acteurs à travers les changements connus par le tissu économique ? Comment se réalise-t-elle dans les mécanismes de prise de décision ? C’est donc naturellement à travers les mécanismes de prise de décision à l’échelle sectorielle qu’il faut s’orienter, sachant pertinemment que c’est à ce niveau que l’autonomie s’exprime avec efficacité et réalisme.

Les mécanismes de prise de décision dans les secteurs

Le mécanisme de prise de décision dans le secteur du textile est révélateur de la marge d’autonomie dont disposent les acteurs et de la marge de manœuvre des technocrates du pouvoir. Par la place qu’il occupe dans l’économie et surtout les emplois qu’il procure (210 000), par sa sensibilité à la concurrence internationale, ce secteur dispose de moyens importants et par conséquent son développement constitue un enjeu de taille. Ainsi, on devrait s’attendre à ce que les acteurs qui l’animent participent effectivement à la prise de décision. En outre, l’organisation dont dispose le groupe qui est représenté par l’AMITH, constitue un instrument efficace pour se faire entendre.

Toutefois, ce secteur doit une grande partie de son existence et de son développement à l’Etat, qui lui a servi de promoteur et de protecteur et qui lui a assuré son maintien et son expansion.  C’est pourquoi  son rapport à l’Etat, et donc au centre de décision, est à la fois étroit et assez complexe. En général, chaque fois que la décision concerne ce secteur, elle suit un itinéraire marqué par trois étapes :

- une première étape consiste à formuler les propositions qui constituent l’essentiel des mesures ou des réformes que les acteurs désirent réaliser. Ces propositions reposent,  en général, sur des données précises ou sur une étude préalable.

- une deuxième étape consiste dans l’examen de ces propositions par le gouvernement, qui donne une première réponse d’ordre «technique», c’est-à-dire qui ne suscite pas des révisions importantes de la politique économique en cours et qui ne remettent en cause ni les grands équilibres économiques ni la stratégie de développement du pays, ni les accords signés avec les pays étrangers (notamment les accords de libre-échange que le Maroc a signés avec un certain nombre de pays). C’est le cas, notamment, de la dernière décision prise par le Premier ministre après les revendications formulées par les représentants du secteur, suite à la fin de l’accord multifibre. La réponse du Premier ministre a été rapide en ce qui concerne la baisse des droits de douane sur les matières premières importées par le secteur et la suppression de la tutelle du CMPE.

- une troisième étape sera marquée par les décisions stratégiques qui interviennent avec retard et souvent comme des réactions de dernière minute et dont le mécanisme échappe à toute procédure et à toute transparence. Ce type de décision reste le monopole d’une autorité supérieure et se prend en dehors de tout cadre réglementaire et sans aucun délai précis.

En revoyant les conditions de genèse et d’élaboration de la vision 2010 née du secteur du tourisme, on découvre un exemple du genre où le partenariat public-privé joue pleinement. Le projet est parti de la fondation CGEM, genre de think tank, avant d’être proposé au gouvernement qui l’a adopté. En fait, l’élaboration est passée par trois étapes :

- la première a été l’initiation de l’idée par les professionnels du secteur, sous forme de réflexion, avant de prendre la forme d’un projet. Les initiateurs de ce projet ont été des professionnels qui ont réussi à se forger une idée d’ensemble du secteur et à le situer à la fois dans la dynamique du temps et dans le contexte mondial.

- la deuxième phase consiste à le soumettre à l’approbation du gouvernement qui l’a adopté sous forme de contrat-programme avant de le décliner en accord contractuel signé le 29 octobre 2001 à Agadir.

- la troisième phase consiste à mettre en place les instruments destinés à réaliser ce programme : c’est le fait des technocrates. A ce propos, il importe de préciser la collaboration étroite entre professionnels et technocrates. Ces derniers ont bien compris la nécessité du volontarisme dans la conduite de la politique économique et l’intérêt d’un partenariat public-privé dans la conception et la mise en œuvre de ces programmes.

Il convient, cependant, de noter que la démarche adoptée a été un mélange d’intuition et de planification. Au départ, elle a été le fait d’acteurs avertis qui ont perçu les enjeux et élaboré une vision. Une fois celle-ci acceptée et cautionnée par les technocrates, elle a été appuyée par une étude réalisée par un bureau d’études. Enfin, retour aux technocrates qui ont mis en œuvre les instruments destinés à piloter, à négocier et à mettre en œuvre l’étude.

De manière générale, ce secteur connaît des acteurs plus actifs et plus déterminés. Ils agissent en vrai groupe de pression qui sait recourir au lobbying pour faire aboutir ses choix. Son autonomie est incontestablement plus affirmée que dans d’autres secteurs.

Conclusion 

Le processus de prise de décision à l’échelle sectorielle reflète les changements en cours dans le tissu économique et social. Il permet de saisir le rôle et le jeu des acteurs en présence et révèle les pouvoirs en gestation et leur manière de s’exprimer et de se faire entendre. Il met en relief, entre autres, le rôle des technocrates et leur contribution à la prise de décision, à la fois en tant qu’intermédiaires entre les acteurs économiques et le pouvoir central, mais aussi en tant qu’éléments qui inspirent des stratégies à suivre. Depuis quelques années, le rôle de cette catégorie de décideurs publics n’a cessé de croître. Leur forte présence au sein du cabinet royal et leur poids dans le gouvernement leur donnent la possibilité de se faire entendre et accepter. Par ailleurs, leur forte présence au niveau des centres de décision intermédiaires (walis, gouverneurs, secrétaires généraux, directeurs…) en font un groupe de pression non officiellement organisé, certes, mais influant et agissant dans le même sens. Leur force vient du fait qu’ils ont un lieu assez étroit avec le monde des affaires, les acteurs économiques et les institutions internationales avec lesquelles ils partagent les mêmes valeurs, voire souvent la même vision.

Tous ces éléments se conjuguent pour aboutir à une «coalition» non officielle mais effective pour la prise de décision. A ce titre, ils contribuent à l’autonomie des acteurs à l’échelle sectorielle, en se faisant leur porte-parole au niveau de l’Etat. A travers eux, les acteurs économiques s’arrogent une autonomie de fait, sans entrer dans un conflit ou un dialogue direct de «puissance à puissance avec l’Etat».  L’ensemble de ces éléments fait des acteurs économiques à l’échelle sectorielle un partenaire à part entière de la décision mais, avec l’existence de pratiques et de procédures assez complexes qui laissent paraître une opacité et une centralité que seule l’absence d’autonomie des acteurs peut expliquer.