Le Royaume juif d’Afrique renaîtra-t-il de ses cendres ?

Le Royaume juif d’Afrique renaîtra-t-il de ses cendres ?

Auteur : Edith Bruder

De plus en plus d’Africains se revendiquent juifs. Les ethnies et les origines sont diverses et les rites religieux se confondent dans une Afrique à la spiritualité abondante. Mais qui sont-ils ? Quelles sont leurs origines ?

Edith Bruder est chercheuse associée à la prestigieuse School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres. En 2008 elle publie, The Black Jews of Africa. History, Religion, Identity, chez Oxford University Press. Et en 2014, c’est Albin Michel qui reprend ses recherches et décide d’éditer l’adaptation française de l’étude universitaire. L’anthropologue a mené une minutieuse enquête pour remonter aux origines de quelques ethnies et à leurs pratiques religieuses. Mais qui sont ces juifs d’Afrique ? Et surtout, comment se revendiquent-ils du judaïsme ?

La chercheuse s’est attelée à croiser les paramètres, les informations pour trouver des réponses. « En faisant le choix d’ancêtres hébreux, quelques sociétés africaines ont ré-imaginé- ou peut être retrouvé- au XXème siècle une identité religieuse les associant au peuple juif.  L’impact de la Bible sur l’imaginaire généalogique des Africains et des Afro-Américains, les mythes et leurs interrelations avec le colonialisme, les bouleversements de l’histoire sont autant d’axes de clivages autour desquels s’est structuré ce nouvel ordre religieux ».

Bruder s’est intéressé plus précisément aux Africains sub-sahariens et à leurs pratiques religieuses. Son livre commence par se référer aux mythes fondateurs de ces peuples. La plus part de ces Juifs, se considèrent enfants de Salomon et de la Reine de Saba et ils incarnent le Royaume juif d’Afrique. Une origine fantasmée, embellie de génération en génération jusqu’à la totale confusion ! Pour arriver à démêler l’imbroglio, la chercheuse est allée au-delà des sources historiques officielles pour extraire « les indices dont l’histoire conventionnelle n’a pas enregistré les péripéties », prévient-elle de prime abord.

Les communautés juives africaines sont très diverses. Aujourd’hui on ne peut affirmer leur nombre. On dit qu’il s’agit de dizaine de milliers. Les plus connues sont les Zakhor au Mali, House of Israël au Ghana, les Igbo au Nigeria, les Baluba au Congo, les Abayudaya en Ouganda (phénomène unique de conversion massive qui a été vécu comme une révélation communautaire) …Il y a aussi les Lemba au Zimbabwe et en Afrique du Sud, les Tutsi Hebrews of Havilah au Rwanda, Les juifs de Tombouctou, (qui pourraient être des descendants des juifs du Touat  qui ont fuit des exterminations au XVème siècle)…On peut recenser également, les Beth Yeshouroun au Cameroun (reconnus par le rabinnat en seulement quatre ans) contrairement aux Falashas qui n’ont été reconnus que tardivement, dans les années 80… aujourd’hui, une nouvelle communauté se revendique juive, il s’agit des Beta Abraham.

Ces communautés sont aussi diverses du point de vue ethnique que dans leurs pratiques religieuses et spirituelles.

Dans cette masse hétéroclite, les amalgames sont aussi nombreux. Et les missionnaires de l’époque coloniale en sont pour quelque chose. 

Ces derniers ont associé les rites qu’ils ne connaissaient pas à ceux de l’ancien testament.  C’est ainsi que certains peuples ont été identifiés comme Hébreux. Ce qui a été réintégré chez ces derniers. Pourtant, dans certaines communautés identifiées comme juives, on reconnaît des pratiques qu’on pourrait qualifier de « peu orthodoxes ». En effet, les juifs d’Afrique pratiquent un judaïsme mélangé à des rites africains. D’autres fois, les croyants vont également à l’église ou à la Mosquée !

C’est le cas de certaines tribus de l’Afrique australe. L’exemple des Lemba semble édifient. « L’observation de ces groupes révèle que leur système de croyance se situe aux frontières de plusieurs traditions religieuses et inclut, entre autres, des règles strictes caractéristiques du judaïsme concernant la circoncision, l’alimentation, la pureté, l’endogamie. L’affirmation de leur ascendance juive repose sur une forte tradition orale concernant un exil antique, au VIème ou VII ème siècle avant notre ère, lorsque leurs ancêtres juifs émigrèrent comme marchands depuis  le nord du Yémen où il s’étaient installés après l’exil Babylonien »

Les origines juives des tribus africaines ont surtout été apportées par la tradition orale. Il n’y a pas de source directe pour les établir.  Et l’Afrique comme on le sait, ne s’écrit pas, elle se dit !

Par ailleurs, la colonisation a été un facteur important et déterminent des pratiques religieuses en  Afrique. Les esclaves ont dû suivre la religion de leurs maîtres sans trop savoir pourquoi. Aux îles Canaries un certain Lucien Wolf a recueilli un ensemble de témoignages d’esclaves indiquant un fort prosélytisme au XIX ème siècle. Un esclave noir affirmait que « ses employeurs ont tenté de lui faire adopter leurs coutumes (juives) sous la menace ». Tandis qu’un autre affirmait qu’il ne travaillait pas le samedi parce que son maître lui avait ordonné de ne rien faire…

Ce phénomène reste très peu étudié. On a toujours porté plus d’intérêt à suivre les conversions chrétiennes que juives en terre d’Afrique. Seulement quelques témoignages donnent à voir cet aspect.

Si les Israélites de la Bible avaient pour ancêtres les douze fils de Jacob, aujourd’hui il est difficile d’établir la filiation de ces milliers d’Africains qui se disent des dix tribus perdues d’Israël. Le mythe a la peau dure et la science n’a pas dit son dernier mot.

 

 

Par : Amira-Géhanne Khalfallah

 

Edith Bruder

Black Jews

Albin Michel 

315 pages

297 DH.