Troisième révolution industrielle en cours

Troisième révolution industrielle en cours

Auteur : Christian Saint-Etienne

Pour Christian Saint-Etienne, l’âge industriel n’est pas terminé, mais est en pleine mutation.

« Il faut rompre, après quinze ans d’errements, avec la vision fausse d’un monde postindustriel alors qu’il est hyperindustriel », clame l’économiste français Christian Saint-Etienne. Ce professeur d’économie industrielle au Conservatoire national des Arts et Métiers, qui a également été économiste au Fonds monétaire international puis administrateur à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), estime en effet que la troisième révolution industrielle est en cours : celle de l’électronique et de l’informatique, qui ont apporté d’importantes mutations technologiques. Si celles-ci sont un fait, l’économie adéquate reste encore à mettre en place. C’est ce qu’il appelle l’iconomie entrepreneuriale, dont il donne la définition suivante – hélas au bout d’une cinquantaine de pages : « Nouveau système technique issu de la troisième révolution industrielle en cours, l’iconomie entrepreneuriale – i comme intelligence, informatique, Internet et innovation – est le fruit de trois nouvelles formes de production et de distribution :

  • l’économie de l’informatique, d’Internet et des logiciels en réseau, qui s’appuie sur les progrès foudroyants de la microélectronique ;
  • l’économie entrepreneuriale de l’innovation ;
  • l’industrie des effets utiles, qui n’est elle-même concevable qu’en faisant appel aux nouvelles technologies informatiques et de communication permettant de créer des assemblages de biens et services gérés en temps réel par de puissants logiciels en interaction avec le client. »

La première « favorise toutes les formes d’innovation qui permettent à de jeunes entreprises innovantes de créer de nouveaux segments de marché par une utilisation optimale de l’informatique et des réseaux ». La seconde est inextricablement liée aux NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, technologies de l’Information et de la communication, technologies Cognitives). La troisième débouche sur une « économie servicielle » où les relations entre producteurs et consommateurs sont construites « soit sur des assemblagesde biens et de services (achat d’un téléphone intelligent, avec un abonnement et la possibilité de  charger des applications), soit sur l’achat de services sans possession du produit d’usage (une voiture qui vous est réservée à l’endroit et au moment choisi) », où Christian Saint-Etienne voit un modèle de « croissance durable ».

Cette troisième révolution industrielle est une « révolution de l’intelligence » appelée à bouleverser les structures économiques et politiques et à « déconstruire les systèmes massifiés et hiérarchisés ». Le pouvoir appartient désormais à « ceux qui dominent les logiciels en réseau réorganisant chaque secteur économique ». Désormais, la « mise en réseau des intelligences » permet une innovation en continu. Du coup, « le « cerveau d’œuvre » remplace la main-d’œuvre comme facteur de production clé ». Au système hiérarchique sur le modèle fordien s’est substitué, dès le début des années 1980 et de façon plus générale au début des années 2000, selon Christian Saint-Etienne, un modèle relationnel : « les liaisons horizontales deviennent plus productives par échange entre pairs s’exprimant librement et avec des compétences techniques directement opérationnelles conduisant à des échanges riches en informations et en significations partagées. Alors que les liaisons verticales, qu’elles soient descendantes ou ascendantes, sont formelles et manipulées pour produire des actions servant des intérêts précis, ce qui donne des échanges pauvres en signification partagée ».

 

Monde hyperindustriel

Pour l’auteur, qui relaie les thèses de la droite libérale, cette « iconomie entrepreneuriale », qui concerne tous les secteurs de l’économie,suppose des réformes politiques en profondeur. Il appelle de ses vœux un nouveau contrat social tenant compte de l’intrication entre mérite individuel et mérite collectif, une restructuration de l’organisation des territoires pour favoriser la « métropolisation de la croissance », arguant que la recherche de haut niveau est très concentrée – ce qui suppose l’« optimisation conjointe des systèmes de transport et d’information des habitants de la ville et des systèmes de recherche et de financement dans le cadre d’une économie de l’innovation ». Il souhaite une réforme du système éducatif pour encourager l’innovation, faire « des acteurs responsables du monde futur » plutôtque ce qu’il qualifie péjorativement de « spectateurs critiques »– ce qui ne manque pas de susciter des interrogations. Il prône la régulation de l’activité bancaire et le passage « de la finance débridée à la finance entrepreneuriale » au service des entreprises innovantes. Bref, il appelle à « fonder la stratégie de réindustrialisation française sur les logiciels en réseau et sur la remontée des taux de profit du secteur productif. »

Le livre est en fait une attaque en règle contre la politique française, que Christian Saint-Etienne accuse de « tourner le dos » à l’iconomie entrepreneuriale, mais aussi contre l’Europe, puisqu’il regrette que l’institution de la zone euro lors du traité de Maastricht en 1992 se soit fait « sans gouvernement économique, sans budget propre à la zone et sans coordination fiscale et sociale ». Fasciné par « l’agilité coopérative » du modèle anglo-saxon, il s’en prend violemment aux politiques sociales et fiscales françaises. Ses propositions de « choc institutionnel » sont sans équivoque sur son engagement droitier : « hausse du temps de travail pour maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs » au mépris de décennies de luttes sociales, plafonnement de l’actionnariat salarié à 15 à 18%... Quant à l’abandon, dans la Constitution,du principe de précaution « au bénéfice du principe de responsabilité », il laisse songeur… Abusant de tournures alarmistes du type « nous n’avons pas le choix de rester en dehors de la mutation en cours », Christian Saint-Etienne élude de nombreuses questions : quid du droit du travail pour les basses compétences ? quid des rémunérations et du temps exigé des « cerveaux » dans des multinationales ? comment établir des relations égalitaires quand l’accès aux finances ne l’est pas ? Quid enfin de l’Etat et de l’intérêt général ?

 

Par : Kenza Sefrioui

 

 

L’Iconomie pour sortir de la crise

Christian Saint-Etienne

Odile Jacob, 176 p., 18,90 €